Avec Michel Platini, le regard est toujours condescendant. A chaque fois que l’ancien numéro dix de l’Equipe de France pose un œil sur le monde du ballon rond africain, l’argumentaire de ses propos vient de haut, de très haut. Posté dans son mirador de grand joueur, d’éphémère sélectionneur et de haut dirigeant de football mondial, il étale ses certitudes avec un verbe cru, dans un langage qui frise l’insolence. Voire l’insulte. Sinon, le racisme.
Déjà, son ego d’européen coincé en avait pris pour son grade après la victoire sénégalaise sur la France. Mais il semble que le bonhomme, qui ne grandit pas une corporation de footeux souvent raillés pour leurs faibles QI, n’a pas appris la cinglante leçon. «La France et le Sénégal ne boxent pas dans la même catégorie», avait-il hurlé en janvier 2002 à Bamako. Cinq mois plus tard, au soir du «tremblement de terre» (Metsu), son air mauvais devant le cruel démenti de Pape Bouba, Diouf etc. et le sourire méchant de la presse sénégalaise qui s’est précipité auprès de lui au coup de sifflet final, faisait croire que «Saint Michel» n’allait plus manger de ce pain-là. Oh non !
Dans les colonnes du quotidien L’Equipe d’hier, Platini, vice-président de la Fédération française de football et membre du comité exécutif de l’Uefa et de la Fifa, s’est laissé aller dans une de ces sorties qui fleurent bon la condescendance, voire le racisme. Premier tacle : «Le football est à l’image de la société. Les Africains ont du retard dans le football comme ils en ont dans le PIB (Ndlr : Produit intérieur brut). Finalement, c’est normal», osa Michel. Odieux loupé !
Certes, le football, dans son mariage controversé avec le business, a pris une nouvelle dimension, fréquentant les places boursières les plus réputées. Certes, l’argent, nerf du professionnalisme, marque indéniablement l’évolution du jeu. Mais les exemples font foison pour montrer au Français que le ballon répond d’abord au talent.
Sinon le Brésil, avec ses favelas et sa misère qui s’égaye devant les jouissifs rebonds de l’objet du désir, ne serait jamais la meilleure nation de foot du monde. Sinon, Pélé ne serait pas Pélé. Sinon «O rei» ne serait jamais le meilleur des meilleurs, le plus grand de l’histoire. Devant le «Grand Michel». Sinon, Maradona, fils d’une Argentine maltraitée par une crise économique sans nom, ne serait pas le seul à pouvoir titiller l’auguste Brésilien sur son trône. Sinon, le Cameroun ne se hisserait jamais jusqu’en finale de Coupe des Confédérations. Sinon, les Lions Indomptables, comme le Nigeria en 96, ne viendraient jamais remporter la médaille d’or olympique à Sydney. Sinon, le Sénégal, un des pays les plus pauvres du monde, ne battrait jamais la France, membre du G7. Sinon, la Turquie ne ferait pas sa meilleure campagne en Coupe du monde au moment où le pays vit une récession économique sans précédent. Sinon, le foot appartiendrait, non pas à la France ou à l’Allemagne, mais à la Suède ou à la Norvège, aux PIB culminants. On s’en limite là. Car, quitte à arrondir les angles, quitte à l’obliger à regarder la lune au lieu du doigt qui la désigne, il faudra rappeler à l’ancien «vert» de Saint-Etienne que le football est d’abord fait de «chair et de sang».
Mais est-ce nécessaire pour un Platini pincé dans son costume d’européo-centriste forcéné ? Car, l’enfant de Jœuf, dans une technique que l’ex-joueur n’a jamais eu dans sa panoplie d’artiste, y est allé d’un autre tacle, plus rugueux quoique sournoisement effectué. Interrogé sur les résultats des nations africaines en Coupe du monde, le Français, sans les trouver décevants («elles ne sont que cinq et il y a toujours une équipe qui flambe»), a quand même trouvé le moyen de «lancer des peaux de banane aux singes» : «C’est quand même bien que les Africains ne nous battent pas trop… On est quand même européens…» Le sous-entendu siffle comme une pire insanité. Il vient rappeler aux malentendants la «supériorité historique» de l’Europe qu’il serait très gentil de limiter au simple cadre footballistique. L’Europe n’est pas l’Afrique et il faut aussi que le football le rappelle. Le propos a le mérite d’être franc. Très franc !
Portant la réflexion sur les Lions, révélations de la dernière Coupe du monde, Platini a encore ressorti le bon vieux cliché : «Le Sénégal a battu la France en 2002 (1-0). Ce fut un grand coup pour l’Afrique et dans la durée, cette équipe aurait même pu faire mieux. Mais on connaît le côté un peu instable des joueurs africains ‘festifs’», a souri le suffisant Michel. Et quand son interviewer lui a dit s’il parlait spécialement des Sénégalais, l’ex «Monsieur coup-franc» a dit : «Oui, oui…»
Seulement dans un propos plus argumenté, il s’est employé à critiquer avec plus de clairvoyance et moins de nombrilisme l’état actuel du football du continent noir. Regrettant la perte d’identité des footballeurs africains : «Il faut qu’ils associent leurs qualités propres à la rigueur nouvelle. Qu’ils mettent de la folie. Depuis quelque temps, les Fédérations ont recruté de nombreux entraîneurs étrangers qui leur ont peut-être donné des moyens de gagner. Le problème, c’est qu’ils leur ont enlevé certaines qualités», a-t-il dit. «Individuelement, il y a des qualités mais ils vont aussi devoir retrouver des gloires», lâche-t-il. Avant de s’interroger sur la valeur intrinsèque des stars du moment : «Qui est le grand joueur africain aujourd’hui ? Il n’y en a pas un qui me marque. Avant il y avait Abedi Pelé, Weah. Et aujourd’hui ? Le Ballon d’Or France-Football se dispute uniquement entre les Européens et les Sud-américains (…) Ni Diouf, ni Eto’o ne sont Weah. Ni Owen, Raul, Totti ou Ronaldo… On en est loin.»
N’empêche, Platini a l’intention d’aller suivre la Can: «J’essaierai d’aller en Tunisie pour la finale ou les demi-finales. Pour rendre hommage au football africain. On a besoin de lui.» Qui a parlé de condescendance ?
Papa Samba DIARRA