Pour mieux nous imprégner des contours juridiques qui ont favorisé la publication du rapport du conseil supérieur de l’Etat le 26 mars dernier qui a révélé vingt fautes de gestion du Directeur Général de la Sodecoton, Iya Mohammed, entre 2005 – 2009, nous avons tendu notre micro à Me Désiré Sikati, avocat au barreau du Cameroun et agent de joueur FIFA.
Cet avocat bien connu dans l’univers du football au Cameroun s’est constitué en conseil du Caïman club de Douala dans le litige qui a apposé le club des Akwa à Unisport du Haut Nkam. Ladite affaire avait été tranchée par le tribunal arbitral du sport (TAS) et s’est soldée par une amende de plusieurs millions de francs CFA contre Unisport en guise de dommage et intérêt.
Camfoot.com: Sur le plan juridique quelle est la valeur de la note du ministre des sports et de l’éducation civique demandant de surseoir le processus électoral à la fédération camerounaise de football ?
Me Désiré Sikati : Je pense que c’est une décision qui est conforme à la loi de 2011, qui a valeur de charte des activités physiques et sportives au Cameroun. Le ministre des sports est l’autorité de tutelle de toutes les associations sportives qui sont implantées au Cameroun. Chaque fois qu’il y a des divergences ou des conflits entre les membres d’une association comme s’est le cas aujourd’hui à la fédération camerounaise de football (Fécafoot), il est du devoir du ministre des sports en tant qu’autorité de tutelle d’intervenir. Son intervention ne consiste pas à prendre des décisions en lieu et place des fédérations, mais de demander que des mesures conservatoires soient prises pour la préservation de l’ordre publique. Dans le cas d’espèce je pense que le ministre était dans son rôle, dans la mesure ou il ne s’est pas supplanté à la fédération. Il a tout simplement demandé le sursis du processus électoral.
Malgré la note du Minsep adressée à la fécafoot le processus électoral s’est poursuivi dans quelques régions du pays. Est une forme de bras de fer contre l’Etat ?
A partir du moment ou il est indiqué dans les statuts de la Fécafoot que celle-ci exerce son autorité sous la tutelle du ministère des sports et de l’éducation physique et conformément à la loi de 2011 qui porte charte des activités physiques et sportives au Cameroun, on peut déduire que la Fécafoot s’est engagée à respecter les directives de l’autorité de tutelle et à respecter la charte des activités sportives. Si le ministre prend une décision allant dans le sens d’harmoniser les rapports entre les membres d’une fédération et que la fédération décide d’aller à l’encontre de la décision du ministre, on pourrait dire à ce moment que la Fécafoot s’est engagée à faire un bras de fer avec son ministre de tutelle. Ce qui s’est passé récemment avec la décision du ministre des sports contesté par la Fécafoot est un acte de défiance. Pour moi il s’agit tout simplement d’un défi, d’un bras engagé par les dirigeants fédéraux contre le ministre.
Face à la note du Minsep, les dirigeants de la Fécafoot crient à l’ingérence d’où la pétition signée et adressée à la FIFA. Pouvons-nous parler d’ingérence dans ce cas ?
Au regard des textes de la FIFA l’Etat n’a pas le droit d’intervenir dans le fonctionnement interne des fédérations. Vous savez que dans les Etats, la sécurité, l’ordre public au cours des matchs ou dans les fédérations sont assurés par les Etats. La FIFA n’a pas un collège de policiers qui est habilité à mettre de l’ordre dans les fédérations lorsqu’il y a ébullition. Ce travail appartient à l’Etat.
La FIFA sanctionne l’ingérence lorsque le ministre en lieu et place des dirigeants de la fédération a pris une décision dans le cadre du fonctionnement de la fédération. Par exemple au Nigéria, la FIFA avait sanctionné la fédération nigériane de football parce que le ministre des sports avait en lieu et place de la fédération décidé de la date du début du championnat. Pour ce faire, la FIFA avait suspendu le Nigéria pendant deux années de ses compétitions. Je pense qu’une décision sage avait été prise par le gouvernement rétablissant le président de la fédération dans son droit et la FIFA a levé la suspension.
Au Cameroun, je ne pense pas que le ministre aie désigné les dirigeants de la Fédération. Il n’a non plus organisé les élections en lieu et place de la Fécafoot. Il a tout simplement demandé que le processus électoral soit stoppé le temps que l’harmonie soit faite entre les dirigeants de la Fédération. Il ne faut pas oublier qu’il y a des membres de la Fécafoot qui ont décidé de saisir le ministre parce qu’ils étaient en conflit avec les dirigeants de l’instance faîtière.
