TUNIS, 19 Jan – La CAN qui s’ouvre dans quelques jours en Tunisie est largement marquée au coin de l’histoire. Qu’Abel Mbengué me pardonne le plagiat caractérisé -je vous salue bien bas, maître – mais son fameux cri appartient déjà à l’histoire et cadre donc parfaitement dans le contexte tunisien. Sur le palimpseste de la CAN 2004, je brosse deux tableaux.
En premier lieu, la Tunisie, bien sûr. Éternelle Tunisie aussi vieille que le monde, conquérante, terre de toutes les convoitises, à la fois romaine, byzantine, africaine. Carthage, vous vous rappelez ? C’est d’ici qu’est parti Hannibal pour porter le glaive dans le cœur de l’empire romain. C’est ici, au large de Saguntum, la Sousse actuelle, dans les eaux azur de la généreuse Méditerranée, que Neptune fut tiré de son sommeil par la furia des vents d’Éole s’acharnant sur la flottille d’Énée.
La Tunisie, c’est au choix l’empire punique, les Phéniciens, maîtres éphémères de la Méditerranée bivouaquant sur le port de Salammbo, à l’est de Carthage; le théâtre romain et les thermes d’Antonin de Tunis; le colisée de El Jem, le seul encore debout avec celui de Rome. La Tunisie de nos livres d’histoire, c’est surtout Caton l’Ancien, le teigneux sénateur, lançant, las des humeurs frondeuses et belliqueuses des Numides: « Il faut détruire Carthage ».
Mais la Tunisie est toujours là, drapée de blanc, réchauffée par un soleil d’une vigueur remarquable, joufflue, ordonnée, propre, libre, industrieuse. Érigée en modèle de réussite économique et de responsabilité financière, la Tunisie moderne étale aux yeux du monde les richesses engrangées à la faveur de l’ingéniosité, du travail et de l’inventivité. Premier prix d’informatique, accessit de bâtiments et travaux publics, étoile montante dans le domaine des services, ce pays est un chantier permanent et un vivier d’entrepreneurs qui s’imposent de plus en plus sur les marchés internationaux.
Bien sûr l’observateur retiendra au premier coup d’œil la beauté des plages, les villes ultramodernes et les infrastructures sociales et économiques de premier ordre. Mais ce n’est pas uniquement sous ces angles que transparaît la spécificité de ce pays. La Tunisie est un cas à part dans le monde arabe. Voici un pays farouchement arabe, cultivant sans états d’âme des traditions millénaires, mais qui pratique un islam sans ostentation aucune, libre de toute contrainte, dans le respect des autres croyances et des volontés de ses citoyens, hommes et femmes égaux en droits. Ici, les hommes vaquent à leurs occupations, indifférents au voile islamique qui côtoie sans heurts la mini-jupe qui monte et qui monte.
Vous devez venir admirer, comme je le fais des heures durant et m’en délecte comme du petit-lait, à partir du café de l’Hôtel Africa, avenue Bourguiba, où j’ai mes habitudes, le ballet roulant d’accortes callipyges boudinées dans de petits riens remue-popotin battant le pavé, se mélangeant allégrement avec de minces créatures voilées de blanc ou de bleu sombre. Vous devez absolument revenir à Tunis, sur les plages de Hammamet ou d’El Kantaoui, entre juin et septembre, lorsque les Tunisiennes se caramélisent délicieusement sous la caresse du soleil. Je ne le cache pas, j’en suis féru. Je suis tombé amoureux mille fois de Henda, de Latifa, de Raja ou était-ce plutôt de Sémia ? Ah ! les oaristys… Mais, je m’égare.
L’autre volet de l’histoire qui s’écrit ici, c’est évidemment le combat des gladiateurs du ballon rond. Dans cette arène millénaire, les Lions du Cameroun attirent tous les regards et sont la cible de toutes les flèches. Alors se pose la double question suivante : le triplé pour l’histoire se réalisera-t-il ? Les Lions indomptables ont-ils les moyens de matérialiser l’ambition de tout un pays et d’une grande foule d’admirateurs de par le monde ? Je réponds: chiche!
Je vais vous faire une confidence: à partir du 24 janvier, le roi ne sera pas mon cousin. Je serai au ciel, sur terre, en mer et sur tous les stades à la fois et en même temps.
Je serai là, inch’Allah, lorsque l’histoire va se réécrire. Je vais vous parler de la Tunisie, des Lions, du foot tout simplement, que j’aime de tous mes muscles depuis bientôt cinquante ans. De Douala dans les années 60 à Pasadena, en Californie, en 1994. Ma première Coupe du monde dans les gradins, mon premier contact personnel avec les Lions modernes. Le pied, je vous jure !
La meilleure expérience de ma vie, je ne vous dis pas. Revoir Roger Milla sur le petit stade d’entraînement d’Oxnard, à l’est de Los Angeles, la quarantaine déjà mais toujours extraordinaire avec un ballon, qui m’annonce la mort de monsieur François, le fondateur d’Eclair de Douala ; Jean-Pierre Tokoto, au bar de l’hôtel des Lions ; Songo’o, calme comme toujours ; mais surtout le petit frère Antoine Bell, chaleureux, prolixe et souriant.
J’ai cru accrocher son regard de détresse, moi qui étais assis juste derrière lui au Rose Bowl, après l’atroce rebond qui s’était délicatement posé sur la godasse du Suédois Dahlin. Misère !
Mais reconnaissons-le: les Lions nous ont apporté des joies immenses quand même. On en redemande, bien sûr. Ici, à Tunis, nous avons la sérénité du champion, nous laissons les soucis aux autres qui veulent nous détrôner. Mais je sais que les Camerounais ne sont pas toujours convaincus que les dirigeants des Lions mettent tout le sérieux qu’il faut dans leur travail. Une suspicion tenace règne à l’encontre du ministre des sports, de la Fécafoot et de l’encadrement des Lions. Rien de nouveau à cet égard.
L’incurie avérée ou supposée de l’autorité sportive camerounaise est un sujet constant d’inquiétude. Je ne pense toutefois pas qu’elle soit de nature à barrer le chemin au bonheur final qui va éclater le 14 février au stade de Radès.
L. Ndogkoti, à Tunis