Vainqueur de la Suisse dans le match qu’il ne fallait pas perdre, la sélection féminine du Cameroun s’est projetée au second tour de la Coupe du monde Canada 2015. Une performance inédite depuis l’épopée de 1990 en Italie. Le prochain match contre la Chine s’annonce décisif pour égaler, voire dépasser ce précédent historique et entrer définitivement dans la légende du football mondial.
Par Jean Marie NZEKOUE, Editorialiste
Exit donc la Suisse et à nous la Chine ! C’est le nouveau challenge que se fixent désormais les Lionnes indomptables après leur victoire convaincante du 17 juin face à un adversaire présenté comme un véritable épouvantail. Les filles ont donc remporté de haute lutte le match qu’il ne fallait pas perdre et ont accru du même coup leur capital de confiance pour se hisser encore un peu plus vers les sommets. En s’imposant avec la manière (2-1), Ngono Mani et ses camarades ont arraché du coup le deuxième ticket qualificatif du groupe C derrière le Japon qui s’est contenté du minimum syndical (1-0) contre l’Equateur. Il faut dire qu’avant le coup d’envoi de cette rencontre tant attendue, les spéculations allaient bon train quant à l’enjeu du match. Avec une victoire et trois points au compteur, tout comme la Suisse, l’équipe du Cameroun était désavantagée au niveau de la différence des buts. Il lui fallait donc gagner impérativement pour arracher sa qualification ou au besoin, faire un match nul dans la perspective de figurer parmi les meilleures troisièmes à repêcher.
Avant le coup d’envoi, beaucoup d’observateurs redoutaient le syndrome de la douche froide vécu lors du match précédent contre le Japon, avec des buts encaissés trop tôt. Pleinement conscientes de l’enjeu, les Camerounaises n’ont pas versé toutefois dans les petits calculs d’antiquaire, affichant dès le départ leur détermination et leur hargne de vaincre. En démarrant la partie le pied au plancher, les fauves ont maintenu un pressing haut mais qui n’était pas toujours assis sur un jeu bien élaboré depuis les bases arrières. Malgré une possession de balle légèrement supérieure lors des 30 premières minutes, les fauves ont le plus souvent confondu vitesse et précipitation, en voulant jouer sur le même rythme que l’adversaire sans posséder ni les mêmes atouts physiques, ni la même philosophie de jeu. Dans ces conditions, le milieu de terrain a eu bien du mal, dans un premier temps, à assumer son vrai rôle de relayeur entre les deux autres compartiments dès lors que la défense s’illustrait dans la création des boulevards, des renvois de balle dans l’axe et autres maladresses qui ont failli ruiner tous les espoirs, n’eût été la vigilance de la gardienne. Ce jeu trop stéréotypé fait de relâchement au marquage et de longs ballons dégagés à l’emporte-pièce n’était pas pour déplaire aux Suissesses dont l’impact physique impressionnant a été mis à profit pour enrayer systématiquement toutes les tentatives, grâce à un marquage proche de l’agressivité, un jeu tout en mouvement fait de combinaisons rapides et de positionnements judicieux, notamment sur les flancs ou à l’entrée de la surface. Même s’il semble intervenu contre le cours du jeu, l’ouverture du score à la 27è mn, est venue consacrer une plus grande maîtrise dans le contrôle du cuir et une efficacité diabolique des Helvètes.
Coaching gagnant
Fort heureusement, les Lionnes qui ont montré des signes de fatigue à la fin de la première mi-temps n’étaient pas venues en victimes résignées.
La seconde manche s’est révélée être une autre paire de manches. Grâce aux réajustements apportés par l’encadrement technique, elles ont retrouvé leur vrai visage et leur vrai jeu. Elles ont su répondre admirablement au défi physique tout en cassant le rythme quand il le fallait avant le placer des banderilles par l’inévitable Aboudi Onguene dont les multiples débordements et centres au cordeau ont souvent été mal exploités par une Enganamouit des moins bons jours. Quoiqu’il en soit, chacune a su jouer sa partition pour construire la victoire finale.
