«Grêve» des joueurs, négociations, escale forcée à Bangkok… Les footballeurs camerounais ont rejoint le Japon avec quatre jours de retard. Mais ces incidents font partie du folklore national. Et jamais une équipe camerounaise n’a semblé à ce point en mesure de rivaliser avec les favoris
La succession d’épisodes a fait ricaner les professeurs du ballon rond, agacé les supporters les plus fidèles et finalement arraché un «rien n’a changé» fataliste chez plusieurs joueurs camerounais. Un condensé d’amateurisme, de voyage-gag et de course d’école aux allures de déjà-vu.
Mercredi 22 mai, aéroport de Paris-Roissy. Dans un hôtel situé à un souffle d’avion de l’aéroport, les vingt-trois sélectionnés camerounais et leurs accompagnateurs refusent d’embarquer dans l’appareil qui doit les emmener en Asie, pour une histoire d’argent non versé. Après plusieurs heures de négociations par téléphone, la bonne nouvelle vient du pays: le président Paul Biya en personne aurait donné l’ordre aux dirigeants de la fédération nationale de football de verser les 70,000 francs suisses que les joueurs réclamaient chacun comme prime de participation au Mondial, négociée plusieurs semaines plus tôt.
Le lendemain, Bangkok. Les mêmes se demandent ce qu’ils ont fait pour subir ce traitement. L’équipage de l’avion qui doit les emmener au Japon n’a pas demandé l’autorisation de survoler le Cambodge, le Vietnam et les Philippines. Arrêt forcé, nouvelles négociations, sept heures d’escale et redécollage dans une ambiance morose. Comme si la sélection camerounaise ne pouvait se préparer à une grande compétition sans problèmes d’intendance, sans conflits financiers ou diverses autres discordes… Depuis la nuit des temps, l’improvisation fait partie du folklore camerounais. On se souvient au pays qu’en 1990, les footballeurs de l’équipe nationale et leurs dirigeants avaient passé leur temps en Italie à se chamailler sur le montant des primes et le paiement de billets d’avion, avant d’atteindre brillamment les quarts de finale de la Coupe du monde. Même l’eau était venue à manquer lors de certains entraînements. Mais cette fois-ci, on veut se convaincre que le règlement rapide des problèmes permettra à l’équipe de se concentrer sur l’événement. Et puis, «les difficultés transcendent les Camerounais», aime à rappeler Issa Hayatou, le candidat à la présidence de la FIFA, Camerounais lui-même. Drôle de façon de raisonner, mais tout ce qui touche au football fonctionne ainsi dans un pays pauvre où la débrouille est érigée en principe de survie, où les richesses engendrées par le ballon rond font l’objet de toutes les convoitises, et où les équipes nationales sont le domaine réservé du président de la République, Paul Biya. Biya, le plus grand supporter des «Lions indomptables», leur plus grand critique aussi, quand les résultats ne suivent pas, prompt à rappeler ses footballeurs à l’«union sacrée» en pleine crise des primes non versées. Car dans la capitale, Yaounde, comme partout dans le pays, on a conscience d’une chose: ce Mondial-là ne sera pas tout à fait comme les autres pour l’équipe nationale, attendue au tournant après deux éliminations au premier tour, en 1994 et 1998.
Après avoir gagné les Jeux olympiques 2000 et les deux dernières Coupes d’Afrique des Nations, tenu la France en échec en match amical au stade de France (1-1), elle fera partie des outsiders les plus redoutables, porte-drapeau d’un continent qu’elle domine depuis une dizaine d’années. Ses stars Foé à Lyon, Lauren à Arsenal, Geremi au Real Madrid… jouent désormais dans les plus grands clubs européens; ses représentants les plus connus n’ont plus grand chose à voir avec les artistes insouciants voire naïfs du début des années 90. Eux aussi ont été formés sur les terrains pourris du pays avant de réussir loin de leur terre d’origine, glorieuses exceptions parmi les centaines de footballeurs africains échoués dans le monde après avoir rêvé de gloire, chair à dollars jetée en pature à des managers sans scrupules et désillusionnée.
Evidemment, ce mercantilisme ne plaît pas à tout le monde, même si le salaire moyen d’un footballeur camerounais (100 à 200 francs suisses par mois) n’a rien qui puisse retenir les meilleurs. «L’équipe nationale n’a plus la sève qui monte du pays», regrette Joseph-Antoine Bell, ancien gardien de la sélection jadis exilé lui aussi à Saint-Etienne, et triste de constater qu’aucun des sélectionnés ne joue au pays. Mais l’espoir est là, à l’aube de ce Mondial, et personne n’ose vraiment faire la fine bouche. Winfried Schäfer, le quatrième entraîneur en deux ans, arrivé d’Allemagne en septembre 2001, semble supporter la pression. Alors, au Cameroun, on prie. On pleurera pendant le Mondial sur les carences, les magouilles, les insuffisances, mais tout un peuple s’accrochera à la crinière de ses Lions indomptables parés pour l’occasion d’un maillot à manches transparentes qui devrait faire à nouveau sensation, après celui sans manches exhibé lors de la Coupe d’Afrique des Nations. Pour le reste, comme d’habitude, on avisera en temps utile. Et on improvisera.