A mi-parcours des éliminatoires jumelées Coupe d’Afrique des nations (Can)/Coupe du Monde 2006, il n’est pas un Camerounais qui ne soit préoccupé par les résultats en dents de scie de la sélection nationale. Parfaite illustration de la mauvaise santé de l’équipe nationale. Les joueurs et leur encadrement technique se rejettent à tort ou a raison la balle. Pour les joueurs, ce qui arrive en ce moment aux Lions indomptables est « difficile à expliquer », estime Bill Tchato, latéral gauche de la sélection nationale que nous avons joints au téléphone.
Le joueur de Kaiserslautern en Allemagne pense que « nous traversons simplement une mauvaise passe ». Un point de vue que partage également Pierre Mbarga, entraîneur national chargé des gardiens de buts: « En Afrique, nous avons été pendant longtemps au dessus de la mêlée. Ce qui fait que toutes les équipes que nous rencontrons aujourd’hui en ont après nous ».
Quant à Pius N’diefi, les Lions jouent en ce moment de malchance : « à chaque fois il y a un petit truc qui manque », dit-il en citant pour exemple les deux dernières rencontres des Lions indomptables (face à l’Égypte puis au Soudan) qu’ils auraient pu gagner, n’eussent été « les nombreuses occasions manquées. […] J’espère qu’en 2005 ce ne sera pas la même chose et que nous allons gagner tous nos matches », espère l’attaquant de Al Hilal du Qatar.
Un impératif qui ne pourrait être possible, d’après Winfried Schäfer, le sélectionneur national, que si ses joueurs, pour la plupart « indisciplinés », prennent conscience. A cette accusation, les Lions répondent par un sourire : « quand il parle d’indiscipline, souligne Bill Tchato, je pense que ce sont des petites choses comme lorsqu’un joueur arrive par exemple en retard aux repas; ou arrive à table avec son portable allumé ».
Comme le défenseur, tous les joueurs que nous avons approchés ont semblé botter en touche l’accusation de leur entraîneur qui fait reposer sur eux les mauvais résultats de l’heure. N’empêche que lors du tournoi Rexona, qui a eu lieu en Allemagne au lendemain du match face au Soudan, les joueurs de l’équipe nationale se sont retrouvés autour d’une table pour une réunion d’autocritique avec les staffs technique et administratif.
Au-delà du constat qui a été fait et la résolution de voir les choses changer dès mars 2005, on ne peut pas dire que les véritables problèmes de l’équipe nationale aient été abordés. Joueurs et entraîneurs jouant à la politique de l’autruche. Les rivalités claniques entre footballeurs sont de plus en plus perceptibles. La suspicion grande.
Celle-ci est ravivée par les méthodes de travail peu orthodoxes de Schäfer. Et, de plus en plus contestées par son employeur, qui reste pourtant dans l’expectative. Certains joueurs, à l’instar de Mbami, Djemba, Emana, Job, reprocheraient, entre autres, au technicien allemand qui veut à tout prix réaliser des résultats immédiats, de ne pas prendre des risques avec les jeunes. Schäfer, poursuivent quelques-uns d’entre eux, ferait plus confiance à une caste symbolisée par Samuel Eto’o, Geremi Njitap et Rigobert Song Bahanag. Dans son rôle de porte-parole, le capitaine de l’équipe nationale ne se crée pas toujours des amis parmi ses coéquipiers. Lesquels lui reprochent de privilégier ses intérêts au détriment de ceux du groupe. Les assistants de Schäfer, pas toujours en phase avec leur patron, préfèrent rester dans leur rôle décoratif… Bref, tout le monde semble trouver son compte dans cet imbroglio. Personne ne veut donc déchirer le voile. Pas même un leader comme Eto’o. Le joueur du Fc Barcelone (Espagne) maintient son mutisme vis-à-vis de la presse locale.
Toutefois, l’on serait loin d’une implosion. « I1 n’y a jamais eu de bagarres entre joueurs, encore moins un désaccord entre joueurs et entraîneurs. I1 se trouve que le coach a toujours fait ses choix et nous les avons respectés. Mais c’est vrai que quand un joueur n’est pas appelé ou qu’il n’est pas dans le onze de départ, il va voir le coach et laisse éclater son mécontentement. Nous n’avons jamais dit ouvertement que ce que fait le coach est mauvais », avoue un joueur qui a préféré garder l’anonymat. Pour Pierre Mbarga, « il n’y a pas le feu dans la maison. Partout où il y a des hommes, il y a des frottements ».
