Des candidatures contestées, des ministres de la République qui chaussent les crampons et rentrent sur l’aire de jeu, des challengers en embuscade, un président sortant déterminé à rempiler quoique acculé de toutes parts… A trois jours de l’Assemblée générale élective, les événements se précipitent comme dans un film d’espionnage. Chronique d’un feuilleton à mille et un épisodes.
1- Mbarga Mboa, Grégoire Owona et le plan anti-Iya
Il fait un temps de canard vendredi 17 mai 2013. Mais à l’intérieur du siège de la Fécafoot au quartier Tsinga à Yaoundé, l’atmosphère est très tendue. Une vive discussion vient d’éclater entre certains administrateurs de cette instance. Entre anecdotes, mises au point et petites causeries en aparté, l’ambiance est lourde dans le hall. La faute à la nouvelle rapportée par les membres de la Commission des recours de l’instance faîtière du football national. Ceux-ci, venus statuer sur la requête en annulation de la candidature d’Iya Mohammed, introduite par John Begheni Ndeh, mais aussi sur l’étude de la candidature de Marlène Emvoutou, ont été « interceptés» la veille par les ministres Philippe Mbarga Mboa et Grégoire Owona qui, apprend-on, les ont saisis individuellement pour un entretien des plus étranges. A l’exception du magistrat Assako, (du fait qu’il réside et travaille à Buéa), tous se sont retrouvés au cabinet du ministre du Travail et de la sécurité sociale, à en croire nos sources.
Sans perdre le temps, Grégoire Owona plante le décor en expliquant à ses hôtes qu’il ne parle pas en tant que ministre, encore moins comme vice-président du Comité national olympique et sportif du Cameroun (Cnosc). Le but de cette rencontre pour le moins inhabituelle est simple : « Vous devez donner un avis favorable, suite au recours de John Begheni Ndeh, demandant l’invalidation de la candidature de Iya Mohammed», annonce-t-il. Surpris et déçus par cette nouvelle et la démarche qui la sous-tend, ces hommes de droit menacent de démissionner de la Commission face à ce qu’ils assimilent à un trafic d’influence.
Le lendemain à la Fécafoot, ils vont quand même statuer sur les deux dossiers pendants. Résultats des courses : La requête de Begheni Ndeh est bottée en touche parce que non seulement le demandeur n’a pas qualité pour solliciter un tel acte (parce qu’il aurait fallu que sa propre candidature soit invalidée, Ndlr), mais aussi, que «les fautes de gestion ne doivent pas être confondues à des malversations financières qui ne peuvent être établies que par une juridiction pénale». Le recours de Marlène Emvoutou sera validé.
Joint au téléphone hier en matinée par Le Messager, Philippe Mbarga Mboa refuse catégoriquement de s’étendre sur la question. L’ancien ministre des Sports et de l’éducation physique préfère écourter la conversation. Son collègue et camarade de parti (Rdpc), Grégoire Owona répond qu’il ne lui revient pas de « parler des affaires de la Fécafoot alors qu’elle est une structure organisée, capable de gérer elle-même ses dysfonctionnements. Rappelez-moi dans une heure (…) Je suis en réunion», va-t-il conclure.
Depuis le lancement des élections à la Fécafoot, l’organisation au niveau des régions s’est faite sous tension par endroits. Tension entretenue par les autorités administratives soit du fait de l’application des instructions contenues dans la lettre du ministre des Sports du 26 mars 2013, soit du blocage venu des candidats contestataires. Ce que beaucoup d’affidés d’Iya Mohammed qualifient de « conspiration qui laisse transparaître une volonté de déstabilisation de la Fécafoot et du football camerounais ».
