Depuis la victoire qualificative des Lions indomptables du Cameroun face aux Fennecs d’Algérie dans le cadre du dernier match qualificatif pour la Coupe du monde Qatar 2022, les théories du complot fleurissent dans les médias. C’est la panacée du football africain. Et les réseaux sociaux ont trouvé le bouc émissaire idéal : Mr Bakary Gassama, l’arbitre central. Selon ses accusateurs, les décisions auraient été largement favorables à l’équipe camerounaise.
D’aucuns pourraient se demander pourquoi de tous les cinq matchs qualificatifs disputés le 29 mars dernier c’est celui-là qui a suscité jusqu’ici autant de polémiques. Avec des recours en annulation du résultat acquis sur le terrain, en reprogrammation du match en plus des sanctions à infliger à l’arbitre ? Vainqueur du match aller à Douala (0-1), l’équipe algérienne n’avait trouvé rien à redire sur l’arbitrage. Pour leur part, les Lions avaient reconnu sportivement leur défaite dans la tradition du fair-play qui caractérise les grandes nations du football.
Pourquoi leurs adversaires vaincus au match retour refusent mordicus de reconnaître leur défaite et de féliciter les vainqueurs ?
Pour tenter de comprendre cette attitude proche de la paranoïa, il faut remonter dans l’histoire plus ou moins récente des matchs à grands enjeux. Les habitudes ayant la vie dure, on constate que certaines équipes africaines ont le plus grand mal à accepter la défaite et trouvent toujours des circonstances atténuantes (climat, état de la pelouse, arbitrage, VAR, sorcellerie…) pour justifier leur contre-performance.
Il existe même des sélections nationales multirécidivistes en la matière. C’est ainsi qu’après la victoire de l’Égypte par 4-0 face à l’Algérie en demi-finale de la CAN 2010, la presse algérienne avait estimé que leur pays était « victime d’un complot ». Ils n’avaient évidemment apporté aucune preuve, ni détail.. « L’arbitre béninois a officié le duel d’une manière plus que discutable, allant jusqu’à tuer le match. Faisant montre d’un parti pris flagrant, il a été peu regardant envers les Égyptiens qui ont commis également beaucoup de fautes d’anti jeu, et a systématiquement réagi sévèrement avec les Verts » commentait alors le quotidien algérien « Liberté ». Une réaction qui rappelle étrangement celle de plusieurs journaux et sites algériens depuis la défaite de leur pays face au Cameroun.
L’Algérie a l’habitude des plaintes non justifiées
Lors du tournoi qualificatif pour la Coupe du monde 2022, Djibouti, faute d’installations adéquates, avait choisi le Maroc pour abriter son match contre l’Algérie. Cette dernière a vu dans ce choix « un piège tendu à leur équipe », compte tenu des relations pas toujours au beau fixe entre voisins.
On se rappelle que ce même arbitre Gassama avait été refusé dans un premier temps par l’Égypte pour diriger la demi-finale face au Cameroun à la CAN 2021. Un match pourtant remporté finalement par les Pharaons aux tirs au but.
Lors des deux derniers matchs qualificatifs pour la Coupe du monde 2022, certaines sélections nationales se sont opposées ouvertement à la désignation de certains arbitres. Un célèbre influenceur algérien n’a pas hésité à dire que la défaite de l’Algérie avait été « préparée » pour éviter des débordements et autres casses dans les villes françaises en cas de victoire. « Préparée » par qui ? Mystère.
La CAN 2021 a focalisé les « fake news » des plus ridicules
Il se raconte également que lors de la récente CAN au Cameroun, une équipe considérée au départ comme l’un des favoris avait attribué ses mauvaises performances, notamment face à la Guinée Equatoriale, à des facteurs extra-sportifs, voire surnaturels, allant jusqu’à évoquer le « mauvais œil », les gris-gris, l’envoûtement, l’hypnose, etc. Toujours lors de cette compétition, on a constaté que certaines équipes avaient refusé de loger dans des hôtels réservés à l’avance, d’autres débarquant avec leur nourriture, eau à boire, literie, femmes de chambre, vigiles, etc. Comme si des extraterrestres séjournaient chez des pestiférés ! De quoi avaient-elles peur ? Mystère.
Pourquoi tant de suspicions sur le pays hôte comme on l’a vu récemment au Cameroun ? Qu’adviendrait-il si dans toutes les compétitions d’envergure organisées en Afrique chaque délégation débarquait avec ses propres victuailles et refusait de consommer local ?
Le football africain malade du fair-play. Beau jeu contre les complots
Ce sont autant de questions qui remettent à l’ordre du jour le respect du fair-play, de la tolérance, des valeurs éthiques et morales. Ces valeurs tendent à disparaître dans le foot africain. Sans chercher à justifier quoi que ce soit, les erreurs d’arbitrage ne sont pas une exclusivité africaine. On en compte à la pelle dans les grands championnats, tout comme en Ligue des Champions et en Coupe du monde. Dans le sport de haut niveau, le refus manifeste de reconnaître ses faiblesses, de féliciter son adversaire en toute sportivité en cas de victoire relevé d’une myopie affligeante quand cela ne traduit pas une pathologie préoccupante.
Les grandes nations de football sont celles qui savent tirer les leçons de leurs échecs pour mieux rebondir. La France est devenue championne du monde en 2018 deux ans après l’échec à l’Euro 2016 à domicile. Idem pour l’Italie battue en 1990 et redevenue championne du monde en 2002. Champion du monde à 5 reprises, le Brésil a pourtant échoué lamentablement domicile en 2014 face à l’Allemagne sans se suicider. Dans tous ces cas, personne n’a parlé de complot, ni de corruption avérée.
L’Algérie a refusé au Cameroun le droit de jouir de sa victoire
Passer son temps à pleurnicher, à accuser le ciel et la terre au moindre faux pas ne font pas progresser une sélection nationale dans le ranking mondial. Bien au contraire, le manque de fair-play ternit davantage son image de mauvais perdant, installant à la longue un état pathologique proche de la paranoïa et qui consiste à voir des ennemis et des complots partout. Reconnaître la valeur de l’ennemi est la première qualité d’une grande armée. Savoir accepter la défaite et féliciter le vainqueur sont des signes caractéristiques des grands champions. Comme on le verra bientôt en Coupe du monde, la meilleure arme des équipes africaines contre les complots réels ou supposés c’est une bonne prestation sur le terrain du jeu.
Jean Marie Nzekoue, éditorialiste, auteur de « L’aventure mondiale du football africain ». (2010)