L’ancien pilier du système de Pierre Lechantre dénonce les pratiques peu glorieuses du milieu de la sélection nationale de football.
Comment expliquez-vous votre mise à l’écart des Lions ?
C’est simple. On estime que c’est par ma faute que l’équipe n’a pas quitté Paris à temps pour la Coupe du monde Corée-Japon. Or, il se trouve que 23 joueurs ont assumé une décision et qu’aujourd’hui, moi je paie. Simplement parce qu’il y avait un malaise: les joueurs, dans leur ensemble, voulaient qu’on règle cette question de primes avant de quitter la France. Le capitaine n’a pas pris ses responsabilités de réunir les joueurs et ensemble décider de la conduite à tenir. Moi, j’ai juste exprimé ce que tout le monde pensait. Et aujourd’hui je paie.
Est-ce que les dirigeants vous ont expliqué cela clairement ?
Après la Coupe du monde, des responsables de la Fécafoot m’ont dit qu’il fallait que j’envoie une lettre d’excuses au ministre de la Jeunesse et des Sports et à la Fécafoot. Or, il s’agissait d’un piège. Les deux numéros de fax qu’ils m’ont donné n’allaient pas au Minjes et encore moins à la Fécafoot. En fait, il s’agissait d’un numéro de fax de la Présidence et l’autre était celui des services du Premier ministre. Je vais l’apprendre plus tard. Puisqu’on m’expliquera là-bas que j’ai avoué que ce qui est arrivé à la Coupe du monde n’était pas de la faute du ministre, mais de celle des joueurs. Et mon fax servait de preuve. En fin de compte, je suis le parfait bouc émissaire. S’il ne s’agissait que de moi, je n’aurais jamais envoyé ces fax. Mais ma femme, puis des amis, comme Patrick (Mboma) mon dit: “envoie le fax pour t’excuser”.
Et Winfried Schäfer, le coach, quelle est sa position ?
Le coach m’a fait payer un billet d’avion pour aller voir le ministre de la Jeunesse et des Sports, Bidoung Mpkatt. Je suis allé spécialement au Cameroun vers la mi-mai. Je me suis rendu à ses bureaux. Mais il ne m’a pas reçu. Sa secrétaire m’a dit de passer le lendemain, puis le surlendemain… J’étais au Cameroun spécialement pour le rencontrer mais il n’a pas jugé utile de me recevoir. Même seulement pendant une minute. Le chef de l’Etat nous a élevé au grade de Commandeur. A ce titre, c’était quand même la moindre des choses d’être reçu par son ministre de tutelle. Même s’il a un différent personnel avec moi, au moins qu’il me reçoive et qu’il me le dise. Il ne l’a pas fait. Personne ne l’a fait.
C’est le coach qui m’avait dit qu’il m’avait retenu dans sa liste mais qu’au préalable, il fallait que je vois le ministre qui s’oppose à ma sélection. C’est pour cela que j’ai payé mon billet d’avion et que je suis allé au pays.
Et pour la Can, il y a eu cette liste de 31 avec votre nom, le coach vous en a-t-il parlé ?
Je n’ai plus eu des nouvelles du coach. Et puis lorsque j’ai entendu parler de cette liste des 31 avec mon nom, je l’ai appelé pour en savoir plus. Il m’a dit qu’il lui a été demandé de travailler avec les joueurs qui étaient à la Coupe des confédérations et qu, par ailleurs, avaient donné satisfaction. Quant à moi, mon problème n’étant pas sportif, il n’est pas de sa compétence.
Je lui ai simplement dit que je respectais sa façon de voir les choses mais que les compétitions se suivent mais ne se ressemblent pas. Aujourd’hui je suis demandeur. Mais je pense qu’il vaut mieux, pour une compétition comme la Can, faire appel à toutes les compétences d’un pays comme le nôtre.
