Ancien entraîneur national sélectionneur des Lions Indomptables (1978 – 1981), ancien Lion Indomptable (1970 – 1981), titulaire de l’habilitation à diriger les recherches en physiologie des sports, Master of sciences en Biologie des activités physiques, il fait des propositions pour la restructuration du football camerounais. Entretien.
Avant le départ des Lions Indomptables pour la Coupe du Monde au Brésil, vous êtes de ceux qui pensaient qu’ils n’allaient rien gagner. Vous particulièrement, avez donné des arguments techniques et physiologiques pour dire que les Lions n’avaient pas de chance. Sur quoi vous fondiez-vous ?
En tant que biologiste et physiologiste des activités physiques, j’ai des équations. La première est celle de la performance physique. Elle est égale aux bienfaits de l’entraînement moins les méfaits de l’entraînement. Dans les méfaits de l’entraînement, vous avez le surentraînement et le sous-entraînement. Les joueurs avaient déjà passé cinq jours sans entraînements et ils avaient effectué un long voyage. Donc, ça constitue déjà un sous-entraînement (Performance physique = Bienfaits de l’entraînement – Méfaits de l’entraînement [surentraînement, sous-entraînement et blessure]). En d’autres termes, l’équation les bienfaits de l’entraînement, méfaits de l’entraînement allaient déjà vers la courbe descendante et cela va se confirmer avec la deuxième équation, qui est égale à Y, la performance, égale à A, qui est la santé du joueur, multipliée par le temps qu’on appelle X3, plus la motivation B. Cette motivation qui peut être intrinsèque ou extrinsèque, parce que le joueur s’en va au Mondial en se disant : je peux attraper un contrat et il faut que je me batte. La motivation extrinsèque est celle qu’on appelle l’argent et autre chose. On s’est aperçu que les Lions ont passé le temps à discuter des questions d’argent avec les autorités. Cela a aussi un effet au niveau mental du joueur. Quand cette motivation est forte, ça inhibe certains processus physiologiques de la performance. Quand cette motivation est aussi faible, ça peut inhiber la transmission des influx au niveau musculaire. Mes deux équations m’ont permis de dire que si je trace la courbe de performance de nos joueurs avec l’équation Y= AX3+B, la dérivée première qui est 3AX2. X, c’est le temps (Y=Performance physique, X = Temps du match, a= santé du joueur, b= Motivation [intrinsèque et extrinsèque] ; Y=aX3+b ; dérivée première Y=3aX²). Vous avez la première minute et à chaque minute, vous allez voir que la courbe sera descendante, parce qu’on avait certains joueurs qui étaient malades et la motivation pouvant inhiber certains processus, il ne fallait pas s’attendre à grand-chose.
Est-ce cela qui explique aussi le comportement antisportif de certains joueurs camerounais sur le terrain à certains moments ?
Quand on est sous-entraîné, on a des secrétions hormonales qui arrivent avec un retard. Vous avez constaté que chez les joueurs qui sont en méforme, lorsqu’ils veulent attaquer, ils arrivent toujours en retard et au lieu de jouer le ballon, ils touchent plutôt au pied de l’adversaire. Vous avez ensuite la sécrétion d’adrénaline, parce qu’à partir de la 60ème ou 67ème minute, la sécrétion d’adrénaline est très importante. Et on sait que ça rend les gens agressif. J’ai considéré aussi un autre cas la veille du match : est-ce que les joueurs ont dormi tôt ou alors tard ? C’est la question que je me suis posée. Parce que s’ils ont dormi tard, question de réfléchir ou bien de discuter ci ou ça, c’est sûr que dans leur système nerveux, il n’y a pas eu une bonne recomposition de la sérotonine. La sérotonine est une substance qui, au niveau du cerveau, permet, lorsqu’elle est bien secrétée d’éviter l’agressivité. Mais, lorsqu’elle est en petite quantité, on devient agressif. Donc, vous voyez la sommation baisse de sérotonine et augmentation d’adrénaline a poussé certains de nos joueurs à être plus agressifs, pas comme le sport le recommande. Il s’agit de la mauvaise agressivité.
Après cette mauvaise prestation du Cameroun à cette Coupe du Monde, cette équipe peut-elle se relever facilement ?
