Observateur averti des questions de football, le politologue et enseignant de droit apporte un éclairage sur le processus électoral à la Fécafoot. Il fait une analyse de la situation conflictuelle qui règne entre le ministère des Sports et de l’éducation Physique, et la Fédération camerounaise de football.
Quel commentaire faites-vous de la crise qui prévaut actuellement entre le Ministère des Sports et de l’éducation Physique et la Fédération camerounaise de football ?
Cette nouvelle conjoncture de crise trouve son origine dans la méfiance qui se manifeste à nouveau entre le ministère des Sports et de l’éducation Physique, et la Fédération camerounaise de football. Du côté du ministère, on estime qu’il y a des clarifications à avoir de la part de la Fécafoot sur la mise en œuvre du processus électoral. Quant à la Fécafoot, elle considère qu’elle est prise par des échéances de renouvellement. Les dirigeants et membres de la Fécafoot estiment que sursoir à la mise en place des différents échelons concernés par ces élections, ce serait rentrer dans l’illégalité et l’illégitimité. Donc, on a ici un conflit qui nait d’une interprétation divergente de la situation.
Le Ministre des Sports a-t-il compétence de demander la suspension momentanée des élections à la Fécafoot, selon vous ?
Je crois que ça dépend de la manière dont on entend la compétence du ministère des Sports et de l’éducation Physique, en tant que tutelle. En tant qu’organe gouvernemental, le ministère des sports assure dans le cadre de la loi, telle qu’énoncée en juillet 2011, je crois, la tutelle sur les Fédérations sportives à qui, il attribue un agrément. Etant entendu que ces associations ont une mission de service public qui leur est dévolue par cet agrément. Il est donc légitime pour la tutelle de demander aux différentes associations des clarifications sur la manière dont les processus de renouvellement des instances fédérales sont menés, pour savoir si ces processus sont en conformité avec les statuts des différentes Fédérations. Pour que les choses puissent se faire de manière appropriée, le ministère doit demander des clarifications, longtemps à l’avance, avant que, dans les Fédérations, que l’on ne prenne prétexte des délais pour continuer dans la mise en place des processus électoraux qui font l’objet de controverse au sein même des Fédérations.
A votre avis, pourquoi la Fécafoot résiste-t-elle ?
La Fécafoot résiste en estimant qu’elle est prise par des délais. Elle voudrait respecter les délais qui sont prévus, dans le cadre de la mise en place de ses différents échelons. Elle considère que le sursis demandé par le ministère arrive à un moment qui n’est pas approprié. Elle pense avoir averti le ministère des Sports suffisamment à temps, pour que celui-ci puisse réagir rapidement, afin qu’il y ait une concertation entre la tutelle et la Fédération concernée.
Dans les directives relatives à ces élections, la Fécafoot écarte les footballeurs du processus électoral. Et donc, exclut les footballeurs de la gestion du football. Comment jugez-vous cela ?
Il est anormal d’exclure les footballeurs de la gestion du football, puisqu’ils en sont une des composantes organiques et statutaires. Il ne peut pas y avoir d’association ayant compétence pour la gestion des activités en matière de football, qui ne comprenne pas des footballeurs. Je crois que le Fécafoot a elle-même intérêt à ce que le processus soit clair. Et que l’ensemble des composantes organiques du mouvement sportif au niveau du football soit impliqué, conformément à ce que prévoient ses propres statuts. Si des dispositions ont été mises sur pied pour exclure les footballeurs du processus, elles me semblent extrêmement critiquables. Elles peuvent donc justifier la démarche du ministre des Sports, de vouloir y voir un peu plus clair.
Les dirigeants de la Fécafoot auraient-ils peur des footballeurs à votre avis ?
C’est une possibilité, compte tenu des conflits qui existent souvent au sein de nos Fédérations sportives. Au point où il est juste de penser que, l’équipe dirigeante actuelle de la Fécafoot puisse redouter les footballeurs, peut-être parce qu’elle estime que ceux-ci ne seraient plus acquis aux idéaux et aux orientations que cette équipe là présente.
Il y a peu de temps, le ministre de l’administration territoriale et de la décentralisation a ordonné l’interdiction de toute réunion organisée par la Fécafoot dans les régions. Mais selon nos informations, des élections ont eu lieu dans le Nord et l’Extrême Nord. Comment comprendre cela ?
