L’ancien patron de l’Injs et de la Fécafoot vit presque reclus à Yaoundé. Les rares fois où vous pouvez rencontrer Maha Daher en ville, c’est au cours des réceptions ou cérémonies dans lesquelles il est invité. Et ce sont des moments véritablement rarissimes. Ce père de sept enfants (dont l’aîné est devenu aussi professeur d’Eps) et grand-père de deux petits enfants passe l’essentiel de son temps désormais dans sa belle villa qu’il a construite depuis 1977 au quartier Bastos à Yaoundé.
Du haut de son mètre 78, l’homme n’est pas malade, il se porte d’ailleurs plutôt bien. Il passe son temps entre la lecture du coran, les jeux de mots croisés ou fléchés, le visionnage de la télévision, l’encadrement de Falmata et Halima, ses deux derniers enfants qui sont encore au secondaire, et sa nouvelle passion : nourrir les oiseaux.
S’il a choisi cette vie d’ermite, c’est que c’est dans sa nature. Calme, pondéré, discret à la limite de la nonchalance, on aurait dit qu’il n’a jamais connu une intense vie d’homme public. Et pourtant…
L’opinion camerounaise garde sans doute encore en mémoire l’image de ce président de la Fédération camerounaise de football (Fécafoot) flegmatique devant toute l’agitation qui a entouré son règne (1993-1996). On entendait davantage son trésorier, général Philippe Mbarga Mboa, aujourd’hui ministre chargé de missions à la présidence de la République, et qui est resté l’un de ses rares fidèles amis. Au sommet de la grave crise Minjes-Fécafoot, Maha Daher a souvent laissé parler ses lieutenants et ses partisans. « On m’accusait de tout, mais moi je n’avais rien à me reprocher, donc je ne vois pas pourquoi je devais vociférer.
J’ai laissé les gens raconter ce qu’ils voulaient sur mon compte. On a coupé l’eau et l’électricité à la fédération pour me mettre en difficulté. On a dit que j’étais contre le gouvernement, que j’ai détourné l’argent de la World Cup 1994 et on me promettait la prison. Au moins sur l’argent de la coupe du monde, la Fifa est venue elle-même à Yaoundé faire la lumière. Mais, les gens ont continué à parler de Maha… » Il nous dit que c’est dans le but de retrouver la paix et de vivre tranquillement sa vie qu’il s’est refusé à se présenter aux élections de la Fécafoot en 1996. C’est d’ailleurs la même année qu’intervient sa retraite anticipée de la Fonction publique camerounaise. Lui, le coureur de haies de métier, semble avoir franchi sans encombre tous les obstacles qui se dressaient sur le chemin de sa vie professionnelle et publique pour jouir aujourd’hui, à 60 ans, d’un repos paisible.
C’est dans sa prime enfance que Maha Daher attrape le virus du sport, alors qu’il use encore ses fonds de culotte à l’école principale de Fort-Fourreau (devenu Kousseri, dans la province de l’Extrême-Nord). C’est M. Martel, le directeur de cette école, qui lui met le pied à l’étrier de l’athlétisme. Une carrière de sportif qui va clairement se dessiner au lycée de Garoua où Maha Daher fait partie de l’équipe de handball, de celle de volley-ball et court sur 110m haies, 100m et relais 4x100m. Il obtient la deuxième partie de la Maîtrise d’éducation physique et sportive au Centre régional d’éducation physique et sportive (Creps) de la même ville. Avant de s’inscrire à l’Institut national de la jeunesse et des sports (Injs) de Yaoundé dont il est major de la promotion des professeurs d’Eps en 1964. Cette même année, il entame un séjour de quatre années de formation en France. D’abord à l’Institut régional d’éducation physique et sportive (Irep) de Clarmont-Ferrand, ensuite au Creps de Bordeaux.
Course d’obstacles
Le séjour hexagonal de Maha Daher ne sera pas fait que d’études, même s’il le couronne par un Certificat d’aptitude au professorat de l’éducation physique et sportive (Capes) en 1968. Il lui permettra de poursuivre avec bonheur une admirable carrière de sportif de haut niveau entamée au Cameroun. En France, ils dispute plusieurs finales universitaires dans les course de haies et de relais. En même temps, il continue à porter les couleurs de l’équipe du Cameroun d’athlétisme. C’est ainsi qu’à la Coupe des Tropiques (Cameroun-Congo), il réussit, avec Nguitock, à faire passer pour la première fois le record du Cameroun de 100m sous la barre de 11 secondes (10’37’’).
