Il faut reconnaître d’emblée, qu’en règle générale, l’entraîneur principal connait ses joueurs mieux que quiconque et devrait avoir le dernier mot en matière de sélection. Même illogiques en apparence, ses choix peuvent s’avérer payants en définitive, comme lors de la CAN 2017 remportée avec une équipe où on avait de la peine à mettre un nom sur un visage.
Toujours est-il que plus le temps passe, une constance demeure : depuis son arrivée à la tête des Lions, le technicien belge a rarement fait l’unanimité dans ses choix qui suscitent souvent moult controverses.
Pas nécessairement parce que la liste des éléments convoqués est mauvaise dans l’ensemble, mais à cause du flou artistique qui entoure souvent la sélection ou la mise à l’écart de tel ou tel joueur. Ce qui donne souvent une impression de tâtonnement dans la confection de la liste des joueurs sélectionnés, fréquemment modifiée d’une rencontre à l’autre. Avec des entrants et des sortants aux profils parfois surprenants, sans que l’on sache les critères objectifs ayant motivé leur convocation puis leur sélection définitive et leur mise à l’écart plus tard. Campée dans ces conditions l’équipe-type est mission presqu’impossible.
Pour beaucoup d’observateurs, la gestion d’un effectif certes varié, mais dépourvu de cette polyvalence qui fait la force des sélections de haut niveau constitue un véritable casse-tête pour le staff technique. Tout se passe comme si le processus de sélection en équipe nationale était installé dans une logique d’éternel recommencement, sans vision globale ni objectif précis. A chaque fois qu’une nouvelle liste est publiée, la controverse s’installe dans une incroyable cacophonie où le sélectionneur et certaines valeurs sûres laissées de côté (sans motif valable) ont souvent du mal à accorder leurs violons.
Certes, on peut mettre au crédit d’Hugo Broos sa volonté d’oser, de sortir des sentiers battus en imaginant des nouvelles combinaisons audacieuses. Mais à condition de ne pas se perdre dans une expérimentation sans fin. Car à vouloir toujours découvrir des « nouveaux talents » sans lendemain, on risque de se condamner à un éternel recommencement. Alors que certains postes ont montré leur extrême fragilité ces derniers temps dans tous les compartiments (gardien de but, défense axiale, milieu, attaque), le coach continue de faire confiance à ceux-là même qui ont encaissé une vingtaine de buts lors des 5 dernières rencontres. La situation n’est pas prête de changer car dans les circonstances actuelles, on voit mal l’entraineur opérer un virage à 90 degrés, au risque de sacrifier ce qui a toujours été sa marque de fabrique : ne jamais aligner la même équipe deux rencontres de suite. Il avait été convenu par exemple que la série des matchs amicaux ayant précédé la Coupe des Confédérations 2017 allait servir de galop d’essai pour « arrêter » définitivement l’équipe-type pour la phase finale. Cela n’a pas empêché de voir apparaître en Russie des nouveaux visages qui n’avaient jamais connu un vécu avec le reste de la sélection et qui ont précipité l’élimination. C’est à croire qu’on va d’abord dans un tournoi majeur pour expérimenter des joueurs et non pour gagner. L’apparition des nouveaux visages à chaque convocation s’inscrit dans un processus dynamique mais à trop en faire, on risque de s’y perdre un peu.
Equilibre régional ?
