Il a été sorti de sa quasi-retraite pour être porté à la tête de la toute nouvelle ligue professionnelle de football. Rendez-vous est pris avec lui pour un entretien ce jeudi à 9h30 à son domicile. Sa résidence, une villa au milieu d’un vaste jardin avec un bœuf couché sur la pelouse.
Située juste à l’entrée du quartier général à Yaoundé, elle est gardée par cinq soldats qui filtrent les entrées. Le salon où doit se dérouler l’entretien est sommairement décoré. Quelques photos du général et de son épouse sont bien visibles.
Subitement, sans qu’il ait été annoncé, Pierre Semengue entre dans la salle. Vêtu d’un costume gris et d’une chemise blanche, il affiche un large sourire. En gentleman, il fonce vers la journaliste de Canal2 à qui il administre, délicatement, un base-main. La jeune fille en est émue. Il n’a décidément rien à voir avec le militaire, cette brute que l’on s’imagine en pensant à cet homme, premier général d’armée camerounais.
Pierre Semengue tient son acte de naissance entre les mains. Le vieux document défraichi et jauni par le poids des ans a une histoire. Sur le papier, en effet, Pierre Semengue est né le 28 juin 1935. Mais en fait, il s’agit d’une erreur. Car, le modeste joueur de foot qu’il dit avoir été, est né, en réalité, le 28 juillet de la même année. « Don,c je fête mes 76 ans aujourd’hui », dit-il, souriant.
L’entretien peut alors commencer, sous le regard de trois hommes qui observent tout, telles des sentinelles. D’abord avec Canal2, puis, Le Jour. Depuis sa nomination, le général Semengue ne dort pas beaucoup. Il se lève tôt et, installé dans un boukarou, perdu au milieu d’une abondante paperasse, il travaille. Tout est à créer.
La parole rare, le propos mesuré, la courtoisie à fleur de peau et une élégance à toute épreuve, il se refuse à quelque polémique. Rigueur, discipline et transparence sont les triptyques qui devraient sous-tendre son action. Il veut bosser et souhaite être jugé, comme le maçon, au pied du mur. Même s’il ne le dit pas, le général est en mission commandée à la Fécafoot ou plutôt à la ligue, pour deux ans. Les mines ne manqueront certainement pas sur son parcours du combattant.
Qu’est ce que le ministre des Sports vous a dit pour vous convaincre d’être le président de la ligue de football professionnel ?
Le ministre n’a pas cherché à me convaincre. Il m’a simplement demandé si je pouvais accepter d’être président de la ligue. J’ai donné mon accord, sans qu’il ait besoin de me convaincre. Je lui ai simplement dit que je dépendais du président de la République et que si celui-ci me demandait d’aller apporter ma contribution quelque part, je considère que c’est une mission. Donc, une mission ne se discute pas.
Comment qualifiez-vous cette mission ?
C’est une mission compliquée. Je ne peux pas dire impossible ou difficile. Mais, quand il y a un challenge, il faut relever le défi.
Par où comptez-vous commencer ?
Je crois qu’il faut s’entourer d’une équipe de gens capables, dynamiques, intègres, volontaires, pour pouvoir essayer de travailler.
Les batailles en coulisses ont commencé pour avoir une place dans votre équipe. Quel est le profil de vos futurs hommes ?
Je n’en sais rien. Je verrai avec le ministre et le président de la Fécafoot. Il y a peut-être des gens que je connais, moi-même, qui peuvent m’aider. On fera tout ça ensemble. Je ne connais pas nécessairement un certain nombre de personnes. Vous savez, je sors d’un milieu, pas fermé, mais… enfin… je connais les gens de l’arme. Mais les autres, je ne les connais pas beaucoup. Je vais donc m’appuyer sur des gens qui pourront m’aider.
Allez-vous trouver un siège propre à la ligue ou travailler dans les locaux de la Fécafoot ?
J’ai posé cette question au ministre qui m’a dit que j’allais d’abord travailler à la maison en attendant que des locaux me soient fournis, probablement par la Fécafoot.
Est-ce que vous sentez, de la part des dirigeants de la Fécafoot, une volonté de collaborer ?
Je ne viens que d’être nommé. En dehors du ministre des Sports que je suis allé rencontrer et remercier, et qui m’a donné un certain nombre de documents, je n’ai encore vu personne. Je ne connais d’ailleurs personne.
Selon votre observation, quels sont problèmes auxquels le football camerounais des clubs est confronté ?
