Chaque année, depuis une dizaine de saisons, la finale de la Coupe du Cameroun de football se joue sous pression, deux à trois mois après les demi-finales, sous la menace de sanction de la Confédération africaine de football, qui est toujours obligée de nous accorder un sursis pour la désignation et l`affiliation de notre représentant à la Coupe des vainqueurs de coupe. Quand arrive enfin, toujours à l`improviste, le jour du match – parfois un jour de semaine annoncé la veille – les acteurs sont fatigués par une trop longue préparation, et leur prestation est quelconque.
Tout cela parce que Paul Biya, le président unique et naturel de cette compétition (il est le premier sportif, après tout!), ne peut pas rater cette occasion de se faire acclamer par la foule spontanée du stade Ahmadou Ahidjo, mais ne veut pas et ne peut pas non plus se soumettre, comme son ami Chirac par exemple, à la contrainte d`une date fixée longtemps à l`avance. Les mauvaises langues insinuent qu`il y aurait une histoire de gourou à consulter. Nous penchons plutôt, quant à nous, vers l`opinion selon laquelle il ne se verrait (et ne serait) plus président de la République s`il obéissait à quelque chose, s`il était surtout tenu par un délai, par le temps de tout le monde…
Chaque année, le projet de loi de finances, sensé être examiné et adopté au cours d`une session dite budgétaire, atterrit à l`Assemblée nationale au mieux la dernière semaine du mois réservé à cet effet, sinon en prolongation, hors délai. Heureusement que la Chambre d`enregistrement de Ngoa Ekellé n`a pas besoin de beaucoup de temps pour… enregistrer!
Cela fait bien vingt ans que ça dure, avec le Renouveau et son père. Ici, l`argent, ce n`est pas le temps. Et les « honorables », heureusement, savent ne pas perdre l`argent en perdant le temps…
Chaque année, le corps diplomatique de Yaoundé doit surveiller la lune, prier Dieu ou consulter les marabouts, pour savoir quand il présentera ses voeux de l`An au Palais. En attendant, entre la mi-décembre et fin janvier, personne ne bouge, comme les vierges sages de l`Evangile. On attend le président.
Les diplomates envoyés chez nous sont d`ailleurs entraînés à cette gymnastique, puisque, à leur arrivée déjà, ils doivent attendre des semaines pour être reçus, même quand il s`agit d`une mission brève, ou des mois pour présenter leurs lettres de créances quand ils sont accrédités. Le temps du président, le temps au Cameroun…
Chaque année, le secrétaire général, le comité central et les organes de base du Parti préparent la célébration-commémoration du 6 novembre, sans pouvoir dire, une heure à l`avance, malgré les personnes-ressources et les moyens de renseignements dont ils disposent, si le héros du jour sera de la fête et s`offrira en spectacle autrement que par ses effigies sur les poitrines et les fesses. On attend la surprise divine…
Ainsi va le temps du président. Imprenable.
Lorsque le chef de l`Etat, Madame et les enfants doivent sortir d`Etoudi, soit pour un tour en ville, soit pour quitter le pays ou y revenir à l`occasion d`un bref-long séjour privé ou officiel à l`étranger, la Sécurité instaure la ville-morte à Yaoundé, de l`aube au coucher du soleil, et souvent au-delà. Personne, même pas le policier le plus gradé, ne peut vous dire à quel moment les véhicules pourront de nouveau circuler, quand vous pourrez réouvrir votre boutique, aller à la boulangerie, à l`hôpital, à la pharmacie. La route est barrée, et souvent il n`y passe même pas! Les affaires, l`école, les maladies et les urgences doivent attendre le passage du président.
Et le prochain conseil des ministres, c`est quand? Savez-vous quand s`est tenu le dernier? Ne demandez à personne. Le président lui-même ne le sait pas, ses ministres non plus. Ceux-ci ont la tête à autre chose, en attendant le prochain décret les concernant. Le président, lui, a le temps, jusqu`en 2011, au moins. A quoi bon se presser? Qui est mort parce que le président de la République ne rencontre ses ministres qu`à l`aéroport ou le 20 mai, dans la salle des banquets du Palais?
Nombre de responsables cumulent un tas de fonctions publiques, souvent incompatibles : ministre et gouverneur, ministre et Sg de l`Assemblée nationale ou d`un autre ministère, député et représentant du gouvernement auprès d`une autre institution, etc. On a également vu un poste ministériel ou directorial vacant rester… vacant des années durant. Comme s`il n`était pas utile. Ne parlons pas des élections partielles pour remplacer les députés décédés. On a le temps, même après la fin de la législature…
L`application des lois? C`est pareil. Plus de douze (12) ans après la promulgation de la loi sur la liberté de la communication, malgré la propagande en la matière, l`audiovisuel privé ne bénéficie toujours pas d`une seule licence d`exploitation. Près de sept (7) ans après, la « nouvelle » Constitution de 1996 attend toujours son Sénat, son Conseil constitutionnel, sa Chambre des comptes, la décentralisation, la déclaration des biens du président et de ses copains. Paul Biya, lui, pour une fois, ne s`est pas donné du temps pour prendre son premier septennat. Ça, c`était urgent…
Et les promesses présidentielles? N`engageant que ceux qui y croient, elles doivent aussi attendre un jour hypothétique. Et, ce jour-là, quand il arrive, la Crtv, Cameroon Tribune et le choeur des thuriféraires applaudissent à tout rompre : « Promesses tenues! ». On le sait, « il n`est jamais trop tard »…
Ainsi va le Cameroun depuis vingt ans, avec le temps du président. Ce temps, dont un courtisan a écrit qu`il n`est pas le temps de tout le monde, le temps des humains ordinaires. Le temps du président, c`est le temps divin, imprévisible, imprescriptible, le temps… éternel. L`éternité, quoi! A laquelle les mortels que nous sommes ne peuvent pas, ne savent pas s`arrimer. C`est pour cela qu`ils s`agitent, s`énervent, se font du stress, en meurent. C`est pour cela qu`ils ont l`impression et racontent que rien ne marche chez nous, sauf la misère. C`est pour cela que les citoyens se sont réfugiés dans l`apathie et le Parti, en attendant que le temps redevienne humain et soit compté pour tout le monde, y compris pour leur président.
Paul Biya et son temps à lui ne seront évidemment plus là…
Daniel Rim