Toujours au sujet de la gestion des effectifs, certains commentaires de la presse frisent l’hystérie. Nous n’irons pas jusqu’à soupçonner, sans preuves, le staff technique de favoriser des joueurs d’une certaine origine ethnique ou géographique. Laisser entendre à un coach d’origine étrangère, blanc de surcroît, que certains joueurs seraient convoqués, non en raison de de leur talent intrinsèque, mais à cause de leur proximité avec le Team manager (lire l’interview de Hugo Broos publié dans Cameroon Tribune du mercredi, 04 octobre 2017) est révélateur du vivre-ensemble au sein des Lions en même temps qu’il trahit un état d’esprit à combattre avec la dernière énergie si nous ne voulons pas retomber dans le syndrome de 1972. L’EQUIPE NATIONALE DU CAMEROUN EST UNE ET INDIVISIBLE. D’autres instances sont plus indiquées pour l’expérimentation du fameux équilibre régional. En principe, ne doivent être convoqués que des joueurs estimés au-dessus du lot et pouvant apporter un plus. Ce n’est pas une nouveauté en soi. A une certaine époque, le coach Claude Leroy disait s’appuyer en majorité sur des joueurs d’une certaine ethnie réputée pour son « hemlè. » Dans la décennie 1970-80, l’équipe nationale était constituée à 70 % des joueurs du grand Canon de Yaoundé sans que cela ne gêne personne. Plus loin de nous, notamment en Espagne, 5 joueurs du FC Barcelone faisaient partie de la sélection championne du monde en 2010 sans que l’on s’interroge sur leur origine catalane. Pourquoi faut-il qu’en Afrique noire, notamment au Cameroun, le tribalisme refasse surface, même dans un domaine où seul doit prévaloir la performance individuelle ? La CAN 2017 remportée de haute lutte n’était-elle pas celle de tout le Cameroun et non celle de certaines ethnies ? Quand Aboubakar, Nkoulou, Ngadeu ou Bassogog ont marqué des buts lors de la dernière CAN, était-ce au nom de leurs tribus et frères respectifs ? Dans un tel contexte, les remarques concernant l’extraction sociologique ou linguistique des joueurs de l’équipe nationale semble inopportune et peut contribuer au pourrissement d’un climat déjà malsain. Ce dont nous avons besoin c’est une équipe solide, constituée d’éléments volontaires, talentueux, animés d’un état d’esprit conquérant. Le reste n’est que balivernes.
Question de style
Sur le double plan technique et tactique, le sélectionneur veut sans doute apporter sa touche personnelle au jeu des Lions. « Le football moderne est fait de vitesse, de mouvement », n’a-t-il cessé de prêcher depuis son arrivé. Il est dans son bon droit. Toujours est-il qu’on ne saurait modifier du jour au lendemain la « culture » tactique d’une équipe jadis réputée pour la solidité de sa défense, qui a toujours misé en priorité sur sa masse athlétique, le marquage à la culotte, ainsi que cet art consommé de casser le rythme imposé par l’adversaire pour mieux le dérouter et repartir vers l’avant. Cela nous a maintes fois réussi (1982 en Espagne, 1990 en Italie, 2000 en Australie, etc. Maintenant, en voulant jouer au même rythme que l’Allemagne, le Brésil, la Colombie, le Chili ou le Nigeria, on crée d’énormes boulevards. D’où des scores-fleuves auxquels on n’était pas habitué auparavant. Voilà le prix de l’audace ! Moralité : un technicien lucide, conscient des forces et faiblesses de son équipe, ne peut prendre sur lui de changer radicalement la composition et le jeu d’une sélection nationale en un laps de temps relativement court sans tenir compte de certaines traditions. Génération après génération, l’équipe du Cameroun s’est forgée une identité. Elle a toujours été composée d’éléments dotés d’un important gabarit sur le plan physique, une morphologie singulière qui amoindrit sa vivacité en phase de contrôle ou de transmission du cuir. Pour corriger ou atténuer ces « défauts », elle a fondé son jeu sur la solidarité du bloc-équipe, en attaquant et défendant ensemble, voire en ralentissant a cas de besoin le jeu pour briser l’élan de l’adversaire. Ce sont ces fondamentaux qui ont longtemps fait la force des « Allemands de l’Afrique » qu’il faut retrouver vaille que vaille. La force d’un entraineur c’est la capacité à adapter son équipe aux situations les plus diverses. Le Cameroun ne s’est jamais tiré d’affaire au moyen d’un pressing très haut, mais grâce à un style hybride combinant les phases offensives et des séquences de repli autour d’un rideau défensif positionné relativement bas, sans mettre en danger permanent le dernier rempart. C’est d’ailleurs le système appliqué par certaines « petites » équipes qui parviennent ainsi à obtenir des bons résultats. En visionnant le match France-Luxembourg (0-0) qui a permis à ce petit pays européen de tenir en échec la France qui venait de battre auparavant la très joueuse équipe des Pays Bas par 4-0 dans le cadre de coupe du monde 2018, on comprendra de quoi il est question ici.
