Le Président de la Fécafoot, Samuel Eto’o, est désormais convaincu que quel que soit l’ampleur de ses incartades, rien ne pourra jamais lui arriver. Lorsqu’il a tenu, il y a quelques semaines, une réunion avec les acteurs qui comptent de sa sphère tribale, il leur a mentionné que quoi qu’il arrive, il est intouchable dans ce pays et même ailleurs dans le monde. Et il affirme avec emphase que « Infantino et Motsepe n’ont pas de choix que protéger Samuel Eto’o », parlant de lui-même à la troisième personne du singulier.
Le jeune homme de New Bell a fait du chemin. Jadis capitaine de la sélection nationale, il aimait revendiquer des primes à la hauteur du sacrifice des joueurs sur le terrain. Il avait réussi en 2014, à forcer le gouvernement de la République à verser plus de 50 millions de FCFA à chaque joueur ayant participé au mondial du Brésil. En 2010, c’était près d’une quarantaine de millions.
Son engagement syndicaliste et son aura de joueur lui ont fait réaliser qu’il pouvait être un être qui compte. Des exemples de réussite et de reconversion de certains joueurs tels que Platini, ou encore George Weah vont le convaincre qu’un joueur peut aussi être un dirigeant. Si les deux autres sont retournés sur les bancs pour apprendre à gérer les hommes, Samuel Eto’o qui aime aller vite sait trouver des raccourcis.
Il va bâtir autour de lui des réseaux d’influences qui vont le pousser vers les cimes. Au vu de la réalité de ce qui se passe actuellement, ces réseaux ne sont pas tous sains. Drapé de l’aura du footballeur qui a jadis gagné des centaines de millions d’euros, l’homme se sent intouchable.
Infantino et Motsepe font-ils partie du réseau d’influence multiforme tissé par Samuel Eto’o ?
Et le mythe grandit de manière exponentielle, nourri par ses multiples bravades. Après avoir foutu le bordel dans la tanière lors de la Coupe du Monde 2010, il va s’en sortir sans trop de difficultés. Lors du même tournoi en 2014, la grève qu’il a nourrie et ses entraves dans le travail du coach incluant l’imposition du choix des joueurs ne lui causeront aucun tort.
Son coup de plus fumant aura été d’avoir su récupérer la victoire au TAS de Abdouraman Hamadou et avoir profité de sa proximité avec le nouveau Président de la FIFA, Gianni Infantino, pour mettre la main sur l’entièreté du football camerounais. On est en 2017.
Depuis lors, Samuel Eto’o a établi un réseau d’influences à partir du football jusque dans les hautes sphères de la politique. Des ministres de la République, des gouverneurs des régions, des hauts responsables de l’appareil sécuritaire, lui mangent dans la main. En contrepartie, il les tient puisqu’il enregistre toutes leurs incartades avec des filles de joie.
Les présidents des clubs créent une association dissidente ? Il ne va faire que passer un coup de fil à Atanga Nji, qui va s’empresser, au mépris des lois, d’annuler la déclaration d’association. Ce qui est ubuesque et totalement illégal. Pourquoi le ministre de l’Administration Territoriale, si puissant, ne rabaisse à servir un ancien comédien du ballon ? La question mérite d’être posée. Ce qui est sûr, répond un membre du Comité Exécutif, Eto’o tient aussi Atanga Nji.
Si c’est le cas, Gianni Infantino, le Président de la FIFA, Patrice Motsepe, le Président de la CAF ont-ils des secrets connus par Samuel Eto’o ?
Des règles bonnes pour les occidentaux, mais pas pour les africains
Et justement, au Cameroun, plusieurs personnalités ont saisi Gianni Infantino, le président de la FIFA, et Patrice Motsepe, de la Confédération africaine de football (CAF), pour s’indigner de l’intouchabilité de cet homme. Il aura beau être impliqué dans toutes sortes d’actes criminels, il aura beau violer toutes les règles de la FIFA, rien ne lui arrivera. À contrario, la FIFA est prompte à sauter dans les airs pour sauver le football dans les pays occidentaux ou dits « civilisés ».
« Elle a pris rapidement des mesures contre Luis Rubiales [le président démissionnaire de la fédération espagnole, accusé d’agression sexuelle sur une joueuse après la finale de la Coupe du monde féminine et suspendu 90 jours par la FIFA six jours après les faits]. Mais la FIFA n’a pas esquissé la moindre réaction en ce qui concerne les actes de Samuel Eto’o, alors que les faits et les preuves s’accumulent et qu’il ne devrait plus être en poste », s’étonne Guibaï Gatama.
La FIFA viole elle-même ses propres textes pour protéger un homme qui aura finalement été imposé au Cameroun. L’association dirigée par Gianni Infantino ne s’offusque pas de la qualité perdue par Eto’o après sa condamnation par la justice espagnole :
« Il a été condamné en juin 2022 par la justice espagnole pour fraude fiscale à hauteur de 3,8 millions d’euros, à vingt-deux mois de prison ferme, une peine assortie d’un sursis de cinq ans. Si l’on regarde les statuts de la Fécafoot, cette condamnation aurait dû aboutir à sa démission. Samuel Eto’o a également signé en mai 2023 avec la société de paris sportifs 1XBET un contrat de sponsoring personnel. Qu’aurait-on dit si un entraîneur ou un arbitre avait fait la même chose ? », interroge le même interlocuteur contacté par le quotidien Le Monde.
Un enregistrement audio qui dévoile le plan de manipulation de matchs
Et il y a aussi et surtout la diffusion d’un enregistrement audio entre Samuel Eto’o Fils, le Président de la Fécafoot, et Valentine Nkwain, le Président de Victoria United, club qui était en deuxième division, dans lequel le premier confirmait au second que tout serait mis en œuvre pour l’accession de son club en première division. Des arbitres, leur commission, et la chambre d’homologation et de discipline ont été mis à contribution. Et malgré les preuves accablantes, la promesse a été tenue.
La CAF avait décidé de se saisir de ce dossier et de faire enquête au mois d’août.
« Depuis, il ne s’est rien passé. Il y a des règles pour tout le monde mais, visiblement, Samuel Eto’o y échappe. Dans l’histoire récente, des dirigeants comme Sepp Blatter, Michel Platini ou Ahmad Ahmad [respectivement anciens présidents de la FIFA, de l’UEFA et de la CAF] ont été sanctionnés mais, pour lui, il ne se passe rien. C’est assez troublant », explique Henry Njalla Quan Junior, qui a démissionné de son poste de 4e vice-président de la fédération, interrogé par Le Monde.
Il y a peut-être une lueur au bout de la nuit. Camfoot.com publiera en début de semaine prochaine un dossier accablant qui pourrait faire basculer l’équilibre des forces.