Un coaching gagnant c’est celui qui sait opérer des changements ou des réajustements à partir des précédentes erreurs. Sur ce plan, Enow Ngachu a compris que son équipe ne pouvait prétendre aller loin sans se délester des pesanteurs et autres bourdes tant préjudiciables. En jouant dans son registre habituel, en combinant mieux, en étant plus présentes dans les duels, les Camerounaises ont fait douter des Suissesses qui avaient désormais du mal à déployer leur jeu faute de grands espaces. La ligne d’attaque qui s’était montrée jusque là très individualiste et brouillonne va mieux coordonner sa stratégie en créant davantage de danger dans la surface adverse. C’est cette créativité, ce jeu en mouvements, cette solidarité et cette efficacité retrouvés qui ont abouti à l’égalisation dès la 47è mn, puis au but de la victoire à la 62è mn.
L’un des principaux atouts de l’équipe camerounaise c’est la profondeur de son banc. Il est rassurant de savoir que les joueuses remplaçantes peuvent faire aussi bien, sinon mieux que les titulaires. La preuve, face au Japon comme face à la Suisse, les 2 buts sont venus des remplaçantes qui ont apporté plus de tonus et de percussion. En se focalisant sur certaines joueuses très en vue (Enganamouit), l’adversaire a oublié que le danger pouvait venir de partout et c’est là la grande force des Lionnes indomptables.
Autre atout de taille : la capacité à tenir un résultat jusqu’au coup de sifflet final. Pendant près de 30 mn, les fauves ont accompli l’exploit face à la première équipe européenne à se qualifier pour la coupe du monde. En outre, en inscrivant déjà 9 buts à Canada 2015, les Lionnes indomptables ont déjà établi le record du plus grand nombre de buts marqués par un pays africain dans l’épreuve.
Rééditer l’exploit historique
A ce stade de la compétition, la prestation des Lionnes indomptables rappelle forcément la glorieuse épopée de leurs aînés masculins qui avaient éblouit la planète entière lors de la Coupe du monde de 1990 en Italie. Une autre qualification historique pour le quart de finale, un quart de siècle plus tard, ne tient plus désormais qu’à un seul match, celui du 20 juin prochain contre la Chine. Sur le papier, l’adversaire a une bonne longueur d’avance (13è mondial) et a fait jusqu’ici un bon parcours (une victoire face aux Pays-Bas, un match nul devant la Nouvelle-Zélande, trois buts marqués pour trois encaissés). Autant dire qu’il faudra aux Lionnes beaucoup de volonté, d’engagement, de détermination et surtout de vigilance pour escalader la grande muraille chinoise.
Compte tenu de la vivacité et de l’aisance technique des Asiatiques, le prochain match doit être préparé de façon méthodique. Tous les schémas tactiques doivent être au point pour éviter d’encaisser un but trop tôt et courir ensuite derrière le score. La Chine quant à elle va s’inspirer certainement du Japon pour chercher à cueillir à froid le Cameroun.
Quelque soit le résultat de ce 8ème de finale, les Lionnes sont déjà entrées dans la légende du football africain et mondial en se projetant au second tour d’une coupe du monde. Auparavant, le Nigeria était la seule équipe du continent à atteindre ce stade en 1999. Désormais sur ses traces, le Cameroun dispose des ressources nécessaires pour contester durablement la suprématie continentale des Super Falcons. Ce n’est certes pas une raison pour ne pas aller le plus loin encore dans la compétition. Car chez les Lionnes comme chez tous les mammifères, l’appétit vient en mangeant.
Jean Marie NZEKOUE est éditorialiste, chroniqueur sportif, auteur entre autres :
« Afrique, faux débats et vrais défis » (2008), « L’aventure mondiale du football africain » (2010)