«Fifagate». Disparition de 100 millions de dollars, utilisation de fonds secrets pour financer la campagne présidentielle, complicité de la société ISL: voilà ce que révélait hier le «Daily Mail». Selon ce dernier, sur la base de témoignages provenant des anciens responsables d’ISL, le Valaisan était non seulement au courant, mais partie prenante de ces «déviances» qui confinent à la corruption
Une enquête menée par la presse britannique révèle les dessous obscurs de l’affaire Blatter.
Alors qu’il se trouve en territoire politique ennemi, en l’occurrence au congrès de l’Union européenne de football (UEFA), dont le leader suédois, Lennart Johansson, a fermement incité ses ouailles à porter leur choix sur le Camerounais Issa Hayatou lors de l’élection présidentielle de la FIFA (lire ci-dessous), le candidat sortant Joseph Blatter marche désormais sur un véritable champ de mines. Le Haut-Valaisan a eu beau obtenir gain de cause – et de temps – auprès du comité d’urgence de la FIFA, lequel, sans détenir de prérogative en la matière, a prorogé la suspension des travaux de la commission d’audit interne (CAI) jusqu’au 3 mai, date de la réunion extraordinaire du comité exécutif, la question qui se pose désormais est la suivante: comment Blatter pourra-t-il se tirer d’affaire, à la suite de l’enquête fouillée publiée par notre confrère anglais Daily Mail? Enquête qui fournit des éléments très concrets sur le fait que le président savait tout, dès le départ, des «déviances» financières au sein de son organisation, et qu’il a choisi le mutisme dans le seul dessein de protéger son trône. En particulier, la perte suspecte de 170 millions de francs au moment du crash de la firme zougoise ISL – l’expertise officielle de KPMG s’était arrêtée sur 53 millions – aurait été connue de lui. Pire: le Daily Mail l’accuse, présomptions fondées à l’appui, d’avoir été partie prenante dans cette affaire qui, si l’on y ajoute la suspicion de complicité de détournement de fonds, commence à réunir les ingrédients d’un vrai scandale de corruption. D’un «fifagate», selon la terminologie chère aux Américains. Via des sources débusquées à l’intérieur de feu ISL (International Sports Leisure), mise en faillite en mai 2001 pour un découvert de 700 millions de francs, les limiers britanniques sont remontés à la genèse de l’histoire. Soit à la fin de l’an 2000, époque où ISL est déjà au bord du gouffre. Son patron, Jean-Marie Weber, tente une manœuvre désespérée: il fait la manche auprès de ses vieux partenaires et amis, les télévisions brésilienne Globo et japonaise Dentsu, et obtient d’elles 100 millions de dollars (les fameux 170 millions de francs suisses) au titre d’avance sur les futurs droits TV de la Coupe du monde. L’argent ainsi récolté disparaît immédiatement au Liechtenstein, sous le couvert d’une énigmatique filiale baptisée Nunca («jamais», en espagnol). Laquelle, auparavant, avait été utilisée par ISL afin de «persuader» des membres de la FIFA d’élire Blatter à la présidence, en juin 1998. A l’heure actuelle, aucune preuve n’existe que le Suisse a personnellement puisé dans ce compte secret afin de distribuer des pots-de-vin. Ce qui lui permettra de continuer à plaider l’ignorance, sinon la bonne foi, contre vents et marées. En revanche, deux facteurs apparaissent acquis: d’une part, Nunca a financé nombre de tournois (la Coupe des pays de langue portugaise, celle de l’Afrique centrale désignée par le sigle Cecafa), associations et autres intérêts footballistiques africains, continent qui, on le sait, a fait la différence en faveur du Valaisan au cours du scrutin de 1998; d’autre part, Jean-Marie Weber, proche confident de Blatter et de son prédécesseur brésilien Joao Havelange, avait tenu le «bureau ovale» zurichois au courant de tout ce qui se tramait. Mais l’affaire va plus loin. En décembre 1997 – Blatter était secrétaire général de la FIFA et candidat déclaré à la succession de Havelange –, il s’agissait de renégocier les droits de marketing pour les Mondiaux 2002 et 2006, le «tripack» 1990/94/98 arrivant à échéance. Durant la Coupe des Confédérations, les deux compères discutent d’un épais document de 120 pages avec les représentants d’ISL. Quelques mois plus tard, au Caire, ISL leur soumet une offre de 250 millions de francs sur quatre ans. Or, la nuit précédente, le puissant Mark McCormack, boss du groupe IMG, avait proposé la bagatelle de 840 millions pour le même marché. En dépit du fait qu’ISL paierait moins du tiers de la somme articulée par IMG, tout en s’arrogeant par contrat des exclusivités qui excluaient jusqu’au droit de regard de l’employeur et à l’usage libre de son propre logo – «La FIFA a vendu son âme à ISL», lâchèrent alors certains dignitaires –, en dépit des avertissements réitérés des avocats de la fédération, de l’administrateur Flavio Battaini et du secrétaire général adjoint Michel Zen-Ruffinen, cet étrange marchandage fut paraphé par Havelange et Blatter le 12 décembre 1997. Pourquoi, sinon par «obligation morale»? «Nous avons fait notre part», aurait dit Joao Havelange à Weber & Cie une fois l’accord entériné, «à vous de faire la vôtre». Aucun doute, les paroles sibyllines du potentat brésilien ne pouvaient signifier qu’une chose: la «part» d’ISL consistait à assurer l’élection de son protégé, Sepp Blatter, quels que soient les moyens nécessaires. A partir de là, les enveloppes à 50 000 dollars pièce, évoquées par le journaliste David Yallop dans son livre Comment ils ont truqué la partie, prennent une acuité nouvelle. Sans parler de l’acharnement de Blatter à dissimuler la vérité sur les effets de la banqueroute d’ISL. Il aura fallu près de cinq années avant que le lièvre soit levé. Les faits rapportés aujourd’hui, s’ils ne prouvent pas la culpabilité du (des) président(s) de la FIFA, appartiennent à un registre qui n’a plus rien de commun avec celui des éventuels ragots infondés.