Les rivalités entre ces deux « puissants » commis de l’Etat et le président de la Fécafoot remontent à plusieurs années. Le 2 juin 2006, Philippe Mbarga Mboa alors patron des sports, avait convoqué Iya Mohammed pour lui demander de démissionner. A l’intérieur de la Fédération, l’homme fort du département du Mfoundi avait porté son choix sur Antoine De Padoue Essomba Eyenga et Louis Marie Ondoua qui lui avaient confié qu’Iya Mohammed ne contrôlait plus le Comité exécutif. Malheureusement pour eux, « l’ émir » de Tsinga a signé et persisté. Mbarga Mboa n’a toujours pas digéré cet échec. Cette fois-ci, en s’associant à Grégoire Owona « dont le rêve le plus fou est de devenir ministre des Sports », selon certaines indiscrétions, l’homme voudrait sans doute entrer dans l’histoire comme faisant partie de la dream team qui a mis un terme au règne sans partage de Iya Mohammed.
2- Marlène Emvoutou et Begheni Ndeh en embuscade
Caddy Marlène Patience Emvoutou Aka’a est une femme déterminée. Une « amazone » qui ne recule devant rien. Pas même devant les trafics d’influence et les campagnes de dénigrement dont elle a fait l’objet depuis qu’elle a osé annoncer sa candidature à la course vers le trône. L’ancienne directrice du projet «Aspire» fait un diagnostic. «Le football camerounais va mal», et estime qu’elle est le médecin indiqué pour soigner ce grand malade. Cette diplômée en marketing prône la rupture. Sa tête fourmille d’idées pour relancer la machine grippée de la base jusqu’au sommet. Son projet s’articule autour de la réorganisation du football-jeunes, la création d’une télévision de la Fédération, la revalorisation des bénévoles, la restructuration des centres de formation, la création des stades de concert avec les mairies.
Pour une meilleure gestion des Lions indomptables, la toute fraîche présidente élue de la Ligue régionale de football du Sud propose purement et simplement la suppression des primes parce c’est «l’argent qui pollue les Lions». Elle pense que la sélection nationale doit être composée à 88% de joueurs évoluant au Cameroun. Pour atteindre son objectif, la candidate compte sur son carnet d’adresses. «La campagne sera longue. Je me prépare à encaisser des coups. Ce ne sera pas facile», reconnaît cette ressortissante d’Ebolowa qui est consciente que la bataille du 25 mai prochain n’aura rien d’une sinécure. Même si depuis quelques semaines son ton dur et caustique a passé le relais à un discours enclin aux idéaux de la Fécafoot. Ce qui fait dire à certains analystes que sa candidature fait office de fusible au cas où…
John Begheni Ndeh, lui, est une tête de turc. Son revirement a surpris plus d’un. Précédemment 1er vice président de la Fécafoot, il a décidé de se séparer d’Iya Mohammed. Pourtant, lorsqu’on lui posait une question au sujet de la gestion du football camerounais, il demandait aussitôt ce que pense le président Iya avant de conclure que « ce qu’il pense, c’est la même chose pour moi». Le 8 avril dernier, il a officiellement désavoué son mentor d’hier en co-signant avec ses pairs du Comité d’urgence, une correspondance adressée au secrétaire général de la Fédération internationale de football association (Fifa) pour soutenir la décision du ministre Adoum Garoua de sursoir au processus des élections au sein de la Fédération camerounaise de football et de ses ligues décentralisées jusqu’à nouvel ordre. Ces administrateurs justifiaient leur acte par le souci de préserver l’unité gravement menacée de la grande famille du football camerounais.
Comme si cela ne suffisait pas, il a remis une couche en adressant une requête, le 15 mai dernier, à la Commission des recours, pour demander le rejet de la candidature d’Iya au poste de président de la Fécafoot. Sept pages pleines dans lesquelles l’ancien ministre des Transports, à la lumière des statuts de la Fécafoot, des termes procéduriers et de sa petite expérience en littérature juridique, démontrait avec forces et détails que son désormais ex-mentor ne remplit pas toutes les conditions d’éligibilité.
