“Vous blaguez?” C’est ainsi que Gérémi Njitap alors sociétaire de Genclebirligi en Turquie répond à son président qui lui annonce en 1999 que John Toshack (ex-entraîneur de Besiktas un autre club turc) veut le faire venir au Real de Madrid dont il tient les rênes. “Moi au Real Madrid, je ne pouvais pas y croire. Mais quand j’ai vu les journalistes espagnols déboucher j’ai compris. La grande aventure du Real allait débuter.
Je vivais un rêve éveillé”. Un rêve qui a débouché sur l’un des plus impressionnants palmarès d’un joueur en activité et qui a culminé en 2000 quand l’enfant de Bafoussam a conquis 3 titres (Can, ligue des champions, jeux olympiques) en 8 mois. Ce mercredi, Gérémi qui affronte le Bayer Leverkusen avec son Real Madrid en finale de la ligue des champions a l’occasion de se dresser une nouvelle couronne d’or à 2 semaines du début de la coupe du monde.
Le Messager a voulu percer le mystère d’un tel succès. Scruter la prime enfance de Gérémi Njitap pour déceler les actes fondateurs de sa fulgurante ascension. Vous plonger aux sources de la gloire.
Destin de champion
Gérémi le footballeur camerounais le plus titré de l’histoire pourrait ajouter ce mercredi une nouvelle ligne à son prestigieux palmarès, en remportant une fois de plus la ligue des champions avec le Real de Madrid face au Bayer Leverkusen. Le fils du footballeur Samuel Fotso était peut-être préparé à une telle destinée.
Bafoussam, dans la zone chaude et bouillante d’Akwa (une espèce de la rue de la joie comme à Deido à Douala ou Mvog-Ada à Yaoundé). C’est ici le quartier général du Lion Indomptable Gérémi Sorel Njitap Fotso. Il y a passé presque toute son enfance de footballeur. Son père Fotso Samuel, contrôleur du Trésor actuellement à la retraite y gère un dépôt de vente de boisson en gros. C’est au cours de l’une de ses nombreuses affectations dans la province de l’Est que ce percepteur des impôts fait la connaissance de Bissie Albertine (native de Nguelemendouka) à Doumé. Avec elle, il donnera naissance au petit Njitap le 20 décembre 1978.
Au risque de perturber les études scolaires du jeune garçon qui dès le bas âge nourrit les ambitions de footballeur, son père le confie aux soins de sa deuxième épouse Régine Fotso. On retrouvera le jeune garçon tour à tour à l’école publique du Stade, au Ces de Bandjoun, au collège la confiance (Colaco) où il obtient son Bepc en 1992, un passage éclair au collège Martin Luther (Parce que son père attache de l’intérêt à ce qu’il fasse l’enseignement technique) avant d’être plus tard inscrit en classe de 1ère A4 au lycée bilingue de Bafoussam. Le dernier établissement qu’il abandonnera pour se consacrer définitivement au football.
Footballeur de sang
Contrairement aux jeunes de son âge qui ont subi la terreur et les foudres de leurs parents qui voulaient les orienter vers des carrières dites nobles (grand commis de l’Etat ou administrateur civil…), Gérémi Njitap a connu une enfance nourrie de football. Normal, puisqu’il est né dans une famille de sportifs. Sa belle-mère a été une handballeuse confirmée et son père un grand footballeur. Samuel Fotso fut ainsi le tout premier capitaine du Racing football club à sa création en 1956. Et même qu’après un tour à l’Aigle de Dschang, il est deux fois champion du Cameroun de football, avec l’Union de Douala en 1962 et le Diamant de Yaoundé en 1965. Le père de Gérémi sera ensuite l’entraîneur qui a conduit Stade de Bertoua pour la première fois en première division en 1972. Avec autant d’atouts, Gérémi Njitap a perçu toutes les facilités pour faire carrière dans le football à une condition : «Je voulais qu’il concilie les deux : le football et ses études. Pour lui permettre d’exercer un métier au cas où sa carrière de footballeur serait éphémère…», explique son père.
