Moussa Tandja, correspondant d’Equinoxe Télévison à Dakar, est l’homme qui s’est récemment fait déboiter par Samuel Eto’o en conférence de presse. Un homme blessé donc, menacé de licenciement, et qui refuse systématiquement toute demande d’interview. Pour vérifier si Eto’o fils constitue réellement une menace à la liberté de la presse, nous avons donc posé la question à Éric Martial Djomo, le directeur du service sport de la chaîne.
Est-ce vrai que la question de votre journaliste était adressée à Javier Clemente ?
En fait, il a posé deux questions d’un seul coup. Une première question pour Clemente, à savoir : « Monsieur l’entraîneur, est-ce que vous allez démissionner, ou vous comptez attendre que la Fécafoot vous démissionne ? » Et une deuxième question à Samuel Eto’o’ qui était enchaînée : « Est-ce que cette défaite contre le Sénégal sonne ce soir le glas de la génération Eto’o, comme cela a été le cas ici avec la génération Diouf/Fadiga ? ».
Samuel Eto’o s’emporte immédiatement, ou laisse-t-il son coach répondre en premier ?
Non, Clemente n’a pas parlé parce que Samuel Eto’o traduisait pour lui… Disons que lorsque Moussa Tandja a fini de poser sa question, il y a une petite concertation entre Eto’o et Clemente qui dure quand même presque deux minutes. La responsable presse du Sénégal qui gère la conférence d’après-match est même intervenue pour demander s’il n’y avait pas de réponse à cette question, et c’est là que Samuel a dit : « Non, je vais répondre ! » Vous la connaissez la suite…
Clemente n’a pas commenté derrière ?
Non, pas du tout. Il est resté de marbre.
Quelle a été la réaction de Moussa Tandja suite à la tirade d’Eto’o ?
Parlant de sa réaction, on peut dire qu’il a été bien soufflé, et ce malgré le fait que j’ai pris la parole vers la fin de la conférence pour échanger avec Eto’o sur la situation, pour faire en sorte que l’affaire soit close là-bas sur place. Moi-même j’étais un peu embêté, parce que Moussa nous a raccompagné à l’aéroport, et je dois vous avouer que dans le véhicule, il était très gêné. Il ne comprenait pas. Samuel Eto’o c’est quand même une star pour lui… Il ne l’avait jamais rencontré, et c’était même la première fois qu’il lui posait une question… Mais bon, il a pu prendre un peu de hauteur parce que c’est quand même un vieux… Moussa, c’est quelqu’un qui a eu beaucoup d’aventures dans tellement de pays… Il est habitué aux claques, mais il s’en veut d’avoir offensé Samuel.
Mais pendant la conférence, lui a-t-il répondu tout de suite ?
Non, parce que ce n’est pas évident de répondre à Samuel dans ces dispositions. Rendez-vous compte, au moment où Samuel parle, des gens se mettent à applaudir. Et lorsque Samuel termine en disant qu’il va aller voir les patrons, voilà les gens qui applaudissent encore… Forcément, dans ce genre de situation, vous avez l’impression que le monde entier est contre vous. D’ailleurs, , si nous avions répondu, on nous aurait accusé de créer une situation qui n’en valait pas la peine…
Comment se déroule la fin de la conférence de presse ?
Après la réponse de Samuel, je prends la parole pour lui demander à quel niveau le journaliste l’a blessé. Je lui rappelle qu’il y a des gens pour poser des questions et d’autres pour y répondre. Il a sourit et a souscrit à ce que je lui disais. J’ai expliqué que je ne savais pas s’il y avait eu une offense – parce qu’à mon niveau je n’en percevais pas – mais que si pour lui il y avait offense, on pouvait en parler plus tard et régler ça entre Camerounais.
Ce qu’il a fait ?
Oui, mais on a très vite été assailli par une meute de photographes et de fans qui voulaient des autographes.
« Thierry Henry peut faire licencier des journalistes chez vous… »
C’est lui qui vient vers vous ?
Non, c’est moi qui suis allé vers lui parce qu’il fallait que je récupère mon micro sur la table. Il m’a sourit à nouveau et m’a fait entendre qu’il avait compris, qu’il y était allé un peu fort, et qu’il ne fallait pas s’attarder là-dessus. Mais vous savez, on est habitué à notre Samuel grincheux, donc on a pas besoin de ça. C’est une affaire déjà classée. De toute façon, il sait que nous le considérons comme une valeur nationale que nous devons absolument protéger.
Samuel Eto’o a-t-il réellement le pouvoir de faire licencier des journalistes au Cameroun ?
Vous même, vous pouvez répondre à cette question… Tout comme Thierry Henry peut faire licencier des journalistes chez vous… Il y a toujours des trafics d’influences. Toute personne célèbre, adulée, aimée, peut obtenir la tête de n’importe qui par son nom ou son influence. Lorsqu’on a une aura, on a aussi du pouvoir. Et ce n’est pas valable que pour Samuel Eto’o…
Alors disons le clairement, Samuel Eto’o a déjà fait virer quelques personnes…
Non, je ne crois pas. C’est impossible parce que Samuel c’est un monsieur qui va s’énerver sur un coup de tête, mais c’est aussi le premier monsieur qui va se mettre à genoux pour demander pardon après. Surtout dans les cas où il a tort d’ailleurs. Étant né dans une famille pauvre, ayant eu une enfance difficile, c’est quelqu’un qui va difficilement au bout de telles menaces.
Pourtant, il ne s’est pas excusé auprès de Moussa Tandja…
Mais il ne pouvait pas, il y avait trop de monde autour de lui. En revanche, c’est le genre à envoyer un petit message à la rédaction pour s’expliquer. C’est un peu la double personnalité de l’homme.
Suite à cet incident, avez-vous reçu des messages du gouvernement, du public, de vos directeurs, etc… ?
Aucun message de la part du gouvernement ou d’aucune administration, mais du public, oui, beaucoup ! L’opinion camerounaise est très divisée sur la question. Il y a des fanatiques de Samuel qui pensent qu’il a toujours raison, qu’il ne faut pas l’offenser. Et d’autres qui pensent qu’il faut respecter les journalistes, et surtout respecter l’être humain. Parce qu’on est pas Dieu pour dire à quelqu’un qu’il ne mérite pas d’exister… Il y a aussi des associations de journalistes qui ont appelé pour savoir si des sanctions étaient envisagées, mais c’était certainement pour pouvoir préparer leur réaction… Et encore une fois, pour nous, tout ceci est déjà classé. Il n’y aura aucune sanction. Rien contre personne… Samuel c’est Samuel, Moussa Tandja c’est Moussa Tandja… À chacun sa place. On leur accorde tout le respect qu’ils méritent, chacun de leur côté.
Propos recueillis par Paul Bemer