Technique, physique et opportuniste lors de son premier match en Coupe du monde 2015 contre l’Equateur, l’équipe du Cameroun a marqué les esprits en mettant la barre très haut. Il reste à confirmer face au Japon, tenant du titre.
Camerounais, Africains et tous les amoureux du ballon rond, ils étaient nombreux à veiller très tard, dans la nuit du 8 au 9 juin, les yeux rivés sur le petit écran pour vivre en direct la première sortie des Lionnes indomptables du Cameroun à la Coupe du monde féminine 2015 qui se déroule actuellement au Canada. Après la sévère leçon de football infligée par l’Allemagne à la Côte d’Ivoire (10-0), c’est avec beaucoup d’appréhensions que les inconditionnels des Lionnes attendaient le match opposant le Cameroun à l’Equateur. En dépit du fait que les deux sélections découvraient le niveau mondial pour la première fois, les pronostics étaient plutôt favorables aux Sud-américaines. Pour beaucoup d’observateurs, les Africaines avaient intérêt à limiter les dégâts, à contenir l’adversaire, en attendant mieux. Un scénario-catastrophe échafaudé longtemps à l’avance voyait des Lionnes en poules mouillées, victimes résignées jouant la peur au ventre, recroquevillées sur elles-mêmes pour ne pas boire la tasse jusqu’à la lie.
La vérité du terrain a été tout autre. Dès l’entame de la partie, Christine Mani et ses camarades ont montré un tout autre visage : celui d’un escadron de guerrières en mission commandé pour mener le bon combat et remporter une victoire sans bavure. Dès le coup d’envoi, les Camerounaises ont posé le pied sur le ballon pour le plus le relâcher. Prenant littéralement l’adversaire à la gorge, les fauves ont imprimé d’emblée leurs marques et délimité leur territoire. On a pu donc voir se déployer, avec une étonnante aisance technique une séduisante sélection pratiquant un football agréable à regarder et qui n’a pas manqué d’arracher les applaudissements au public des connaisseurs. Dans cette rencontre cruciale, la première certitude est venue de la lisibilité du jeu et du dispositif tactique mis en place. On a pu ainsi voir, avec beaucoup de plaisir, onze prédatrices déployer une stratégie implacable pour la chasse au gibier qui n’a fait l’illusion qu’au premier quart d’heure avant de confondre vitesse et précipitation et de sombrer dans un relâchement frisant l’étourderie.
Que dire du jeu des Lionnes littéralement transfigurées ? Un exercice auquel nous n’étions pas habitués jusqu’ici. Un jeu rapide fait de dribbles, de passes sûres, de dédoublements, de longues transversales sur le dos de la défense adverse, de retraits millimétrés à l’approche de la surface de réparation, sans oublier le marquage teigneux sur le porteur du ballon et cette propension à provoquer l’adversaire, balle au pied pour mieux le pousser à la faute (les deux penalties n’étaient pas volés !).
Au-delà du résultat et de la large victoire (6-0), le plus intéressant c’est l’engagement et la solidarité dont ont fait preuve les joueuses du Cameroun qui semblaient avoir pour devise « une pour toutes et toutes pour une ». Cela faisait en effet plaisir de les voir ainsi combiner avec bonheur la percussion offensive avec la rigueur défensive. Une vingtaine de tirs cadrés, six corners, six buts marqués et aucun encaissé. Il y a longtemps qu’on n’avait pas vu une telle efficacité en équipe nationale, toutes catégories confondues. La complémentarité entre les lignes témoigne de la solidité du bloc-équipe qui a fonctionné au-delà des attentes. Le fruit sans doute d’un état d’esprit à mille lieux des querelles d’égos qui ont longtemps pourri l’ambiance chez les Lions masculins particulièrement. Les dames ont apporté la preuve qu’avec beaucoup de volonté et de détermination, on peut surmonter les nombreux obstacles qui ont failli déstabiliser le groupe. Fort heureusement, les filles ne se sont pas abandonnées ni au chantage, ni au bras de fer pour se faire entendre. Cette attitude aura certainement favorisé le dénouement que l’on connait au sujet des primes dont le paiement n’est plus qu’une question de temps.
En dépit d’un manque d’expériences des grandes joutes internationales, les Lionnes ont débarqué au Canada avec des atouts certains dont le moindre n’est pas la stabilité de l’effectif, de l’encadrement technique et médical dont l’osmose constitue une des clés du succès. Le coach Enow Ngachu connait son petit monde sur le bout des doigts. Certes, quelques jeunes pouces sont venus enrichir l’effectif, mais c’est le même noyau dur ou presque qui est en place depuis les Jeux olympiques 2012 et le Championnat d’Afrique 2014. L’autre bonne surprise de ce début de compétition chez les Lionnes c’est leur fraîcheur physique qui s’est parfaitement illustré lors des duels (souvent gagnés), la vitesse d’exécution, la fluidité du jeu, l’agressivité et la solidité du bloc-équipe qui n’est pas tombé dans le piège du star-system. Pour l’instant, il n’y a aucun bobo majeur et c’est plutôt rassurant. Autant dire que les kinés et le « docta » veillent au grain. Après leur entrée en matière réussie, les Lionnes sont désormais sur un nuage, mais il est temps qu’elles redescendent sur terre. Car le prochain match du 12 juin contre le Japon, champion du monde en titre, sera une autre paire de manches. Mais avec trois points engrangés, l’équipe du Cameroun a gagné en confiance et tout pourrait se jouer sur des petits détails. Le danger qui pourrait les guetter c’est de se relâcher, en sombrant dans l’euphorie et la facilité. Toute erreur sera sévèrement punie par des Japonaises à la vivacité et à l’opportunisme légendaire. Avec désormais un pied au second tour, les Lionnes n’ont pas droit à l’erreur. Plus que jamais, elles doivent cultiver la constance dans l’effort, la concentration extrême sur le prochain match et surtout l’humilité qui demeure la marque des grands champions.
Jean Marie NZEKOUE est éditorialiste, chroniqueur sportif, auteur entre autres :
« Afrique, faux débats et vrais défis » (2008), « L’aventure mondiale du football africain » (2010)