L’équipe de football du Cameroun n’est pas à un paradoxe près. Au gré des circonstances, elle est capable du meilleur comme du pire. Même si cela reste conforme à une certaine logique sportive faite d’incertitudes, l’inconstance dans la performance ne saurait être la marque des grands champions. Au-delà des aléas imprévisibles, la confrontation entre deux équipes tourne généralement en faveur de celle considérée comme plus forte.
Il faudrait par exemple un séisme pour que le Brésil s’incline face aux Bahamas ou que l’Allemagne se fasse surprendre par Andorre. Force est de reconnaitre qu’en Afrique plus qu’ailleurs, les résultats d’un match ne sont pas toujours conformes aux prévisions les plus optimistes. La forme du moment, les avancées technico-tactiques, le nivellement des valeurs et tant d’autres paramètres entrent souvent en ligne de compte pour fausser les pronostics les mieux élaborés. D’où l’expression selon laquelle « il n’y a plus de petites équipes » qui s’est parfois vérifiée lors de la phase qualificative à certaines compétitions majeures comme la CAN, l’Euro, la Copa América, la Coupe du monde, les Jeux olympiques, etc.
Pour revenir au Cameroun, on se rappelle qu’aux lendemains de la déculottée de 1972 (demi-finale perdue face au Congo lors de la première CAN organisée à domicile), la sélection nationale, dans sa nouvelle configuration, s’était donnée pour ambition de repousser toujours plus loin les limites de l’échec. L’appellation « Lions indomptables » n’a pas été choisie par hasard. Seulement voilà : les rois de la savane ne sont jamais parvenus à repousser assez loin les limites de l’invincibilité. Capable sur un match de faire jeu égal ou de battre des adversaires de loin mieux placés dans la hiérarchie du football mondial, l’équipe a parfois le plus grand mal à s’imposer face à des sélections moins cotées. Tout se passe comme si l’ADN des Lions ne se nourrissait que d’exploits imprévisibles. Ainsi l’équipe du Cameroun peut vaincre la grande Argentine de Diego Maradona en match d’ouverture de la Coupe du monde 1990, l’Espagne en finale du tournoi de football des Olympiades Sydney 2000, le Brésil à la Coupe des confédérations 2003, tenir en échec la France ou l’Allemagne en match amical et devenir méconnaissable par la suite face à des modestes adversaires. Cap-Vert, Congo, Guinée-Bissau, Sierra Leone, Togo, Centrafrique, Comores…ont chacune, à un moment donné, tenu la dragée haute aux quintuples champions d’Afrique.
Une rétrospective même partielle des rencontres disputées à ce jour offre un tableau contrasté où des actions d’éclat côtoient sans logique apparente les résultats les plus décevants. De nombreux Camerounais attendaient par exemple monts et merveilles du premier match du coach Clarence Seedorf contre Comores (149è au classement mondial FIFA du mois d’août 2018). L’a mission semblait d’autant plus facile que l’adversaire était considéré comme un petit poucet. C’est pourquoi le score de parité (1-1) a été vécu comme une défaite, voire une humiliation. On peut certes relativiser en observant que le Cameroun n’était pas seul dans ce cas. Le Cameroun n’était d’ailleurs pas seul dans ce cas. Qui aurait pu prévoir par exemple la défaite (0-1) du Ghana face au Kenya surtout réputé pour la qualité de ses athlètes ou que l’Afrique du Sud serait tenue en échec à domicile (1-1) par une Libye dans la tourmente ?
