Le parcours de Joël-Job MATIP avec les Lions Indomptables du Cameroun depuis ses débuts à Monaco le 3 mars 2010 contre l’Italie est loin d’être un long fleuve tranquille. Le jeune homme, bourré de talent, fait face à de nombreux malentendus et frustrations. On a le sentiment que l’on arrive pas à utiliser ses talents multiformes. Son envie de se reconstruire, après le gâchis de la coupe du monde, a fait le lit de nombreuses interprétations.
Repéré par le VfL Bochum en 1997, Joël-Job MATIP fait ses débuts en Bundesliga en novembre 2009 avec Schalke 04 contre le Bayern Munich, match dans lequel il marque le but égalisateur. Appelé pour la première fois en équipe du Cameroun en décembre 2009 par Paul Le Guen pour la CAN 2010 en Angola, il ne prendra finalement pas part au tournoi à cause des problèmes administratifs.
Depuis la fin de la Coupe du monde au Brésil, il s’est dit beaucoup de choses sur son compte. Des expressions telles que : « Comme beaucoup d’autres, Matip prend sa retraite internationale », « Matip boude l’entraineur », « Matip décide de faire un break », « Matip pose des conditions pour revenir…. ». Et comme je l’ai fait lorsque Lauren Etame s’est fait traiter d’Equato-guinéen, lorsque Patrick Mboma s’est fait virer des Lions par un ministre trop zélé, à la suite du fameux pénalty de Pierre Womé, pour défendre Benoît Assou Ekotto dont le patriotisme a été remis en cause ou lorsqu’à la suite du Marrakechgate, Samuel Eto’o est devenu le bouc émissaire, j’ai enquêté pour comprendre quelle est la part de vérité sur l’absence depuis la coupe du monde de Joël Matip, 23 ans, 179 matchs avec Schalke, dont 40 matchs de Champions League, 25 sélections avec les Lions et 16 buts. Voici le contenu des entretiens que j’ai eus avec le clan MATIP.
Sur son absence depuis la fin de la Coupe du monde au Brésil
A la fin de la Coupe du monde, à la fatigue physique s’est ajoutée la fatigue psychologique liée au climat délétère et à tous les tracas qu’a connus l’équipe nationale au Brésil et sur lesquels il n’est pas important de revenir, surtout que le changement a été amorcé. J’ai expliqué à l’entraîneur Finke que j’avais besoin d’un petit break pour récupérer. Et malheureusement, je me suis blessé dès le début de la saison, laquelle blessure, selon les médecins de mon club est liée comme je le disais à mon état de fatigue. Il s’agit d’un mini fracture de fatigue, pour laquelle j’aurais pu être opéré, mais le repos est plus indiqué. D’ici deux semaines je devrais reprendre. J’ai donc été un peu surpris de lire pas mal de choses dans les journaux ces derniers mois, et c’est pourquoi je tenais à faire cette clarification. Dès ma guérison complète, je serais à la disposition du coach ».
Les confidences du père, Jean MATIP
Jean Matip, le père de Joël qui revient du Cameroun s’est dit très lui aussi surpris d’apprendre au Cameroun qu’on serait en train de mettre sur pied un petit comité pour aller en Allemagne rencontrer son fils afin de le convaincre de revenir avec les Lions Indomptables. Il clarifie qu’en 2010 lorsque Joël a choisi de porter le vert-rouge-jaune, il n’a posé aucune condition et ce sera toujours ainsi, tant que l’entraineur l’estimera capable de répondre à ses attentes. La fierté de porter les couleurs de son pays et d’appartenir à cette grande nation qui a vu naitre les Mbappé Léppé, Roger Milla, Théophile Abéga et Patrick Mboma lui suffit. Cependant, ce n’est un secret pour personne s’il concède que l’improvisation, l’amateurisme, les luttes d’influence, les pratiques douteuses et le management à la petite semaine qui ont fait le lit au sein des Lions depuis 2010 ne sont pas de nature à rassurer des gamins dont certains sont nés et ont grandi loin du Cameroun.
