François Omam Biyick, pouvez-vous nous parler de votre enfance ?
J’ai vécu une enfance tranquille, mon père était un instituteur et il nous a permis de beaucoup voyager ; nous avons vécu dans des villes comme Sangmélima, Bafoussam, Metet et finalement nous sommes retournés à Pouma, mon village. C’est là-bas que nous est venue cette passion que nous avons pour le football. Nous avions de quoi manger, de quoi nous vêtir et des jouets en fin d’année.
Comment êtes-vous parti de Pouma pour Yaoundé?
En 1985, Kana-Biyick, mon frère, et moi, avons décidé de franchir un cap et notre première destination a été la Dynamo de Douala, parce que c’est un peu l’équipe du coin. Malheureusement, cela n’a pas été concluant, à cause de la volonté des dirigeants, et, j’ai décidé de changer de ville. Ma volonté, à l’époque, c’était de rentrer à l’Injs, pour sortir professeur d’éducation physique et sportive, parce que le football professionnel n’était vraiment pas dans les plans de mon père pour nous. Quelque temps après, j’ai rencontré les dirigeants du Tonnerre, mais ils n’ont pas respecté leurs promesses. Le Canon en a profité et m’a fait une offre. C’est vrai que j’avais un oncle qui habitait Yaoundé et qui supportait le Canon. C’est lui qui a tout facilité pour que je rencontre les dirigeants du Canon.
L’intégration dans le Canon a-t-elle été facile ?
Oui, elle l’a été, parce que j’y ai retrouvé Jacques Songo’o, que je connaissais déjà. Il y avait aussi Emmanuel Kundé, que je connaissais ; ce sont des gens qui m’ont accueilli et avec les autres, nous formions vraiment un groupe uni, un groupe dynamique. Tout de suite après la finale de la Coupe du Cameroun, j’ai été invité au domicile de Ferdinand Koungou Edima, où j’ai fait la connaissance de Jo’ Ava Ava, qui est par la suite devenu mon parrain. Tous voulaient que je m’installe à Yaoundé pour commencer à préparer la saison qui suivait. L’intégration a été facile.
Le parcours dans le Canon reste inoubliable pour vous, qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans cette équipe ?
Le Canon a toujours eu de grands joueurs. Si j’ai pu m’épanouir dans cette équipe, c’est parce que j’étais entouré de plusieurs autres grands joueurs. La preuve, c’est que ces joueurs se sont retrouvés en équipe nationale. Je parlerais par exemple d’Emmanuel Kundé, Dang Dagobert, Jacques Songo’o, Jean Manga Onguéné, etc. Le Canon est une équipe qui a toujours eu de bons attaquants.
Le fait que vous soyez toujours avec votre frère Kana Biyick a-t-il eu un impact sur votre jeu ?
C’était important pour moi d’avoir du soutien, de la couverture. Si j’ai fait la carrière que j’ai pu faire, c’est parce que j’avais quelqu’un derrière moi, qui surveillait tout. Il a beaucoup investi sur ma personne, je le remercie et je continuerai à le remercier. Pendant les moments difficiles, il était là pour me remonter. Ce n’était pas important que pour moi, mais pour toute l’équipe. C’est un homme de caractère et il nous a sorti des situations difficiles plusieurs fois.
Comment la transition entre le Canon et l’équipe nationale s’est-elle faite ?
A l’époque, quand tu jouais dans le Canon, tu côtoyais quatre ou cinq joueurs de l’équipe nationale et la transition était facile. Je suis rentré dans le groupe et j’ai trouvé des mecs comme Isaac Sinkot, Doumbé Léa, qui m’ont aussitôt accueilli. J’étais le benjamin de l’équipe et ils me couvaient de leurs ailes. Dès ma première semaine en équipe nationale, j’ai lavé le maillot de Doumbé Léa et ciré ses chaussures, parce que c’était une sorte de bizutage et nous le faisions avec plaisir. La transition a été facile, parce que j’avais confirmé au Canon et après deux matchs en sélection, j’ai trouvé ma place.
Cette intégration est-elle toujours facile aujourd’hui pour les joueurs du championnat camerounais ?