On apprend à travers les échecs. Si en 2010 on avait tiré les leçons de notre échec à la Coupe du Monde de cette année-là, on aurait peut-être mieux fait en 2014. Actuellement, comme le chef de l’Etat vient de demander au Premier ministre de lui fournir un rapport détaillé des causes de notre mauvais comportement et de notre contre- performance à cette Coupe du Monde, espérons que ce rapport va lui permettre de prendre certaines décisions. Mais, il y a lieu de rappeler que nous avons déjà tenu les états généraux du sport et de l’éducation physique, le forum national du football. A travers ces deux assises, des recommandations avaient été faites. Et si on appliquait seulement les 30 à 40% de ces recommandations, je crois qu’on pourrait se relever. En tant qu’entraîneur de football, je souhaiterais que les textes soient appliqués dans le décret n°72/600 et ses additifs, le rôle de l’entraîneur national y est défini.
C’est quoi ce rôle ?
On y parle de la technique et de la discipline au sein de l’équipe nationale. Là-dedans, on dit par exemple que si les joueurs doivent tenir une réunion, ils doivent d’abord obtenir l’accord de l’entraîneur national. Les retards ne sont pas autorisés, les bagarres sont interdites. Si on applique seulement cela, vous allez voir que certains de nos joueurs vont mieux se comporter.
Vous dites que les plaies de 2010 nous ont rattrapées. Si on vous demandait de faire des propositions pour relever ce football camerounais, que faut-il faire selon vous ?
Comme je viens de le dire, il faut respecter les textes, parce que le décret n° 72/600 et ses additifs ont vraiment mis le côté discipline et entraînement à jour. Si cela est respecté un peu, on va réduire les tensions entre les joueurs et l’entraîneur, les joueurs et les dirigeants. La deuxième chose est qu’on essaye d’appliquer les recommandations des Etats généraux du sport et de l’éducation physique et du Forum national sur le football. La troisième, quand on parle de patriotisme, c’est demander juste l’application des dispositions contenues dans le décret n°72/600 et ses additifs. Parce que des gens disent qu’il faut envoyer les joueurs au service militaire.
Je proposerais aussi de revisiter la convention Minsep/Fécafoot. Je constate que le Gouvernement voudrait conserver les Lions Indomptables au sein du ministère des Sports et de l’autre côté, la Fécafoot voudrait que cette équipe nationale lui revienne. Mais, comme les sponsors ne peuvent venir à la Fécafoot que lorsque les Lions Indomptables ont une bonne performance, cela signifie que dans les quatre à six ans, la Fécafoot risque de traverser des moments financiers très difficiles.
Les Lions Indomptables restent-ils encore un ambassadeur du Cameroun ?
L’image du pays au niveau diplomatique passe aussi par les Lions Indomptables, je suis en train de voir que le Gouvernement ne peut pas lâcher cette équipe, parce que son image risque d’être aussi ternie. Vous avez vu, quand il y a eu des bagarres, ont n’a pas parlé de la Fécafoot, mais du Cameroun. Les Gouvernements s’impliquent dans ces affaires. Vous avez vu pendant cette Coupe du Monde, le président français s’est fait filmer avec d’autres grands sportifs en train de regarder le match. On a vu Angela Merkel proche de l’équipe d’Allemagne. On a vu aussi le vice-président des Etats-Unis, qui est même descendu jusqu’aux vestiaires voir les joueurs américains. Cela veut dire que chaque pays voudrait redorer son blason. Nous sommes dans un siècle où les guerres n’existent plus entre des pays. C’est le football qui devient une espèce de guerre entre des pays. Il faut revisiter cette convention Minsep/Fécafoot pour essayer de dire que nous sommes entre nous et le Gouvernement voudrait dire ceci et la Fécafoot voudrait faire cela. N’oubliez pas que le Gouvernement est un bon négociateur. Il a réussi à faire plier la Fifa lors de la tripartite de Zurich. Ayant déjà bien négocié, il faudra revenir à l’intérieur de la Fécafoot pour lui expliquer que : vous dites que vous avez des moyens. Mais, ils risquent de s’amenuiser d’ici peu et toutes les équipes fanion, Espoir et junior seront à sa charge, avec les sélections régionales. Est-ce que la Fécafoot pourra tenir le coup quand on sait que nos clubs ne sont pas bien gérés et que l’organisation de notre football nécessite encore des efforts de toute part. En dehors du jeu, il est devenu une entité financière, une industrie. Cela nécessite des engagements de part et d’autre, une organisation et un contrat.