Juste après l’opposition de la fédération au Minsep, le Contrôle Supérieur de l’Etat a rendu public le résultat d’une enquête dans lequel le président de la Fécafoot qui est par ailleurs Directeur général de la Sodecoton est auteur de vingt fautes de gestion. Existe t-il un lien entre ces deux faits?
Il faudrait d’abord savoir que le Contrôle Supérieur de l’Etat est une institution ministérielle qui a vocation a contrôler la gestion de toutes les autorités qui agissent en tant qu’ordonnateur ou comptable publique. Les décisions du Contrôle Supérieur de l’Etat sont souveraines et n’ont rien à voir avec des décisions prises par un conseil d’administration d’une entreprise qui est contrôlée. Car chacune des institutions est autonome. La Fécafoot est une institution qui relève du domaine des associations privées et dont le fonctionnement n’est pas lié à celui de l’Etat. La Fecafoot relève de la FIFA. Mais dans les statuts de la Fécafoot, il est prévu dans l’article 35 alinéas 4 que tous les dirigeants de la Fecafoot ne doivent pas être convaincus de malversation financière.
Ce texte ne fait pas le distinguo si la malversation a été retenue à la Fécafoot ou au sein d’une entité qui est gérée par un candidat à la présidence de la Fécafoot. L’interdiction d’être responsable d’une quelconque malversation est une condition d’éthique. A la lecture de ce qui est écrit dans l’article 35 alinéas 4 des statuts de la Fécafoot qui ne distingue pas l’entreprise dans laquelle on a été accusé de malversation, je pense que le débet et la faute de gestion qui ont été retenu contre lui peuvent le rendre inéligible.
Dans le camp Iya, on trouve que la décision du Contrôle Supérieur de l’Etat est à tête chercheuse… Et vous ?
Ce n’est pas un argument juridique car le rapport du consupe ne date pas d’aujourd’hui. C’est un rapport qui a été établi depuis longtemps et envoyé au ministère chargé du Controle Supérieur de l’Etat à la Présidence de la République. La Présidence de la République n’est pas liée par les contraintes de temps. La Présidence de la République est souveraine dans l’application de la décision soumise par le Consupe.
Si vous avez un président de fédération qui estime qu’il peut engager un bras de fer avec l’Etat, je pense que s’est de bonne guerre que l’Etat utilise les armes qui sont à sa disposition au moment qu’elle trouve opportun. Ceci n’a rien de contraire à la loi.
Pensez-vous que l’Etat utilise aujourd’hui ses moyens pour dissuader le président de la Fécafoot ?
C’est évident ! Le rapport a été dressé depuis longtemps l’Etat a attendu aujourd’hui pour le publier. On constate que la date de la publication est très rapprochée de l’incident qui oppose le Minsep à la Fécafoot. Il serait mal vu de ne pas faire le rapprochement. On peut dire que c’est l’inadvertance de Mr Iya qui a conduit à la publication de ce rapport. Il pense et persiste et il a raison qu’il est difficile pour l’Etat du Cameroun de l’attaquer à la Fecafoot tout simplement parce que la Fecafoot est une institution privée qui relève de l’indépendance telle que prévu par la FIFA. Mais il a oublié qu’il gère une entreprise d’Etat où il doit rendre des comptes. Aujourd’hui juridiquement, Mr Iya Mohammed n’est pas épinglé pour les affaires concernant la Fécafoot mais plutôt pour les affaires concernant la Sodecoton ce qui est tout à fait légal.
Si vous étiez le conseiller de Mr Iya Mohammed que lui suggéreriez-vous ?
Le premier conseil que je lui aurais donné s’est de prendre du recul. Il faut toujours discuter avec les autorités gouvernementales car il est difficile de défier un Etat. Dès lors qu’il est directeur général d’une société d’Etat, il sait que la porte est ouverte aux autorités gouvernementales de lui régler un compte sans que la FIFA ne puisse intervenir en sa faveur. Je ne lui aurais certainement pas conseillé de se lancer dans un bras de fer. Puisqu »il lui avait tout simplement été demandé un sursis au processus électoral et ceci n’aurait en rien empêché le déroulement des élections dans la mesure où c’est le comité exécutif qui est censé organiser les prochaines élections.
James Kapnang à Douala