Je le pense, elle doit être facile aujourd’hui, elle doit être facilitée par les anciens qui reçoivent les nouveaux. Les plus anciens doivent mettre les autres à l’aise.
Votre frère qui avait été contacté pour les sélections nationales avant vous…
Oui, tout cela se passe en sélection junior avec Karl-Heinz Wegan. Il y a Emile Mbou, Boyokino et Kana Biyick qui sont appelés les premiers à ce rassemblement. Ils ont commencé à faire des matchs, à s’entraîner, alors que j’étais encore dans mon village avec des amis avec qui je jouais dans la rue. A la fin de la semaine, l’entraîneur demande à ses joueurs s’ils ne connaissent pas un avant-centre capable de marquer des buts. C’est vrai qu’au premier reflexe, mon frère dit non. Mbou et Boyokino interviennent tout de suite et lui demandent s’il ne connait vraiment pas un avant-centre. C’est ainsi qu’ils disent à l’entraîneur qu’André a un frère qui est un avant-centre et qui peut marquer des buts. Une semaine après, l’entraîneur a réorganisé un rassemblement de trois jours pour me voir. Je suis arrivé et, pendant trois jours, on jouait le matin, on jouait l’après-midi. Je me rappelle qu’à l’issue de ce rassemblement, l’entraîneur a dit : ça y est, je tiens l’avant-centre que je cherchais.
En 1990, il s’est dit que vos coéquipiers et vous avez boudé la venue de Roger Milla en sélection. On a parlé d’un conflit de génération…
Il y a toujours des petits problèmes de génération dans les groupes. Quand vous êtes 20 dans un groupe, il y a toujours des affinités entre les gens. Mais je ne parlerais pas de bouder. Personnellement, j’avais demandé que les meilleurs soient sur le terrain.
Racontez-nous l’ambiance dans votre groupe pendant la Coupe du Monde de 1990.
Il faut savoir que le groupe de 1990 est un groupe qui a commencé à se former dans les années 86, et en 1988, le groupe a continué à progresser avec les mêmes joueurs. Le groupe était stable. On se connaissait et on était un groupe uni qui savait où il voulait aller. Dans la douleur comme dans la joie, nous avons fait une grande préparation en Yougoslavie, malgré les quelques grèves que le groupe a connues. Tous nos problèmes ont été réglés avant le début de la compétition. A partir de là, on avait plus rien à perdre. Le jour du match contre l’Argentine, l’ambiance était bonne, tout le monde était animé d’une certaine hargne. Ce match, nous avions commencé à le gagner en salle d’échauffement. Ils sont arrivés en salle avant nous, sans Maradona, et ils ont commencé à s’échauffer. Quand on a commencé l’ecchauffement en chantant et en criant comme à notre habitude, nous avons senti que les Argentins n’étaient pas bien et ils nous ont cédé la salle ; ils sont allés aux vestiaires. Nous avons continué notre échauffement. A la fin, nous sommes sortis du couloir en chantant, car c’était une équipe qui chantait tout le temps.
Qui était le plus grand ambianceur de ce groupe ?
Il y avait Jean-Claude Pagal qui chantait et, Eugène Ekeké aussi. C’est eux qui entonnaient toujours des chansons. Dans les vestiaires, Diego Maradona a essayé de remotiver son groupe, mais on savait qu’on avait pris l’avance sur eux ; donc, nous sommes restés sereins. Quand on est rentré sur la pelouse à San Siro, on s’est rendu compte que le public était acquis à notre cause. Malgré les jonglages de Diego, pour essayer de nous intimider, nous sommes restés sereins.
Et le match ?
On a commencé le match très bas, pour essayer de contenir cette équipe, car nous ne savions pas comment elle allait commencer. Mais, petit à petit, Mfédé a dribblé, Makanaki a débordé ; on gagnait des duels et nous avons compris que tout était possible. Nous avons pris confiance. Vous connaissez la suite. Avec le public que nous avions, nous savions que tout était possible.
Comment survient ce but que vous avez marqué ?