Objectif 2019
L’élimination du Cameroun de la course pour la Coupe du monde en Russie replace le pays des Lions indomptables face à des nouveaux défis. Cette sortie prématurée peut offrir paradoxalement une belle opportunité aux lions pour repartir du bon pied vers des nouvelles conquêtes. Pour ce faire, il ne faudrait pas nécessairement s’installer dans une nouvelle phase de « reconstruction » sans perspective d’en sortir, mais plutôt passer en revue les ingrédients de l’échec dans la perspective de construire patiemment les victoires futures. On se tromperait de route en voulant démanteler à tout prix l’effectif actuel comme le préconisent certains illuminés. Bien au contraire, il faut maintenir à tout prix un noyau dur débarrassé de certains éléments qui ont fait preuve de leurs limites et renforcé au besoin de nouveaux talents qui viendraient suppléer des manquements graves constatés tant en défense, au milieu de terrain qu’en attaque. Jadis réputée pour la solidité de sa défense, l’équipe du Cameroun est devenue une véritable passoire, avec une moyenne de trois buts encaissés par match. Il faut que cela change, mais avec la manière. Comme le faisait remarquer récemment un observateur lucide du football camerounais, l’année 2018 est presque déjà là. Ce n’est pas d’ici là qu’on va trouver subitement des perles rares, des joueurs d’exception qui étaient cachés on ne sait où, en vue de disputer et gagner la CAN 2019. Soyons lucides en reconnaissant que tous les éléments nécessaires dont le staff technique a besoin sont disponibles ou presque. Ce dont l’équipe nationale a le plus urgemment besoin c’est la constitution d’un noyau dur autour duquel vont graviter des nouvelles recrues dont l’incorporation ne saurait perturber ni la cohésion, ni la sérénité d’ensemble, ni la philosophie de jeu. Sans revenir au fameux système du titre foncier, il est impératif de donner un nouveau visage plus stable et plus attrayant aux Lions indomptables afin que mieux aguerris, ils soient plus prêts à affronter des nouveaux défis dont le plus important reste de remporter à domicile le trophée de la prochaine CAN.
Nous n’insisterons jamais assez qu’en matière de sélection, la décision finale revient au sélectionneur principal. Par souci de discipline et maintien de la cohésion, les joueurs n’ont pas à imposer leurs points de vue au coach ou à contester ouvertement son autorité. Pourquoi une attitude inimaginable dans leurs clubs professionnels respectifs serait-elle tolérée en équipe nationale ? Toujours est-il que les joueurs sont des adultes, parfois des stars et méritent par conséquent d’être traités avec plus d’égard. Ils ne sont pas là comme des simples « mendiants » de la sélection, mais des hommes d’une envergure certaine, à la réputation plus ou moins établie. On l’a dit et redit : Hugo Broos doit soigner sa communication sur le double plan interne (tanière) et externe (public, réseaux sociaux…), pour se réconcilier avec certains joueurs et le reste de l’équipe. Avec le début de la normalisation, la Cameroon Team a besoin de plus de sérénité pour avancer. Il est possible d’envisager une espèce de catharsis où la volonté de pardon réciproque irait de pair avec une réconciliation assumée des cœurs. Si la cacophonie actuelle perdure, personne ne sort gagnant, ni sur le plan des rapports humains, ni sur celui du jeu et encore moins de la performance globale. Déjà hors courses de la coupe du monde 2018, le Cameroun a d’autres défis plus importants et urgents comme celui du vaste chantier de l’organisation de la CAN 2019.
Jean Marie NZEKOUE, Editorialiste, chroniqueur sportif