Mais quand ces « frottements » ne produisent pas l’étincelle attendue au niveau des résultats, c’est qu’il y a un gros problème quelque part.
L’alibi Schäfer
Les résultats en demi-teinte des Lions indomptables suscitent bien de réactions. Ils sont nombreux qui voudraient voir l’entraîneur de la sélection nationale démissionner, ou à défaut, être limogé. Ce qui ne serait pas une première dans ces éliminatoires jumelées Can/Coupe du monde 2006. A mi-parcours, onze entraîneurs nationaux, sur les vingt neuf sélections engagées ont, soit démissionné, soit été démissionnés. Les derniers en date sont l’Italien Marco Tardelli, arrivé à la tête des Pharaons au début des éliminatoires, et le Libérien Kadalla Kromah, tous deux débarqués à l’issue de la 4ème journée (les 10, 11 et 12 octobre 2004). L’Égypte et le Liberia ayant tous deux enregistré des défaites, une de plus dans cette longue et sinueuse course à la qualification pour les doubles compétitions de 2006. Dans une interview récemment accordée à notre confrère Cameroon Tribune, Winfried Schäfer écarte toute idée de démission. Nonobstant la polémique autour de sa position actuelle à la tête du staff technique des Lions indomptables et des résultats peu reluisants de ces derniers, le technicien a plutôt renouvelé son attachement à notre sélection nationale; ou du moins, à l’exécution à terme de son contrat.
Toutefois, les dirigeants de la Fécafoot se disent préoccupés par la manière dont M. Schäfer mène sa tâche. La situation est si confuse que le technicien, lui, paraît imperturbable (lire interview ci-contre): « nous avons un contrat avec l’entraîneur qui va jusqu’à 2006, après la Coupe du monde en Allemagne. S’ il faut rompre le contrat, il faut voir cela avec le Minjes parce qu’il y a d’autres contours que nous ne maîtrisons pas », indique le secrétaire général de la Fécafoot, J.R. Atangana Mballa. Ce dernier met la présente situation sur le compte de l’ambiguïté qui règne autour de la gestion de l’équipe nationale. Il est de notoriété publique qu’au Cameroun, le Minjes est l’alpha et l’oméga de l’équipe nationale. Ce qui est contraire à ce qui se fait ailleurs, où c’est la fédération qui gère le football national, y compris les sélections nationales. Il revient donc au Minjes de décider du sort de Winfried Schäfer. Il est clair que ce dernier qui se plaint des paiements irréguliers de son salaire, ne voudrait cependant pas prendre le risque de rompre son contrat avant terme. Il attend d’être démissionné et de bénéficier, par conséquent, des indemnités afférentes à une rupture unilatérale de contrat tel que prévu dans la convention avec l’Etat du Cameroun. Il en est de même pour son employeur, qui, à côté d’importantes sommes financières qu’il craint de débourser s’il renvoyait le technicien à la maison, ne voudrait pas porter un coup à la coopération avec l’Allemagne.
Sursis
Ce n’est pas la première fois que le débat sur les méthodes de travail de Schäfer des Lions indomptables fait rage. Après la désillusion du Mondial 2002 en Corée et au Japon, l’ancien Minjes avait décidé d’en sanctionner les auteurs présumés : le latéral gauche des Lions indomptables, Pierre Womé Nlend, que Bidoung Mkpatt avait pris sur lui d’écarter de la sélection nationale ; et l’encadrement technique. Son patron, fortement soutenu par le bureau exécutif de la Fécafoot, n’avait dû son maintien que grâce à l’intervention de certaines personnalités influentes de la présidence de la République. Lors de la dernière Can, l’on avait observé un Schäfer fébrile dans l’attente de la reconduction de son contrat. Il était d’autant plus inquiet que les résultats moyens des Lions lors du premier tour de Tunisie 2004 ne présageaient rien de bien. Et que le Minjes et les dirigeants de la Fécafoot, n’y étaient pas indifférents.
Winnie ne retrouvera le sommeil qu’après le renouvellement de son contrat. Même si cela suscitera plus tard des regrets, car les quadruples champions d’Afrique sortiront prématurément de la compétition. Aujourd’hui, plus qu’avant encore, on parle au Minjes du « problème Schäfer ». Le technicien est de plus en plus vomi par des cadres de ce ministère qui réclament (en privé) son départ. La conférence de presse programmée le 26 octobre dernier par l’Allemand mais interdite par le Minjes est la preuve de la crise de confiance qui couve entre le technicien et son employeur.
Une enquête de Bertille M. Bikoun, Mutations