C’est une situation qui révèle les problèmes de cohérences dans la mise en action de l’Etat. Parce que le ministre de l’administration territoriale et de la décentralisation ne peut pas prescrire une conduite, et on voit des autorités administratives qui sont placées sous sa hiérarchie, agir dans un sens contraire. Il y a manifestement là, un non respect des prescriptions qui ont été adressées par la hiérarchie. Ce qui fait toujours désordre en matière administrative.
Si elle perdure, quelle conséquence cette situation peut avoir pour le Cameroun ?
La conséquence, c’est qu’il y aura une nouvelle fois des sources de tension qui vont contribuer à accentuer le discrédit déjà largement entamé du football camerounais et de ceux qui sont chargés de le conduire.
Peut être une suspension également du Cameroun par la Fifa ?
Bien entendu. Très souvent, les différentes générations des dirigeants de la Fécafoot se sont abritées derrière la Fifa et la Caf en utilisant la menace de la suspension du Cameroun comme un bouclier leur autorisant à agir, même en violant leurs propres statuts. C’est à la République du Cameroun de prendre ses responsabilités, quant à ce qui est devenu un chantage permanent. Si les dirigeants de la Fécafoot ont certainement raison de revendiquer la libre administration, des activités en matière de football, cela doit être fait conformément aux statuts. Et chaque fois que cette gestion n’est pas conforme aux statuts, il y a de bonnes raisons pour l’autorité de tutelle qu’est le ministère des Sports de demander à avoir un regard sur ce qui se passe effectivement.
Quelle solution peut-on envisager pour mettre un terme à cette situation conflictuelle ?
La solution la plus pratique qui serait de bon sens, c’est que la Fécafoot suspende son processus électoral, engage une concertation avec le ministère des Sports et apporte des clarifications nécessaires pour que l’autorité de tutelle ne s’inquiète pas de la façon avec laquelle le processus de renouvellement des instances de la Fécafoot s’effectue.
La dernière actualité fait état de ce que le président de la Fécafoot, par ailleurs directeur général d’une société d’Etat, a été frappé d’une suspension d’exercice des fonctions publiques pour sept ans. Dès lors, a-t-il encore la capacité de se présenter à l’élection à la Fécafoot ?
Les gens qui font partie de l’équipe dirigeante de la Fécafoot vous diraient que la Fécafoot est une association et qu’à ce titre, elle ne rentre pas dans le champ des structures pour lesquelles M. Iya, sanctionné par le Conseil de discipline budgétaire et financière serait frappé. Effectivement, ce conseil lui a imputé un certain nombre de fautes de gestion et a prononcé une déchéance administrative faisant que pendant une certaine période, il ne puisse pas occuper de fonctions de ce type. A la Fécafoot, on vous rétorquerait qu’elle est une association de droit privé.
Mais qui a une mission de service public, comme on le voit …
C’est là où on va rentrer dans les interprétations conflictuelles des mêmes dispositions juridiques. Dans ce cas, il y aura des conflits et comme c’est l’Etat qui a le monopole de la contrainte légitime, il va imposer l’interprétation qu’il pense être approprié.
Que cela veut dire, concrètement ?
Cela veut dire que, si l’Etat estime que si on peut inclure la Fécafoot dans ce champ-là, on considèrera aussi que M. Iya Mohammed ne peut pas être à nouveau candidat pour être président de la Fécafoot.
N’y a-t-il pas finalement une immiscion de l’Etat ?
Pour l’instant, M. Iya Mohammed est concerné par les sanctions infligées par le Conseil de discipline budgétaire et financière en tant que directeur général de la Sodecoton. Il n’y a pas de liens entre ses fonctions de directeur général de la Sodecoton et le fait d’être président de la Fécafoot. De manière plus générale, les dirigeants de la Fécafoot ont eu tendance à se protéger derrière le bouclier de la non immiscion qu’impose la Fifa, pour mener des actions qui ne semblent pas correspondre à leurs propres statuts. L’Etat, en tant que tutelle,s’il constate qu’il y a un certain nombre de choses faites en violation des statuts, peut demander à la Fécafoot de respecter ses propres statuts. Dans ce cas, on ne pourrait pas parler d’immiscion.
Entretien mené par Arthur Wandji à Yaoundé