Vous n’êtes pas le seul. Patrick Mboma, Alioum Boukar ne sont pas là non plus…
Je trouve effectivement qu’il y a beaucoup d’ingratitude vis-à-vis des joueurs. Non pas de la part des hauts responsables qui ne savent pas toujours ce qui se passe au ministère de la Jeunesse et des Sports. C’est par exemple le cas d’un monsieur qui s’appelle Nguidjol. C’est par sa faute qu’Alioum n’est plus convoqué en équipe nationale. Les joueurs doivent recevoir les fax dans leur club 14 jours à l’avance pour pouvoir être libérés. Ce M. Nguidjol a dit qu’il avait envoyé un fax à Alioum et qu’Alioum avait refusé de venir. Ce qui est totalement faux. Alioum c’est quelqu’un de très attaché aux Lions indomptbales. Il a donné le bonheur au pays en 2000 et 2002. Et comme ça, du jour au lendemain, on le chasse comme un vaurien, sans aucune explication. Je trouve que c’est insultant. Je ne remets pas en cause les qualités du jeune Kameni, c’est un bon gardien. Mais il faut savoir qu’il y a des gens qui ont donné, qui sont encore là. Le Cameroun a bien eu Nkono et Bell. Pourquoi aujourd’hui, parce que Kameni est bon, faire comme si Alioum n’avait jamis existé ! Et je peux vous dire qu’on a sacrifié Alioum pour faire entrer dans l’équipe des jeunes gardiens qui sont au pays, qui ne sont mêmes pas les meilleurs là-bas, pour des raisons que je préfère ne pas évoquer ici.
La mise à l’écart de Alioum Boukar vous rend particulièrement amer…
Pour moi, Alioum devait être là, tout comme Patrick Mboma et moi-même. Si on ne pensait qu’à la victoire qu’il faut remporter à Tunis, on aurait fait appel à tous ces joueurs. Dans un groupe, il y a certes le talent, mais il y a aussi l’expérience. Alioum et moi, on est là depuis 96. Patrick est là depuis 98. On a connu 4 Can. Deux perdues, deux gagnées. C’est une expérience énorme. Et se priver de joueurs d’expériences comme ça est injuste. Surtout ceux qui ont donné la victoire à leur pays. Et en plus de cela, Marc-Vivien n’est plus là. Ça fait autant de figures d’expérience qui seront absentes. Je me dis qu’il y a des joueurs qui ne doivent quand même pas partir comme ça.
Et vos coéquipiers, comment réagissent-ils ?
J’ai compris qu’on n’était pas solidaire, qu’on n’était plus un groupe. Si on a gagné en 2000 et 2002, c’est parce que nous étions un groupe soudé, solidaire. Tout le monde en voulait. Mais je constate que, désormais, chacun veille d’abord à sauver sa tête, à garder sa place. Avant, il y avait le groupe, mais désormais, chacun ne pense pas qu’à lui. Tout ça ne se passerait pas comme ça s’il y avait un bon meneur. Aujourd’hui, cette équipe n’a pas le meneur qu’il faut. Le capitaine est du coté des dirigeants et non aux côtés des joueurs. Car voilà une équipe qui perd, en quelques mois Alioum, Mboma et Lauren. C’est vrai que Lauren a dit qu’il ne voulait plus jouer avec les Lions indomptables, mais c’était quand même la moindre des choses de discuter avec lui, de comprendre pourquoi. S’il a pris cette décision, c’est qu’il y avait bien un malaise. Ce garçon a opté pour le Cameroun par attachement pour son pays. Il est arrivé. On lui a fait toutes sortes de misères. Il faut quand même que, dans un groupe, le meneur interpelle les dirigeants, cherche à savoir pourquoi on exclut tel ou tel, pourquoi tel ne vient plus. Et non qu’il soit le porte-parole des dirigeants pour leur faire plaisir.
Vous avez le moral ?
C’est difficile, moi j’essaie d’avoir le moral. D’autres pas. C’est le cas d’Alioum qui ne comprends pas. C’est le cas de Patrick (Mboma Ndlr) qui est déçu. Vraiment déçu de voir comment on gère l’équipe nationale alors que c’est le patrimoine du pays. On est déçu de voir que quelques personnes imposent leurs lois aux joueurs et orientent la sélection en fonction de leurs intérêts. Je parierai que le chef de l’Etat, qui a toujours montré un attachement particulier aux Lions indomptables, n’a pas la bonne information. Peut-être devrait-il confier à un de ses proches collaborateurs la mission de voir de près l’ambiance au sein du groupe. J’aurai aimé donner encore pour mon pays. Mais comme je sais que c’est sur des critères non sportifs que je suis écarté, j’essaie de m’y faire.
Propos recueillis par Abdelaziz Mounde à Paris.