Elle dépasse le cadre d’une simple élection d’un dirigeant sportif. L’élection du Président de la Fédération Internationale de Football Association (FIFA) revient à élire l’un des dirigeants les plus influents de la planète. Kofi ANNAN à l’ONU a balayé les doutes légitimes nés du terne mandat de son prédécesseur et frère africain, Pierre BOUTROS GHALI, et confirmé que les Africains pouvaient rival.
Yaoundé, le 1er avril 2002 : Nous vous l’annoncions il y a quelques semaines, ce qui était jusque-là considéré comme de l’ordre de l’impossible est passé dans le domaine du possible voire du souhaitable: un Africain sera candidat à la prochaine « élection présidentielle » à la Fédération Internationale de Football Association, la FIFA. Et il ne s’agit pas de n’importe quel Africain, puisqu’il s’agit de Issa Hayatou, l’actuel Président de la Confédération Africaine de Football, la CAF, un homme dont l’intégrité et les qualités sont mondialement reconnues. Cette élection est loin d’être considérée comme simple, ou simplement comme celle d’un président d’une fédération sportive internationale. Elle a d’abord une valeur symbolique, en ce que, une fois de plus, l’Afrique a là une nouvelle opportunité de s’affirmer dans le concert international. Après les ternes et fades années du mandat de l’Egyptien Pierre Boutros-Boutros Ghali à la tête de l’Organisation des Nations unies, certains avaient douté de la capacité des Africains à gérer les grandes organisations internationales. Grâce au charisme, au dynamisme et à l’intelligence de l’ultra-diplomate Kofi Annan, l’Afrique a su retrouver son rang et son prestige auprès de la communauté internationale. Issa Hayatou est de cette lignée des grands dirigeants africains, et part de facto avec un bon curriculum vitae pour briguer la présidence de ce qui n’est pas qu’une simple fédération sportive.
La FIFA est certainement la plus riche des fédérations sportives de ce monde, l’une des plus importantes, certainement la plus influente au niveau planétaire. Cette élection a donc aussi une portée politique certaine. Car il ne s’agit pas que d’élire le président de la FIFA, mais d’abord et surtout un des hommes les plus influents au monde, qui a rang de chef d’Etat. Un homme qui peut rencontrer le matin Paul Biya au Palais de l’Unité à Yaoundé, et Gerhard Schroeder, Silvio Berlusconi ou Lionel Jospin l’après-midi, avant d’aller s’entretenir avec Messieurs Bush aux Etats-Unis ou Dualde en Argentine le lendemain. Elire donc un Africain à un tel poste est-il possible? Parfaitement, et cela est même souhaitable. Les Africains, à maintes reprises, ont eu à faire preuve de leurs compétences au sein d’organismes internationaux, aussi prestigieux que l’ONU avec Monsieur K. Annan, l’UNESCO avec le Senegalais A. Matar Mbow, ou encore à l’UNITAR… ou à la FAO. Certes avec des fortunes diverses, comme ce fut le cas avec les autres, Européens, Sud-Américains ou Asiatiques.
Souhaitable aussi est l’élection de l’Africain Hayatou à la tête de la FIFA, pour récompenser en quelque sorte ce continent qui contribue tant au développement du football mondial. L’Afrique reste le vivier du football européen, un de ses meilleurs contributeurs. Mais une Afrique qui manque de tout, des infrastructures sportives, de politiques sportives nationales, de cadres juridiques pour protéger ses poussins contre l’exploitation et le pillage par certains grands clubs de football européens. Qui, dès lors, mieux qu’un Africain, peut-être bien placé pour comprendre de telles situations et tenter de les résoudre? Bien sûr, il serait malhonnête de ne pas reconnaître les efforts déployés par le Suisse Joseph Blatter en faveur du continent noir. Mais beaucoup reste aussi à faire dans cette Afrique, probablement par quelqu’un à la sensibilité et à la fibre africaines. L’écueil ici, pour Monsieur Hayatou, serait de se présenter au monde comme le candidat d’une minorité, noire ou africaine, c’est-à-dire le candidat d’un continent. Fort heureusement, lui-même a levé toute ambiguité à ce sujet lors de sa déclaration de candidature en début mars dernier. Et c’est ici le caractère hautement politique de cette élection rejaillit.
