«FIFAGATE». Selon le document déposé sur la table du comité exécutif, deux cas de corruption relèvent de la responsabilité directe du président. S’agissant du contrat sur les droits TV, la gestion déloyale est évoquée. Créée à la suite de la faillite d’ISL, la société FIFA Marketing est décrite comme un gouffre financier. Hier, le patron de l’UEFA, Lennart Johansson, a menacé de déposer plainte pénale si Blatter ne démissionne pas sine die.
Cette fois, comment Joseph Blatter va-t-il s’en sortir? L’homme est certes rusé, habile manœuvrier politique, et dispose d’appuis solides – faut-il parler de «complicités»? – à l’intérieur du congrès de la FIFA. Cependant, les preuves contenues dans le rapport que le secrétaire général Michel Zen-Ruffinen a présenté et remis aux membres du comité exécutif (CE), vendredi à Zurich (LT du 4 mai), paraissent à ce point accablantes que l’on voit mal le système de défense que le président du football mondial pourra élaborer.
Classé «confidentiel» en raison de l’enquête du CE, l’acte d’accusation de Zen-Ruffinen n’a mis que quelques heures pour tomber entre les mains des médias. Pas étonnant, dès lors que 24 copies avaient été distribuées, et que certains membres du comité ont tout intérêt à ce que le déballage de linge sale s’étale sur la place publique, afin de torpiller le navire du capitaine valaisan avant l’échéance électorale du 29 mai à Séoul.
Hier, un dignitaire du CE nous a d’ailleurs très facilement renseignés sur les pièces maîtresses du dossier. Lesquelles, en langage juridique, portent les noms de corruption et de gestion déloyale. Premier élément, le virement bancaire de 100 000 dollars en faveur de Viacheslav Koloskov, président de l’Union russe de foot, émis par le service financier de la FIFA sur ordre de Blatter. La somme représente deux années d’émoluments (en l’occurrence 1998 et 1999) dus à un membre du comité exécutif. Le problème, c’est que M. Koloskov y fut élu en août 2000, et qu’il n’y siégeait donc pas à l’époque où il a été payé… «Le motif de ce versement frauduleux ne fait aucun doute, affirme notre interlocuteur. En vue d’assurer son élection de juin 1998 à Paris, Blatter a acheté les 12 voix des «satellites» russes que Koloskov contrôle.»
Deuxième preuve de corruption, les suites de «l’affaire Farah Addo». En février dernier, le délégué somalien affirmait que, au cours de la nuit précédant le congrès parisien du 8 juin 1998, il avait vu des enveloppes circuler de main à main dans les salons feutrés de l’hôtel Méridien. Début mars, deux anciens arbitres africains internationaux – le Nigérien Bouchardeau et le Tunisien Jouini – sont convoqués au siège de la FIFA, pour y discuter de ce cas en compagnie de deux cadres de l’organisation. Blatter fait son entrée lors de l’entretien avec Bouchardeau, et lui demande de monter un dossier personnel contre Addo. Bouchardeau accepte en monnayant ses services à hauteur de 50 000 dollars. Les deux hommes quittent le bureau, et Blatter signe un chèque de 25 000 dollars en disant au Nigérien qu’il touchera l’autre moitié lorsqu’il aura réuni des indices démontrant qu’Addo est un «pourri». Tout comme le virement à Koloskov, le double du chèque figure dans le rapport Zen-Ruffinen.
Au chapitre de la gestion déloyale, la principale pièce à conviction concerne l’attribution des droits TV de la Coupe du monde 2006 au consortium germano-suisse ISL/Kirch pour 220 millions de dollars, alors que la société américaine AIM avait offert 320 millions. Le fondement de cet étrange contrat reste flou, mais toujours est-il que Blatter l’a paraphé sans l’aval du comité exécutif, violant ainsi les statuts de la FIFA.
A cela s’ajoutent l’abandon d’une créance de 9,474 millions de dollars sans raison valable au profit de la Concacaf (Confédération nord- et centraméricaine de foot, dont les dirigeants, le Trinidadien Jack Warner et l’Américain Chuck Blazer, sont des amis de Blatter), l’octroi illicite d’une Mercedes de fonction à la secrétaire du président, et l’accusation à l’encontre de celui-ci «d’user et abuser du programme GOAL (ndlr: un projet d’aide d’un million de dollars à chaque pays en voie de développement) pour ses intérêts personnels en s’en servant […] dans le but de mener campagne».
Ultime épisode (provisoire) du feuilleton, le rôle trouble de la firme FIFA Marketing, créée par Blatter afin de récupérer les droits TV suite à la faillite d’ISL, et dirigée par Guido Tognoni, ancien chef de presse de l’instance zurichoise. Au moment où Blatter décrétait un blocage du personnel travaillant au siège de la FIFA, il engageait 80 employés dans cette nouvelle société, la plupart en provenance de feu ISL. Résultat des courses: FIFA Marketing est devenu un gouffre financier, son coût de fonctionnement annuel atteignant 100 millions de francs suisses.
Dans une interview accordée dimanche à la chaîne CNN, Lennart Johansson, patron de l’UEFA (l’Union européenne de football), a sommé Sepp Blatter de se retirer, sous peine de faire l’objet d’une plainte pénale. On rappellera que le président, en voyage en Corée du Nord, a jusqu’à la fin de la semaine pour répondre par écrit aux diverses accusations portées à son encontre. Au vu du rapport Zen-Ruffinen, on peut se demander pourquoi le comité exécutif de la FIFA n’a pas déjà saisi la justice.