J’ai été dirigeant de club. Le principal problème, c’est l’argent. Nos clubs n’ont pas d’argent. Or, à l’heure actuelle, vous ne pouvez pas faire le football sans argent. Il faut payer les joueurs, les entraîneurs, se rendre dans les sites de matchs, etc. Vous voyez donc que les clubs qui n’ont pas d’argent ne peuvent rien faire. Voilà donc le fond du problème. On exige aux clubs des contrats avec des joueurs et des entraîneurs. Mais il faut de l’argent pour ça. Ils peuvent très bien signer des contrats, mais encore faudrait-il qu’ils les honorent.
Les problèmes, aujourd’hui, sont encore plus graves, avec la fréquentation des stades qui est nulle. A notre époque, les stades étaient pleins et les recettes importantes. Aujourd’hui, vous quittez Yaoundé pour aller jouer à Maroua, dans des stades vides. Vous ne pouvez pas récolter de l’argent dans ces conditions.
Vous devez donc trouver le moyen de renflouer les caisses des clubs ?
Je me dis que le gouvernement y a pensé. Si on veut mettre un football professionnel en place, je suppose qu’on a pensé qu’il faut de l’argent. Notamment, les subventions de l’Etat, des incitations au sponsoring, impliquer les mairies, etc. Je me dit qu’on y a pensé. On ne peut pas ne pas y avoir pensé et vouloir mettre le professionnalisme sur pied. Ce n’est pas possible.
De l’argent, d’accord, mais pas pour que ces sommes finissent dans les poches des présidents de clubs…
La rigueur dans la gestion est l’une de mes priorités. Quand l’Etat met des subventions, ce n’est pas de l’argent gratuit. Il faut justifier son emploi. Vous ne pouvez pas attendre qu’on vous verse la manne sans en rendre compte. La priorité devra être la gestion rigoureuse des clubs et même de la ligue. Ceux qui me connaissent savent que, de ce point de vue, je suis intraitable. La rigueur, la discipline, l’honnêteté, la transparence, sont des valeurs que je veux amener à la ligue.
En 1988, vous avez été président de la Linafooté, qui n’a duré qu’un an. Ce précédent échec ne vous effraie pas un peu ?
Je ne sais pas pourquoi la Linafoote n’a duré qu’une saison sportive. Je pense qu’à l’heure actuelle, j’ai participé aux états généraux du football et tout le monde est convaincu qu’il faut y arriver. Tous les acteurs : le gouvernement, les sportifs, tout le monde. La ligue bénéficie d’une opinion favorable et je crois que tout le monde y mettra du sien.
Vous avez été président du Tonnerre de Yaoundé, qui, aujourd’hui, peine à sortir de la D2. Cela vous chagrine-t-il ?
J’ai quitté le Tonnerre dans des circonstances que j’ai expliquées en son temps. Je m’attendais à ce que cette situation arrive. Je l’avais pressenti. Je m’étais arrangé pour que cette situation n’arrive pas. Mais, comme je n’ai pas été entendu, je suis parti en leur disant qu’ils allaient se planter.
On dirait que vous vous rejouissez des malheurs du Tkc…
Nooonn ! Je ne me réjouis pas. Je dis simplement que j’avais prévu cette situation. Il faut avoir de l’argent dans le football. Si vous n’en avez pas, vous ne pouvez rien faire. Cela s’est prouvé. Les cotisations ne gèrent pas un club, pas plus qu’un seul homme ne peut financer un club. Un club ne peut pas survivre dans ces conditions.
Que vous inspire le drame que vivent les Lions Indomptables en ce moment ?
Cette situation me chagrine. L’équipe nationale du Cameroun a des joueurs talentueux. Mais que ces joueurs ne puissent pas faire des résultats, me fait croire qu’il y a un problème. Je ne suis pas au sein de cette équipe. Mais toute la littérature qu’on a consacrée aux Lions montre qu’il s’est passé quelque chose en Afrique du Sud. Peut-être que maintenant que je rentre dans ce monde-là, j’en saurais un peu plus. Mais, comme je l’ai dit, cette situation que vivent les Lions Indomptables me chagrine. Regardez le match que nous avons joué contre le Sénégal. On aurait pu gagner par quatre buts à zéro. Sinon cinq. On a dominé cette rencontre de bout en bout, sans marquer. Il y a un problème.
Propos recueillis par Jean-Bruno Tagne