L’ancien président – trésorier des Kalara Boys est une énigme. Découverte de la face visible de l’iceberg, dans la série consacrée aux présidents de clubs mythiques.
Le mythe reste très entier sur la personne du Général des armées, Pierre Semengue. L’ancien président du Tonnerre Kalara Club de Yaoundé a préservé un côté mystérieux, et, bien malin qui pourra décliner avec précision ses différentes facettes. Au risque de se tromper, quelques acteurs téméraires se sont prêtés au devoir de mémoire. L’unanimité se fait notamment sur la passion qui a caractérisé l’un des plus anciens supporters du club de Mvog-Ada. « Le Général Semengue avait un amour poussé pour le football en général, et le Tkc en particulier », explique Ondoua Quentin, ancien joueur et président provincial (Centre- Sud) du Tkc. A en croire Michel Aloa Abanda, alias « Président à vie », cette passion remonterait aux années 1956, alors que le jeune Pierre Semengue est élève au Lycée général Leclerc de Yaoundé.
Après un long séjour hexagonal (à Saint Cyr) pour sa formation professionnelle, le jeune officier s’illustre discrètement comme membre actif du Tonnerre Kalara club de Yaoundé, aux côtés de Martin Omgba Zing et compagnie. Il y fait ses classes pendant presqu’une décennie. Contre son gré, les premières responsabilités lui sont confiées, notamment le poste de trésorier. « Ce fut le plus désintéressé des gestionnaires que j’ai jamais connu. Avec lui, le Tkc n’a jamais connu de problèmes de caisse. Bien au contraire, il a réussi l’exploit d’avoir un reliquat de gestion de 15 millions de Fcfa après une saison sportive couronnée par le doublé – coupe et championnat – « , témoigne Michel Aloa Abanda.
Humilité
La rigueur du trésorier du Tkc, dans un environnement où la plupart de dirigeants viennent se servir, force le respect. Jamais il ne s’est laissé aller à quelque acte de corruption. Il rétorquait : « je préfère donner cet argent à mes joueurs pour qu’ils soient plus motivés ». Bien plus, sa disponibilité et sa simplicité marquent les esprits.
Raphaël Nkoa, journaliste, témoigne : « malgré ses hautes fonctions, le « Général » faisait fi de son rang social lorsqu’il se retrouvait dans les milieux du sport ».
Ses qualités d’homme de chœur n’étaient pas en reste. « Il a hébergé dans sa maison Adama Zico. C’était pour éviter que ce dernier se livre à la consommation abusive d’alcool », se souvient avec une pointe d’émotion Michel Aloa Abanda qui continue : « le Général sait aussi être très affable. Il a aidé chacun de nous. Très souvent, il trouvait du travail aux joueurs de l’équipe ». Toutes choses, on s’en doute, qui le prédestinaient à un grand destin dans son club chéri.
Où sont donc les Mvog-Ada ?
A son corps défendant, le Général Pierre Semengue est investi président des Kalara Boys en remplacement de Doun Owona René. En fait, il est le seul homme du consensus dans la crise qui divise l’équipe en cette fin des années 80. « C’était un bon pédagogue. Il ne forçait rien. Lorsqu’il parlait, tout le monde approuvait. Il n’utilisait pas l’autorité militaire. Et jouissait d’une très grande estime auprès des supporters », souligne le président à vie » du Tkc. Le moins que l’on puisse dire est que le général Semengue hérite ainsi d’un véritable cadeau empoisonné. En effet, le principal mécène du club, Omgba Damase, claque la porte, comme fatigué par les graves querelles intestines qui minent le club. De même, l’effectif de l’équipe se réduit à sa plus simple expression. La légion étrangère, emmenée par la forte colonie libérienne, s’en va. Les départs massifs des fils du pays, pour l’Olympique de Mvolyé, sont en outre enregistrés. En clair, le Tonnerre est un bateau dans la tourmente.
Le président plébiscité prend immédiatement le gouvernail en définissant la théorie d’une contribution de 1 000 Fcfa par supporter dont le nombre global est évalué à 100 000. « Nous bouclerons sans problème notre budget et l’équipe ne s’en porterait que mieux », clame-t-il. Mais, le très expérimenté patron du Tkc ne connaissait pas encore très bien son petit monde. Très vite, il se retrouve seul à supporter toutes les charges de l’équipe. En homme d’honneur, il ouvre le délicat chantier du rajeunissement de l’équipe. En pleine saison, le général prend la courageuse décision d’évincer quelques cadres de l’équipe tels que Richard Abena et Charles Toube. Il donne sa chance à la jeune garde alors constituée de Rigobert Song Bahanag, Bernard Tchoutang, Bekombo, Imandi, etc. Pour consolider ce travail, Pierre Semengué offre à ces louveteaux une prime de signature de 100 000 Fcfa. Et ne manque pas de payer régulièrement les primes d’entraînement. Il fallait le faire, au vu de la conjoncture économique de l’époque.
Comme on peut le deviner, il payera tout de sa propre poche. Dans le souci d’amortir les coûts, sa célèbre « grande maison de Biyem-Assi » (qui a vu passer sept à huit générations de joueurs) est mise à contribution. Il est à rappeler que le « Général » n’est pas à son premier coup dans le genre. Plusieurs fois, grâce à lui, le Tkc avait eu à bénéficier d’un appui logistique inestimable : hébergement à l’Emia ou au Centre militaire d’Ekounou ; vols militaires directs à destination de Casablanca ou dans d’autres coins reculés du Cameroun.
Le hic
Alors que le président-trésorier semble reprendre le contrôle de la situation, voilà que des voix s’élèvent pour revendiquer un droit de regard et de décision sur le Tkc. Imperturbable de prime abord, l’officier le plus ancien au grade le plus élevé du pays est pris entre l’étau des pressions familiales et la grogne des Mvog-Ada. Excédé, il lâchera prise.
Un départ sans fracas. Sa lettre de démission, à sa demande, ne fera pas l’objet d’une diffusion publique. Le « Général » s’en va , non sans avoir pris des précautions. L’histoire retiendra qu’il fut l’homme des grandes réformes. La transformation du Tkc en société à objet sportif est son initiative. Il est également le précurseur des jumelages entre clubs camerounais et européens. Aujourd’hui, le monstre sacré s’est retiré de la scène. Avec à son actif d’autres grands coups insoupçonnés. Un exemple : le Général Pierre Semengue est intervenu personnelle-ment auprès du chef de l’Etat en 1990 pour la sélection de Roger Milla. Belle leçon de don de soi pour les autres. La jeunesse camerounaise, en quête de repères, trouvera certainement en lui sa muse. Pour ce qui est du sport en tout cas.