Au-delà du cas MATIP : Ce que je pense
Le séjour de Joël-Job MATIP au sein des Lions indomptables a commencé par une improvisation. En effet, le 4 janvier 2010, quand les Lions Indomptables s’envolent de Paris pour le Kenya, pour préparer la Coupe d’Afrique des nations, il n’est pas du voyage. A cette époque, Joël Matip n’a pas encore de contrat professionnel avec le club de la Ruhr. Felix Magath dès son arrivée le remarque et décide de le surclasser dans le groupe pro. Le 7 novembre 2009, il est titulaire pour la première fois, à l’Allianz Arena de Munich. Quarante trois minutes plus tard, il égalise de la tête pour ses débuts et devient Joël Matip, et non plus le petit frère de Marvin. Finalement, la procédure ayant été enclenchée trop tard, il ne sera pas en Angola. La liste officielle ayant été déposée à la CAF depuis le 31 décembre, le Cameroun se retrouvera finalement à la CAN avec 22 joueurs au lieu de 23. Et puis, à la dernière minute, on entendra que de toute façon, le passeport du petit n’a jamais été prêt avant la CAN.
Le bonhomme, qui est très réservé s’est bien gardé de rentrer dans les détails de tout ce qui a gangrené la tanière depuis 2010, mais personne n’est dupe. Tout le monde sait pourquoi l’échec au Brésil était écrit. On peut citer pêle-mêle le dépit de certains joueurs qui auraient très mal vécu les affrontements sans fin et les messes nocturnes dans la tanière, l’improvisation à tous les niveaux, l’affrontement permanent entre le ministère des sports et la Fécafoot, l’éternel problème des primes, les nombreux discours impromptus sur la patriotisme, les retards causés par la délégation pléthorique présente au Brésil et dont beaucoup n’avaient aucun lien avec le football, l’impression que les décisions techniques n’étaient pas toujours la compétence du seul staff technique, les choix douteux qui ont permis d’amener de nombreux blessés au Brésil et de titulariser des joueurs qui n’avaient joué aucun match de préparation, l’isolement de ceux des joueurs qui ne voulaient pas rentrer dans les luttes de clans, le fonctionnement archaïque dans lequel on remet des sacs d’argent aux joueurs quelques heures avant le voyage, et les frustrations qui ont régné au sein de l’équipe pendant la Coupe du Monde.
Au delà des cas personnels, c’est la gestion globale de l’équipe nationale qui a fait problème depuis deux décennies. On a longtemps demandé de circuler parce qu’il n’y avait rien à voir, émis des doutes sur le patriotisme des joueurs au lieu de comprendre la profondeur du mal-être général face au gâchis qui entoure la gestion des Lions Indomptables. Finalement, ce dédain nous a couté presque douze ans de retard. Le déclin des Lions a commencé par la grève de Paris en 2002, déjà pour les primes, le voyage de quatre jours pour rallier le Japon et la débâcle qui s’en est suivie. C’est à cette époque qu’on aurait du prendre le taureau par les cornes, mais qu’a-t-on fait ? On a décidé de fanfaronner sur les plateaux télé et d’exclure tous ceux qui avaient osé critiquer le mode de gestion. Comme à de nombreuses reprises, le football camerounais se retrouve à nouveau à la croisée des chemins. Et la violence du choc subi au Brésil a réveillé tout le monde. Le travail de réforme profonde, de restructuration, et de renouvellement qui a commencé par le rajeunissement complet de l’équipe et qui se poursuivra en vue de l’organisation de la coupe d’Afrique des nations 2019 ne peut faire que regretter encore plus qu’on ait attendu aussi longtemps. Mais à l’échelle d’une nation, quelques années, ça reste remédiable. Toutes les grandes victoires du Cameroun ayant été construites sur la grinta (Hemlè), on se doit d’être un peu plus attentifs à ceux qui manifestent une volonté inconditionnelle de servir la nation, plutôt que de courir après certains binationaux qui ne rêvent que de jouer en équipe de France. Le Cameroun ce n’est pas Fidji ou le Swaziland. C’est une grande nation de football.
Claude KANA, Consultant*
* Auteur de « LA FABULEUSE HISTOIRE DES LIONS INDOMPTABLES DU CAMEROUN, De Samuel Mbappé Léppé à Samuel Eto’o », Ouvrage paru aux Editions Téham, Paris, 2014, 462 pages.