Mais surtout, Maha Daher, parvient à se faire du beurre en France grâce à son activité sportive. « J’ai été engagé par la mairie de Libourne comme maître-nageur-sauveteur, diplômé de la Fédération française de natation. C’est un diplôme qui était refusé aux étrangers, mais que j’ai obtenu grâce à le pression du syndicat des enseignants d’Eps de Bordeaux, parce que mes collègues se disaient que j’étais tellement bon nageur qu’il ne fallait pas se passer de quelqu’un susceptible de rendre des services aux jeunes qui apprennent la natation.
C’est véritablement comme maître-nageur que j’ai gagné beaucoup d’argent en France », se souvient-il. Si Maha Daher a plongé avec joie dans la natation, en revanche il cesse de jouer au handball en France : « j’ai trouvé que le handball était trop brutal là-bas. Comme je marquais beaucoup de buts, j’étais la cible des défenseurs adverses qui me soumettaient à un rude combat physique. J’ai quitté cette discipline et je me suis lancé dans le volley-ball où il n’y a pas de contact avec l’adversaire ».
A son retour au Cameroun en 1968, il est, par la force des choses, obligé d’abandonner aussi sa discipline préférée dans l’athlétisme, la course de haies, qui ne se pratique pas encore dans notre pays à cette époque-là. Il s’essaie à la perche parce l’équipe du Cameroun n’a pas de spécialiste en la matière . Mais, Maha Daher ne mettra plus longtemps à la compétition, « parce que les gens ne venaient jamais à l’heure ». Peut-être fidèle à la signification de son patronyme (Daher veut dire « pureté » en kotoko), il a très souvent été amené à claquer la porte pour des principes.
Elève au lycée de Garoua et membre de la sélection de football du Nord pendant les jeux scolaires, avec comme capitaine un certain Jean Louis Beh Mengue qui était pensionnaire du collège Mazenaud), il abandonne le foot quand il voit un de ses camarades se fracturer la jambe. Mais, le sport-roi au Cameroun va le poursuivre, comme une ombre, comme dans une course de relais. Il est nommé secrétaire général de la Fécafoot en 1973 par le ministre Félix Tonye Mbog. Il démissionne du poste, « parce qu’au cours d’une assemblée générale, je n’avais pas supporté qu’un délégué venu de Douala m’engueule en public ».
Coupe du monde houleuse
La carrière administrative se poursuivra avec le poste de délégué provincial du Minjes à l’Est à Bertoua et à Ngaoundéré dans l’Adamaoua. « Je me sentais tellement bien là-bas. Il y avait une bonne ambiance avec les autres fonctionnaires affectés dans les services provinciaux. J’avais mes champs, j’étais tranquille ». C’est le ministre Théodore Lando qui va à nouveau le sortir de cet anonymat plutôt douillet. Maha Daher, en 1992, est nommé (les méthodes du parti unique ont alors encore cours à la fédé), secrétaire général de la Fécafoot. La première crise fédérale qui emporte le président Pascal Baylon Owona le propulse au devant de la scène, élu par l’assemblée générale président de la Fécafoot en 1994.
Une année compliquée pour le football camerounais, qui est très attendu à la coupe du monde 94 aux Etats-Unis, après son exploit du Mondiale italien quatre ans plus tôt. La perspective de la coupe du monde va faire de la présidence Maha Daher une zone de turbulences permanente. Le président de la République nomme un Comité technique d’organisation pour gérer la campagne du Cameroun à la World Cup, qui va organiser le tristement célèbre « Coup de cœur » dans le pays. Les Lions indomptables sont eux-mêmes divisés en deux clans, celui de Tataw, qui tient à son brassard et celui de Bell, qui veut le lui ravir. Il y a, bien sûr, une nouvelle affaire Milla, le retraité qui est à nouveau imposé au staff technique. L’équipe elle-même est prise en otage par un groupe de démarcheurs venus d’Europe, qui vont emmener les Lions dans une longue tournée dans les Dom-Tom.
Sur place aux Etats-Unis, c’est la grande pagaille : quatre ministres camerounais (Sport, Affaires étrangères, Culture, Recherche scientifique) font le déplacement. « Nous avons dû payer des amendes parce l’équipe arrivait en retard au stade à chaque match, à cause des palabres à l’infini dans la délégation », se rappelle, sans donner d’autres précisions, Maha Daher. Comme chacun sait, la World Cup 94 s’est achevée par un fiasco sportif que le président de la Fécafoot d’alors met sur le compte du climat malsain qui régnait entre les différents acteurs ou partenaires de l’équipe nationale. Des moments assez délicats sur la piste de sa vie, qui ne lui font pas oublier des instants magiques, comme quand il passait par l’hippodrome de Yaoundé dans les années 60-70, il entendait les enfants , en plein exercice d’athlétisme, se réclamer de son nom : « C’est moi, Maha ! ».
Emmanuel Gustave Samnick