Tout jeune, Gérémi joue déjà dans la cour des grands. Il est sollicité par des équipes en difficulté soit pour jouer «les mercenaires» ou en complément d’effectif. Il est de tous les rendez-vous de football à Bafoussam. On le retrouve capitaine de Coiffecam (une équipe de coiffeurs) mais aussi dans le tournoi des «Sauveteurs», celui des «vendeurs de friperie», le tournoi du Sdf… Bien plus, il joue dans les clubs inter-services et les compétitions inter-quartiers. De son sang froid, il est au choc des championnats de vacances qu’il domine malgré l’adversité des «durs» comme le Nigérian Henry Nwosu (alors sociétaire du Racing), Lewono et Rigobert Song, sociétaires en division II de Red Star de Bangou.
Kouam Jimmy son ami d’enfance et actuel capitaine de Fovu se souvient des débuts de ce champion en herbe : «Dans son cartable d’élève, il y avait toujours une paire des chaussures «Batoula», plus d’équipements de sports que des livres et cahiers. Et comme il était toujours le chef de classe, il abandonnait les classes. On se retirait dans les champs jusqu’à tard le soir pour jouer au football. Et les grands jours du marché, nous étions sollicités pour animer les tournois organisés par les vendeurs de friperie. On disputait successivement trois à quatre matches non stop dans des équipes différentes». Au cours de l’une de leurs dérobades, alors que Gérémi est sociétaire d’une équipe en ligue Folebe Fc, il participe à un test suivi de recrutement dans Express Fc qui vient d’accéder en division II. C’est sa première licence. On le retrouvera plus tard dans Stade de Bandjoun, puis dans Fovu Club de Baham. Après deux participations au tournoi de Montaigu en France qu’il remporte avec brio, son talent est avéré. Les amis de son père font du lobbying pour que le jeune homme signe une licence dans le Racing. L’aventure se terminera par un procès à la Fifa.
La star en famille
Le père de Gérémi Sorel peint volontiers son fils en blanc : «c’est un enfant affectueux, très sensible envers tout le monde et surtout sa famille qu’il n’aimerait pas voir souffrir. Le combat qu’il mène auprès de son fils est celui de voir ce dernier entreprendre des projets, investir pour garantir l’après-football. «Chaque fois qu’il arrive ici, nous nous retirons à deux, je lui parle de l’après-football ; je lui conseille d’éviter le piège de la star mania comme certains joueurs aujourd’hui dans la galère», révèle-t-il.
Certaines langues «celles sans doute de quelques détracteurs» pour reprendre Jimmy Kouam trouvent «le mondialiste» radin et renfermé. Un avis que ne partage pas Liliane Nono la cousine du footballeur, qui avait toujours lavé ses équipements et suppléait Gérémi à ses tâches de ménage : «Je le trouve très sympa et bon, il donne à tout le monde, quand il arrive, tout le quartier est en fête». Loudjop Fotso Carine Chimène, la sœur cadette au champion mijote ses repas quand il est au pays : la sauce gombo au couscous, des frites de plantain et du poisson à la sauce tomate. Evidemment pour elle, Gérémi est un ange : «Tout le monde affirme qu’il est le sauveur de la province. Chaque fois qu’il est ici, la maison est bondée de monde. Chacun vient demander des godasses, un maillot ou un autographe. Et comme il est champion de damier, lorsqu’il joue avec ses amis en plein air, c’est un autre match qui cause un attroupement inestimable.»
C’est dire si à Bafoussam, tout s’arrêtera ce mercredi soir lorsque Gérémi Njitap ira à la conquête de son deuxième titre de champion d’Europe. Lui, là-bas, si loin, aura une pensée pieuse pour tous ceux-là qui le soutiennent au pays, dont son grand-père Ndjeba qu’il va régulièrement voir à Nguelemendouka.
Repère
Nom : Njitap Fotso
Prénoms : Gérémi Sorel
Né le: 20 décembre 1978 à Bafoussam
Clubs successifs
– Fovu de Baham
– Stade de Bandjoun
– Racing de Bafoussam
– Cerro Porteno (Paraguay) 1996-1997
– Genclergilici (Turquie) 1997-1998 1998 – 1999
– Real Madrid depuis 1999
Palmarès (Titres majeurs)
– Meilleur joueur étranger du championnat de Turquie (1998)
– Champion d’Espagne (1999 et 2001)
– Vainqueur de la coupe du monde des clubs (1999)
– Médaillé d’or aux Jeux olympiques (2000)
– Vainqueur de la Coupe d’Afrique des Nations (2000 et 2002)