D’ailleurs, pour mieux étayer sa requête, le 1er vice-président de l’instance faîtière du football camerounais n’est pas passé par quatre chemins pour évoquer la fameuse affaire qui a éclaboussé le président sortant le 27 mars dernier : son activité de directeur général de la société de développement du coton (Sodecoton) pour laquelle le Conseil de discipline budgétaire et financière placé auprès du ministère en charge du Contrôle supérieur de l’Etat du Cameroun statuant sur la gestion, pour la période allant de 2005 à 2010 « a décidé de constituer Iya Mohammed débiteur envers ladite entité de la somme de 9 052 075 692 (neuf milliards cinquante deux millions soixante-dix-huit mille six cent quatre-vingt-douze) Fcfa, de lui infliger une amende spéciale de 2 000 000 (deux millions) Fcfa, (…) et de prononcer à son endroit, une déchéance valant interdiction, pour une durée de sept (07) ans, d’être responsable de l’administration ou de la gestion des services publics ou des entreprises d’Etat, à quelque titre que ce soit».
Le président de la Ligue régionale du Nord-Ouest, appuyant son raisonnement sur l’article 35 alinéa 1 des statuts de la Fécafoot portant sur les conditions générales d’éligibilité, verra sa requête invalidée.
3- Iya Mohammed seul contre tous ?
On sait tous qu’il n’est pas un ancien footballeur. Sa passion pour le sport roi va chercher bien au-delà de la pratique de cette discipline à travers laquelle il a connu des lauriers et essuyé des échecs cuisants. Directeur de société, il a créé Coton sport de Garoua, un club de football qui est le mieux structuré du Cameroun, l’un des meilleurs d’Afrique. Président de la Fécafoot depuis 1998, il a contribué au redressement de cette institution qu’il a trouvée sous le poids des dettes, plus de 1,5 milliards Fcfa, 44 mois d’arriérés de salaire pour le personnel qui n’était d’ailleurs pas affilié à la Caisse nationale de prévoyance sociale (Cnps). Les actifs de la Fécafoot à ce jour se chiffrent à plus de 5 milliards Fcfa. Il a entrepris la construction d’un siège futuriste pour la fédération évalué à plus de 2 milliards Fcfa. De même, les ligues régionales ont reçu des dotations pour la construction de leurs sièges. Les centres techniques régionaux, annonce-t-il, verront le jour bientôt. L’administration de la Fédération a été modernisée. Pour ce qui est des résultats sportifs, sous l’ère Iya Mohammed en six participations à la phase finale de la Can, le Cameroun l’a remporté deux fois, a perdu une finale. Finaliste de la Coupe des Confédérations, médaillé d’or aux Jeux Olympiques, trois fois médaillé d’or aux Jeux africains, médaillé d’or à la Can de Beach Soccer.
Fait rare pour une fédération, la Fécafoot a engagé le chantier de construction des stades. « Beaucoup de choses auraient été réalisées si l’instance faîtière du football national ne reversait pas à un moment donné de son histoire 55% de ses retombées au ministère de la Jeunesse et des sports (Minjes) », soutiennent certains administrateurs. La Fécafoot a-t-elle une gestion des plus parfaites?
Que non! Iya n’est pas un saint. On sait qu’il a toujours réussi à se faire réélire, malgré la fronde de certains membres de son entourage. Sa dernière victime en date est l’universitaire Prosper Nkou Mvondo qu’il a vaincu en 2009 par un score à la soviétique. L’enseignant d’Université n’avait recueilli que deux voix sur la cinquantaine de suffrages exprimés. Il dénoncera en vain le code électoral qui a permis à son bourreau de «l’émasculer». Avant lui, Emmanuel Mvé, Joseph Antoine Bell, Philipe Mbarga Mboa et autres Charles Noumangué ont échoué devant le tout puissant lya. Ce dernier s’étant appuyé au fil de ses mandats à la Fécafoot sur ses secrétaires généraux et une fois sur un directeur général. Des fusibles qui se grillent au gré des intérêts du président. Va-t-il rééditer l’exploit cette année ? Pas si sûr.
Christian TCHAPMI