La politique, que certains définissent comme étant l’art de faire des additions et non des divisions, devrait être l’un des meilleurs leviers et atouts de l’Africain Hayatou, à côté de son bilan à la tête de la Confédération Africaine de Football, jugé par tous comme excellent. Issa Hayatou devra donc d’abord s’atteler à rassembler au sein de son propre camp africain, un parmi les trois qui font et défont l’élection du président de la FIFA, avec les camps européens et sud-américains. Son bilan est largement positif, sa personnalité plaît à beaucoup, son flegme et sa droiture ne seront pas de trop pour l’aider à surmonter facilement les querelles bizantines entre Anglophones et Francophones, Arabophones et Lusophones.
Souhaitable, son élection à la tête de la FIFA l’est également et précisément, pour montrer que l’Afrique peut, pour une fois, être unie, et parler d’une seule et même voix. Après la cacophonie observée entre Africains lors des candidatures pour l’attribution du Mondial 2006, le continent devrait trouver en cette élection une voie de reconciliation entre tous ses enfants, qu’ils parlent l’anglais, le francais, l’arabe, l’espagnol ou le portugais. L’Unité africaine, qui n’a jamais été qu’un mot, qu’un voeu demeuré pieux jusqu’ici, devrait s’affirmer à l’occasion de cette élection du président de la FIFA. Et servir peut-être de modèle à d’autres événements majeurs mondiaux, où l’Afrique a souvent brillé par ses divisions; fragilisant ainsi ses chances de développement. Justement, il faudrait un signal fort des Africains, pour que Monsieur Hayatou, s’il est élu, ne parte pas affaibli du fait de ses propres alliés.
Au-delà de la légitime fierté que son pays natal (le Cameroun) pourrait tirer de cette élection, ce serait aussi une belle récompense, une médaille supplémentaire pour l’équipe nationale de football qui fait actuellement la fierté de tout le continent africain, les Lions Indomptables; celle d’avoir à la tête de la FIFA un président issu du pays dont ils sont originaires. Sport et politique étant intimement liés -certes pour de très mauvaises raisons en Afrique, Paul Biya devrait se jeter dans l’arène et voler au secours de Monsieur Hayatou. La diplomatie camerounaise devrait se déployer partout en Afrique, en Europe, dans les Amériques, en Asie…, pour promouvoir la candidature de l’Africain Hayatou. Le sport et le football en particulier contribuent au développement des pays, ils sont également un des meilleurs ambassadeurs à l’étranger de ces pays. L’Afrique qui a toujours été regardée pour ses guerres et ses famines, sa corruption et ses républiques bananières, pourrait trouver en cette élection, une nouvelle occasion pour tenter d’effacer cette image erronée.
La candidature de Monsieur Issa Hayatou a donc toutes les bonnes raisons d’être. Elle symbolise la maturité de l’Afrique, et devrait apporter un peu de fraîcheur dans une maison jusque-là aux mains de deux continents. Elle n’est ni malvenue, ni anticipatrice, encore moins folklorique; elle est tout simplement nécessaire, juste et normale. C’est aussi l’aboutissement normal et fabuleux de la carrière d’un homme qui a consacré sa vie au ballon rond, depuis la Fédération Camerounaise de Football. Bien sûr que rien n’est joué, surtout face à un vieux briscard, fin tacticien et stratège comme Monsieur Blatter, « fils spirituel » de celui dont le nom se confondait avec celui de la FIFA, le Brésilien Joao Havelange. La candidature de Issa Hayatou devrait donc se poser en rupture avec un certain système, dont Sepp Blatter n’aura été que le continuateur.
Bonne chance Monsieur Hayatou.
Jean-Tobie OKALA