Le candidat à la présidence de la Fédération internationale de football, homme clé du football africain, Issa Hayatou croit en sa capacité à « gérer les gens ».
Il est né prince, il aspire à devenir roi. Quoi de plus naturel ? Pour Issa Hayatou, candidat à la présidence de la Fédération internationale de football (FIFA), le pouvoir est une seconde nature. « Mon père était sultan, j’ai très tôt été initié à gérer les gens », explique ce Camerounais de 55 ans, avec un sourire d’évidence. Régner sur le monde du ballon rond serait pour lui une étape logique, au bout d’une trajectoire rectiligne de trente ans de pouvoir sur le football camerounais, puis africain. Le président de la Confédération africaine de football (CAF), candidat contre le sortant Joseph Blatter, se hâte sans stress apparent vers l’échéance. « Ce n’est pas le combat de ma vie », dit-il pour relativiser l’enjeu. En cas d’échec, il le jure, il n’en ferait pas une maladie : « Je pense que je peux rendre service au football mais il faut être humble. »
Fils du lamido (chef traditionnel en peul) de Garoua, une ville du nord du Cameroun, Issa Hayatou n’a jamais eu à manifester ses ambitions. On les a toujours devancées. S’il s’est déclaré candidat en 2002, dit-il, c’est à la demande de ses amis. Comme en 1988, lorsqu’il succéda, à la surprise générale, à l’Ethiopien Ydnekatchew Tessema à la tête de la CAF. Sans doute n’avait-il rien demandé non plus, en 1974, lorsque, jeune professeur d’éducation sportive au lycée Leclerc de Yaoundé, il se trouva bombardé secrétaire général de la Fédération camerounaise de football (Fécafoot). A 28 ans, il n’avait ni expérience de gestionnaire ni passé de footballeur. C’est pourtant lui que le ministre des sports de l’époque, Félix Tonye Mbog, charge de remettre de l’ordre dans une maison minée par les défaites à répétition des Lions indomptables.
GESTION MODERNE
Déjà international, Joseph-Antoine Bell, l’ancien gardien de but camerounais, se souvient : « Les gens l’ont aidé à réussir du fait de sa parenté. »Le président de la République, Ahmadou Ahidjo, lui aussi originaire du nord, n’avait-il pas épousé sa sœur ? Mais Issa Hayatou, « cadre administratif modèle », selon un témoin, a surtout bénéficié de l’embellie des clubs camerounais, qui trustaient les coupes d’Afrique à la fin des années 1970 : « Ce sont les succès des clubs de Yaoundé et de Douala qui m’ont propulsé sur la scène internationale auprès de mes pairs. »
Ce dirigeant africain atypique séduit très vite les journalistes spécialisés. L’Equipe voit en lui « le Raimundo Saporta africain », en référence au mythique patron du Real Madrid. Sa gestion moderne détonne. « Au retour du Mundial espagnol de 1982, où il accompagnait l’équipe nationale, il a restitué à l’Etat les sommes d’argent non dépensées », rappelle Gérard Dreyfus, de Radio France internationale. Du jamais vu sur un continent gangrené par la corruption.
Devenu son ami, le journaliste explique qu’il n’a pas besoin de travailler pour vivre, en raison des revenus fonciers de sa famille : « S’il est entré dans la fonction publique, c’est par volonté de servir son pays. Chez les Hayatou, être utile est un devoir moral. » Son frère aîné, Sadou, a été secrétaire général de la présidence, puis premier ministre de 1991 à 1993. Certains voyaient en cet économiste distingué, aujourd’hui « en réserve de la République », un successeur potentiel du président Paul Biya. Son frère cadet, Alim, est actuellement secrétaire d’Etat à la santé.