Suprématie contestée
Mais à bien y regarder, le résultat décevant face aux Comores n’est ni une grande première, ni un cas à part. La prestation mitigée des champions d’Afrique en titre fait suite d’autres contre-performances enregistrées dans le passé. Le Togo par exemple a été l’une des premières « petites » équipes à briser la suprématie présumée du Cameroun. Lors des multiples rencontres ayant opposé les deux sélections tant en phase éliminatoire qu’en phase finale de la CAN, les Lions indomptables semblaient hors d’atteinte. Dans un bon jour, comme à la CAN 1984 et à la CAN 2000, ils pouvaient infliger une correction mémorable aux Ecureuils (3-0) Mais dans leurs mauvais jours, les fauves peuvent se faire surprendre par une défaite (0-1) comme à la phase de poule de la CAN 2002 ou en mars 2009 dans le cadre des éliminatoires pour la Coupe du monde 2010. Autre surprise de taille : en battant le Cameroun par 2-0 le 08 septembre 2012 dans le cadre des éliminatoires pour la CAN, l’équipe de la minuscule île du Cap-Vert, peu connue jusque-là, a brisé un tabou et s’est installée depuis lors dans le gotha du football africain. Le Cameroun a eu aussi maille à partir avec l’équipe du Guinée Bissau battue difficilement en phase qualificative de la CAN 2012 et en phase finale de la CAN 2017 où les Lions ont été menés longtemps au score avant de l’emporter in extrémis. En mars 2017, l’autre Guinée (Conakry) a battu le Cameroun en match amical en Belgique sur fond de scandale (Bruxelgate). Que dire de la modeste équipe du Niger vaincue lourdement (3-0) à domicile dans le cadre des éliminatoires de la coupe du monde 2018 et qui parvient à tenir en échec le Cameroun (0-0) le 17 novembre 2015 à Yaoundé ? Jusqu’à preuve du contraire, l’équipe nationale du Congo (à ne pas confondre avec la RDC) n’est pas une foudre de guerre. Pourtant le Cameroun au palmarès très étoffé a souvent eu le plus grand mal à prendre le dessus dans une confrontation directe. Que ce soit au niveau régional (coupe CEMAC) ou à l’échelle continentale (CHAN 2018) les Congolais se sont imposé par la plus petite marge (1-0). Ce qui fait dire à certains que le « syndrome de 1972 » n’a pas totalement disparu. le constat est aussi valable en dehors de l’Afrique. En quatre rencontres disputées entre 2001 et 2010, le Cameroun n’a jamais réussi à battre par exemple le Japon, vainqueur à trois reprises alors que cet adversaire ne fait pas partie des grandes pointures du football mondiale.
Nivellement des valeurs
Les performances en dents de scie se vérifient également au niveau des matchs non officiels.
Au cours des deux dernières années, le Cameroun a ainsi perdu tous les matchs amicaux contre des équipes jadis largement à leur portée. C’est notamment le cas contre le Nigeria ( 0-3), la Guinée (1-2), le Burkina (0-1). Certains diront pour se consoler qu’il s’agit d’un « simple match amical », sauf à oublier que la défaite face à un adversaire finit par installer des « traditions » qui disparaissent difficilement par la suite. C’est le cas avec des équipes comme l’Egypte, la Côte d’Ivoire ou le Burkina Faso qui sont devenues très difficiles à manœuvrer. Avec le Burkina par exemple, le score est généralement étriqué et quand ce n’est pas un résultat de parité (CAN 2017) ce sont les Etalons qui l’emportent comme lors du match amical du 27 mai 2018 en France. D’autres équipes face auxquelles le Cameroun partait favori ont pris de l’assurance au point de contester crânement une suprématie présumée. Le Nigeria reste un cas emblématique. Vaincus à trois deux reprises en finale de la CAN (1984, 1988 et 2000), les Super Eagles sont désormais hors de danger, pour l’instant tout au moins. En match amical comme en match officiel, les rapaces ont infligé récemment des lourdes défaites (3-0 ; 4-0) aux Lions. Le constat est donc accablant : alors que d’un côté des « petites » équipes contestent désormais la suprématie du Cameroun, de l’autre la liste des équipes pour lesquelles le Cameroun était considéré comme une espèce de « bête noire » se réduit comme une peau de chagrin. Il en va ainsi de l’Egypte, du Nigeria ou de la Côte d’Ivoire, Qu’on se rappelle la brillante victoire des Eléphants face aux Lions en quart de finale du CHAN 2016 au Maroc (3-0) ou en phase de groupe de la CAN 2015.
Même si un match n’est jamais gagné d’avance, ces multiples déconvenues ne doivent pas être considérées comme des épiphénomènes mais plutôt comme des symptômes d’un mal qu’il faut débusquer et soigner avant les importantes échéances qui s’annoncent. Depuis la CAN 2017 et même avant, l’équipe du Cameroun n’a jamais dégagé une sérénité à toute épreuve et est très souvent exposée aux facteurs déstabilisateurs, en interne comme en externe. S’il reste évident qu’avec le nivellement des valeurs on se saurait plus parler de « petites » équipes en Afrique comme ailleurs, il est tout aussi admis que les grosses pointures du football existent toujours et devraient pouvoir tenir leur rang en toutes circonstances. C’est une question d’image et de fierté. A moins que le Cameroun n’en fasse plus partie.
Jean-Marie Nzekoue, éditorialiste