Patrick Mboma. L’ancien international camerounais a passé six mois (2002 – 2003) à Al-Ittihad, le club du fils Kadhafi. Six mois de traumatisme qu’il n’est pas prêt d’oublier.
Quels souvenirs avez-vous gardé de votre passage en Libye, en 2002 ? Quelle était l’atmosphère sportive et politique ?
Quand je suis arrivé, j’ai vu un pays qui semblait avoir de belles richesses. Al-Ittihad appartient à Al-Saadi, un des fils de Kadhafi. Il joue avec les gens comme un enfant avec ses jouets, avec très peu de respect pour l’être humain. J’ai été très maltraité. Ça s’est très mal passé pour moi et ma famille. Il ne m’a pas fallu que deux heures dans le pays pour me rendre compte qu’il n’y avait aucune photo sauf celles du « Guide ». J’ai été choqué. Quand j’étais résident libyen, pour sortir du pays, je devais obtenir une permission. Et quand la sélection camerounaise m’appelait, évidemment le club oubliait de me donner la permission. J’ai eu pas mal de déboires comme ça. Les gens avaient peur de s’exprimer, de lever le petit doigt. Ça se répercutait même sur le terrain. Il fallait donner tous les ballons à Al-Saadi. Il ne fallait pas que les adversaires le fassent tomber. Les gens étaient tétanisés. Personne ne parlait.
Etes-vous entré en contact avec Mouammar Kadhafi ou seulement avec Al-Saadi ?
Seulement le fils, qui faisait au moins autant peur que son père. Il pouvait prendre un Boeing pour faire venir un technicien et discuter de la probabilité de devenir son nouvel entraîneur. La richesse était hallucinante. Je m’étais retrouvé dans une maison de 800 mètres carrés, dont 780 de marbre et des hectares de « jardin ». A côté il y avait des Camerounais qui vivaient dans de véritables ghettos. On parle de gens qui ont martyrisé toute une population. Je ne pensais pas que la population oserait aller aussi loin pour se soulever contre Kadhafi. Aujourd’hui, quand je vois que nous sommes face à un véritable génocide (sic), je me demande comment quelqu’un qui tue sa propre population peut la guider ensuite.
Est-ce le plus mauvais souvenir de votre carrière de footballeur ?
Quand je parle de ma carrière, j’évite de l’évoquer. Il y a comme un vide. Un intermède malencontreux, un vrai traumatisme pour moi et ma famille. A cause du seul Al-Saadi. J’ai des scènes horribles en tête. Un jour, il dit à un joueur qu’il allait guérir sa maman, malade. Mais comme il l’avait empêché de marquer un but, Al-Saadi a décidé de ne plus l’aider. Le joueur sur le terrain se faisait tout petit… Il y avait un magasinier qu’il prenait pour poser les ballons pour les coups-francs. Il lui disait « Pose le ballon ici ». Al-Saadi reculait de cinq mètres, puis de deux centimètres, lui disait non… Le tout devant une foule qui riait et se moquait.
De l’humiliation au quotidien, en quelque sorte.
Quand je suis arrivé, j’ai demandé à mes proches de me dire si je faisais une folie. En dehors du fait que la somme offerte était difficile à refuser, ils voyaient surtout le traitement princier qui nous était réservé. Aucune raison de fuir malgré le régime et ce qu’on en disait. C’est quand je suis arrivé sur place que j’ai vu que c’était vraiment horrible. Les Kadhafi avaient perdu tout sens des réalités.
Avez-vous gardé des contacts avec des Libyens ?
J’ai voulu effacer ça de ma mémoire. J’étais le seul à avoir un téléphone portable. On avait réquisitionné la ligne d’un intendant du club. Sans être sûr que ma ligne n’était pas écoutée… J’avais Internet à la maison, puis il a été coupé, comme le téléphone. Puis on ne trouvait plus mon passeport… J’ai vraiment eu peur pour mon intégrité physique et pour celle de ma famille. A chaque fois que j’ai dû revenir sur place, j’ai eu la frousse. En 2004, on a joué un match amical avec le Cameroun en Tunisie. On a atterri à Benghazi pour ravitailler. Quand les militaires sont montés dans l’avion, j’ai vraiment cru qu’ils venaient me chercher. J’ai eu une frousse terrible. Ça m’a vraiment rendu parano. Tout ce qui a un rapport avec la Libye, je préfère l’effacer. C’est un sujet hautement sensible. Même à la maison. Même aujourd’hui.