Issa Hayatou n’a pas fait d’études aussi brillantes que ses frères. « Après le baccalauréat, raconte-t-il, j’ai refusé une bourse pour l’école des Ponts et Chaussées à Paris, je me suis inscrit à l’université pour devenir prof de gym. » « A cette époque, dit cet ancien athlète de haut niveau, champion du Cameroun du 800 m et international de basket-ball, j’idéalisais le milieu du sport. » Il n’enseignera qu’un an, avant d’être rattrapé par cette culture du pouvoir dans laquelle il a été élevé : « En seconde au lycée de Douala, j’étais déjà président des étudiants et je les ai représentés face au ministre lors d’un conflit. » Il faisait aussi fonction de maître d’internat tout en étant élève, et sa haute silhouette ainsi que son charisme nonchalant étaient respectés par ses condisciples. Joseph-Antoine Bell a été l’un d’eux, de la 6e à la 4e : « Il avait naturellement l’âme d’un chef. »
SOLIDES INIMITIÉS
Ces qualités, Issa Hayatou les a manifestées pendant neuf ans à la fédération, puis comme directeur des sports de 1982 à 1986, enfin comme vice-président et président de la Fécafoot jusqu’en 1988. Une fois élu à la tête de la CAF, il met en avant les bons résultats des équipes africaines aux Coupes du monde de 1990 et de 1994 pour arracher au Brésilien Joao Havelange, alors tout-puissant patron de la FIFA, trois places supplémentaires pour l’Afrique en phase finale à partir de 1998. Ce sera son plus grand succès, avec l’appui des Européens. Mais il échouera lorsqu’il s’agira d’attribuer l’organisation du Mondial à un pays africain (Maroc, Afrique du Sud) et soutiendra Lennart Johansson, l’adversaire malheureux de Joseph Blatter lors de la dernière élection à la FIFA. « Il sait gérer mais il n’a pas de sens politique, c’est un instinctif », confie un de ses proches.
Affable et souriant, à l’aise dans un costume de bon faiseur comme en boubou traditionnel, il ne manifeste jamais d’impatience. « J’écoute beaucoup, mais je ne suis pas influençable, déclare-t-il. Quand on consulte, on sacrifie peut-être le secret mais on fait beaucoup moins d’erreurs. » Ses adversaires lui reprochent pourtant de s’être entouré de courtisans, de privilégier les musulmans comme lui, de ne pas parler l’anglais, etc. Depuis quatorze ans à la tête du football africain, Issa Hayatou a toutefois été plébiscité à chaque réélection. Mais les plus solides inimitiés viennent de son propre pays. « C’est quelqu’un du Nord, un musulman, un nanti, cela crée des jalousies », analyse Gérard Dreyfus.
Joseph Antoine Bell est un des plus critiques, persuadé que son ancien « grand frère » du lycée de Douala s’est opposé à sa candidature à la tête de la Fédération camerounaise : « Pourquoi ferait-il à la FIFA ce qu’il n’a pas fait à la CAF ? Avec lui, le niveau du football a baissé, pour des profits financiers dont l’Afrique ne voit pas les retombées. » Allusion à la refonte des coupes d’Afrique et aux droits de télévision négociés avec le groupe de Jean-Claude Darmon. En compagnie d’autres gloires africaines, comme Roger Milla, Abedi Pelé ou George Weah, Joseph-Antoine Bell lui reproche son « profond mépris des footballeurs ».
L’ARISTOCRATE DE GAROUA
Le Camerounais refuse de polémiquer avec « ces hommes du passé », et empêche ses collaborateurs de publier la (longue) liste des joueurs africains en activité qui le soutiennent. Il ne faut pas se tromper d’élection, dit-il, ce ne sont pas les joueurs qui votent, mais les présidents de fédération. Il est plus ennuyé par la rumeur selon laquelle sa candidature serait soutenue du bout des lèvres par les autorités de son pays. De mauvaises langues auraient expliqué au président camerounais que le président de la FIFA a un quasi-statut de chef d’Etat et gère un budget bien supérieur à celui du Cameroun. « En aucun cas, je ne peux être un danger pour le président Biya, il me connaît, il m’a accompagné dans tous mes combats depuis mon plus jeune âge, le Cameroun est comme un seul homme derrière moi, il n’y a pas un nuage », assure-t-il.
Brusquement en pleine lumière avec cette candidature planétaire, l’aristocrate de Garoua a dû forcer sa nature réservée. Il parle peu, se dévoile encore moins. « Il y a un peu de timidité chez lui », dit un ami. « Peut-être un petit complexe car il n’a pas pris le temps de se cultiver », avance un autre. Dans son curriculum vitae, il a glissé le minimum : « Marié, quatre enfants. » Alors, il faut insister un peu : il a deux maisons à Yaoundé, dont une de fonction comme les ministres, il est « très pratiquant », a fait en février le pèlerinage de La Mecque « pour la deuxième fois », et profite de chacun de ses séjours en Arabie saoudite pour « effectuer le petit pèlerinage ».
Souvent au Caire, où il inaugurera, en septembre, le nouveau siège de la CAF, presque aussi souvent à Zurich, siège de la FIFA, Issa Hayatou sillonne le monde du football depuis trente ans. Mais, avoue-t-il, « dès que j’ai cinq jours, je retourne au Cameroun et je passe au moins une nuit à Garoua, ma ville natale, pour me ressourcer, mon cordon ombilical est enterré là-bas ».
Jean-Jacques Bozonnet