Au niveau de l’organisation, est-ce que la Fécafoot est bien organisée ? Au niveau du contrôle, est-ce que le Gouvernement le fait bien à la Fécafoot ? Tout ça est à refaire et je suppose que le Gouvernement est en train de dire à la Fécafoot : j’ai tenu compte de ce que la Fifa vous a dit, que vous êtes autonome. J’ai inclus ça dans le décret n° 96 et celui de 2011portant Charte des activités physiques. Toutes les Fédérations sont autonomes. Mais, je voudrais savoir si votre organisation vous permet de vous autofinancer, de gérer toutes vos équipes et de maintenir la paix au Cameroun. C’est la question que le Gouvernement se pose et j’ose croire que jusqu’à présent il n’est pas encore convaincu. Et c’est pourquoi le Gouvernement, au lieu de contrôler directement la Fécafoot, voudrait contrôler les Lions Indomptables, qui est le reflet de l’image du pays.
Voulez-vous dire que la question de volonté politique se pose ?
Oui et non. La volonté politique existe déjà. Si vous revisitez de manière qualitative les actions du Gouvernement. En 1972, après la défaite du Cameroun à la Can, le Gouvernement a eu une première vision en disant : moi, je voudrais relancer le football au Cameroun. Cette première vision a permis aux clubs comme Canon, Union, Tonnerre, Dynamo, de redorer le football camerounais. Et la deuxième vision a voulu que, compte tenu du fait que la santé des populations passe par la pratique des activités physiques. Le Gouvernement a trouvé qu’au niveau politique, il faut élargir la base de pratiquants. Il n’a plus beaucoup mis l’accent sur les clubs, mais au niveau de la base il a élargi pour que beaucoup de gens se mettent à la pratique du football dans l’optique d’avoir une bonne équipe nationale. La santé des populations seraient garantie et moins on aura des malades dans le pays.
On a toujours de meilleurs textes pourtant …
On a déjà les textes. Mais, il se pose la question des gens qui doivent l’appliquer. Je connais tous ces textes par cœur, pour avoir été entraîneur national. Nous avons essayé de les mettre en application avec Canon, Union, Tonnerre et Dynamo. A notre époque, on ne sentait pas beaucoup l’indiscipline à notre époque, parce qu’on savait que tout est prévu dans les textes. Vous venez en retard, je vous sanctionne en coupant un peu de votre argent et c’est le directeur administratif de l’équipe nationale qui applique ma décision. Donc, c’est une question de mettre en application les textes et ce sont des gens qui doivent le faire. La volonté politique est là, mais il faut peut-être la renforcer, en élargissant les actions du Gouvernement.
Pourquoi les meilleurs joueurs retenus en équipe nationale ne viennent aujourd’hui que des clubs d’Europe ?
Cela relève du conflit qu’il y a en ce moment où certains disent qu’il faut avoir un pourcentage de joueurs expatriés et celui des joueurs locaux en équipe nationale. Moi, je pense qu’il faut appliquer bêtement les textes. Le décret n°72/600 et ses additifs, dit que seuls les meilleurs joueurs, tant de l’extérieur que de l’intérieur constituent l’équipe nationale. S’il y a 23 joueurs à l’extérieur, qui sont les meilleurs et doivent défendre l’image du pays, on les prend. S’il y a 17 joueurs locaux par contre qui peuvent faire l’affaire sur les 23, il faut les prendre. A notre temps, nous avons travaillé pour que les meilleurs soient des locaux. Avec l’entraîneur Ridanovic, nous avions Canon, Union, Tonnerre, Dynamo, Fédéral de Foumban, Racing de Bafoussam où on sélectionnait certains de nos éléments. Il y avait quelques rares clubs, comme Union d’Abong-Mbang où on avait pris un joueur, Jean-Daniel Eboué, qui était finalement parti de là pour Canon. Ces meilleurs étaient retenus et on avait un petit pourcentage. Roger Milla était parti et revenait de temps en temps jouer sans problème, parce que nous avions déjà donné une conception de jeu à Canon, Union, Dynamo et les autres. Ils avaient notre conception de jeu et il était facile de les réunir en deux semaines pour améliorer le système de jeu et la cohésion.
Entretien mené par Antoine Tella à Yaoundé