Je dis toujours que c’est le but des Camerounais. Il y a des choses qu’on fait dans la vie, qu’il n’est jamais facile de reproduire. J’ai fait un saut impressionnant, alors que le coup de tête qui a suivi était le plus mauvais coup de tête que j’ai fait dans ma vie. J’ai fait de l’athlétisme quand j’étais plus jeune et c’est ce qui m’a permis de réaliser ce saut.
Il s’est dit qu’après ce but, votre père s’est foulé la cheville…
Il y a beaucoup de ragot sur ce but. Mon père est un homme bien, qui a transmis une bonne éducation à ses enfants. Il a fait un accident en jouant au football quand il était jeune. Quand je suis né, j’ai trouvé qu’il avait un handicap physique. Mon but n’est en rien responsable de cela.
Combien de buts avez-vous marqué en équipe nationale ?
En 75 matchs, j’ai marqué 49 buts.
Que devenez-vous, vos coéquipiers de 1990 et vous ?
Cette génération continue à vivre, chacun a quelque chose à faire. Moi, je suis devenu entraîneur, j’ai travaillé au Mexique et, en ce moment, je suis sur un projet sur la formation et la préformation en France. Emile Mbou, lui, est entraîneur aux Etats-Unis ; Makanaki est dans l’immobilier entre la France et le Cameroun ; Joseph-Antoine Bell vit entre la France et le Cameroun. Stephen Tataw, quant à lui, est dans l’encadrement des équipes nationales. Cette génération continue à aider le Cameroun à sa façon.
On parle d’un de vos fils qui joue aussi au football…
J’ai trois garçons. L’aîné a joué jusqu’à un certain niveau et, il y a un an, il a décidé d’arrêter. Dans ma famille, les enfants sont libres de faire leur choix et nous ne faisons que les accompagner. Mon deuxième fils a 15 ans et il vient de signer un contrat d’aspirant à Châteauroux. J’espère qu’il pourra prendre la relève.
Etes-vous au Cameroun pour négocier un contrat à la tête de l’équipe nationale?
Il y a eu, à un moment donné, des contacts avec la Fédération et le ministère, pour que j’entraîne les Lions, mais, en ce moment, ce n’est pas encore fait. Ne soyons pas pressés, je pense que nous avons des autorités qui travaillent sur cette question. Il y aura certainement des changements dans les prochains jours.
Après 1990, le Cameroun manque la Coupe du Monde 1994 et en 1998, vous êtes privé de deuxième tour. Pouvez-vous raconter ce parcours de 1998 ?
En 1998, il y a une somme de petits problèmes qui nous prive de ce huitième de finale contre le Brésil, qui nous attendait. On ne sait pas pourquoi mon but a été refusé, alors qu’il était valable. Contre le Chili, Etame Mayer rentre et nous apporte beaucoup de fraicheur, mais il est expulsé d’une façon incompréhensible.
Pourquoi n’étiez-vous pas à la Coupe d’Afrique des Nations en 1986 ?
Cette compétition est passée depuis et je ne souhaite pas revenir dessus. En 1986, j’étais le joueur amateur qui était certain de pouvoir tenir la place de titulaire au sein des Lions Indomptables, mais j’ai eu une fracture du péroné. Claude Le Roy a attendu la dernière minute pour prendre une décision et c’est avec beaucoup de douleur qu’il m’a fait savoir que je ne faisais pas partie de la liste.
Y a-t-il quelque chose de particulier au sein de l’équipe nationale du Cameroun?
Je me rappelle de cet amour, cet honneur, cette responsabilité, cette fierté de porter le maillot de l’équipe nationale et de cette âme de lion qui nous a toujours animé. Nos aînés ont commencé à entretenir cette flamme, nous les avons suivis et nous espérons que cette flamme va continuer à vivre.
Vous arrive-t-il d’appeler certains joueurs de l’équipe nationale actuelle pour leur donner des conseils ?
J’ai une certaine manière de communiquer, qui est différente des autres. Je n’ai pas besoin de crier haut et fort pour me faire entendre. Oui, j’ai certains joueurs en sélection avec qui je suis en contact. Je ne veux pas trop les embêter, mais à chaque fois que je peux, je parle à certains.
Propos recueillis sur la Rts et retranscrits par Ateba Biwolé