Une info chassant l’autre, la mort de Ben Laden va peut-être faire passer la polémique au second plan. Pourtant c’est un gros, gros buzz médiatique qu’a déclenché le site internet d’information Médiapart (dont nous sommes partenaire) en fin de semaine dernière. Le football français est-il raciste ?
Ou plus exactement certains (hauts) dirigeants du foot hexagonal ont-ils, même d’une façon involontaire, essayé de mettre en place des critères de discrimination à la sélection des futurs joueurs ? Face aux démentis, Mediapart persiste et signe, avec un édito dimanche d’Edwy Plenel titré « Le signal d’alarme du football français ».
Ce qui est certain c’est que pour le moins, il y a eu des dérapages verbaux inaceptables, ce qu’ont d’ailleurs fini par reconnaitre les principaux intéressés. Laurent Blanc, le sélectionneur national a présenté ses excuses – »si, en ce qui me concerne, j’ai heurté certaines sensibilités je m’en excuse » – tout en rejetant vigoureusement les accusations de racisme ou de xénophobie. Quant au DTN (le directeur technique national) il a été provisoirement suspendu de ses fonctions à la demande de Chantal Jouano, la ministre des Sports. Le même jour, le député de Seine-Saint-Denis et président de la Fondation du football Patrick Braouezec a été chargé d’une commission d’enquête, en parallèle d’une investigation de l’Inspection générale jeunesse et sport, qui présenteront leurs conclusions sous huit jours.
L’Equipe titrait ce matin « Un profond malaise« . Et comme d’habitude à l’OM, qui était pourtant mis en cause par Médiapart dès ses premières révélations jeudi dernier , on a préféré, dès qu’il s’agit d’un sujet pouvant mettre le club en difficulté, jouer le désormais traditionnel « circulez y a rien à voir à la Commanderie ». Retour sur le (très mauvais) plan de com’ de l’OM.
Silence radio
Le 28 avril, Médiapart envoie sa grosse reprise de volée , une enquête signée Fabrice Arfi, Michaël Hadjenberg et Mathilde Mathieu et intitulée « Foot français, les dirigeants veulent moins de noirs et d’arabes ». L’OM, ou plus exactement son centre de formation est clairement mis en cause : « la discrimination cachée que les clubs professionnels de Lyon et de Marseille auraient déjà commencé à appliquer officieusement », avancent les journalistes. Dans le même article, Rémi Garde, le directeur du centre de formation lyonnais dément vigoureusement. Quant aux Marseillais, silence radio : « le club marseillais n’a pas répondu à nos sollicitations« .
Avec pourtant des dirigeants qui ont l’habitude des médias. Jean-Pierre Foucault est le Président du Centre de Formation, et Jean-Claude Dassier , le Président du club, est l’ancien patron de LCI. Ils connaissent la musique, mais ne voient pas que la machine médiatique va s’envoler. Bien au contraire, Dassier s’enfonce le lendemain avec des propos à l’emporte-pièces, il est vrai aujourd’hui sa marque de fabrique, recueillis par Olivier Bertrand le correspondant local de Libération, et mis en ligne sur libémarseille : « c’est pathétique de conneries, un Everest de sottise« , réagissait l’ancien journaliste à un article, qui selon Libé, il n’avait même pas lu, mais continuant à dénoncer « un coup médiatique pour faire vendre des abonnements« . Fabrice Arfi, le journaliste de Médiapart lui répondant du tac au tac, toujours dans Libé « il ferait mieux de lire les articles avant de parler« .
Présent, le même jour, au conseil régional pour présenter la coupe de la Ligue, Dassier a même évoqué le centre de formation, mais pour glisser des allusions appuyées au président Michel Vauzelle comme quoi l’OM avait à tout prix besoin d’un « grand centre » mais que, les fins de mois étant difficiles, le club aurait bien besoin d’un peu de soutien des collectivités… Du côté du sportif, même stratégie sur l’air de la calomnie. José Anigo la manageur sportif se fendait sur le site officiel du club OM.net, le lendemain des révélations de nos confrères d’un laconique et définitif » C’est honteux…. le club ne fera aucune déclaration« .
Fermez le ban. Nous à l’OM, comme d’habitude on a rien à nous reprocher. Pourtant, sous la pression médiatique, dans un deuxième article publié dès samedi matin, Mediapart montrait qu’ils avaient manifestement des preuves de ce qu’ils avançaient (vraisemblablement des enregistrements de réunions). Et en remettaient une couche, y compris sur le centre de formation de l’OM, avec des extraits d’une réunion qui se serait tenue le 8 novembre 2010, à laquelle auraient participé les plus hauts dirigeants du foot français, dont Laurent Blanc, Erick Monbaerts le sélectionneur des « espoirs », et François Blanquart le DTN, toujours sur cette affaire de « quotas » . Magnéto Médiapart :
François Blaquart: On peut baliser, en non-dit, sur une espèce de quota. Mais il ne faut pas que ce soit dit. Ça reste vraiment que de l’action propre. Bon voilà, on fait attention. On a les listes, à un moment donné…
Erick Mombaerts: Il faut qu’on s’attaque au problème, quand même !
Laurent Blanc: Moi c’est pas les gens de couleur qui me posent un problème. C’est pas les gens de couleur, c’est pas les gens nord-africains. Moi j’ai aucun problème avec eux. Mais le problème, c’est que ces gens-là doivent se déterminer et essayer qu’on les aide à se déterminer. S’il n’y a que des – et je parle crûment – que des blacks dans les pôles (de jeunes, NDLR) et que ces blacks-là se sentent français et veulent jouer en équipe de France, cela me va très bien.
Erick Mombaerts: Mais ça, on ne peut pas savoir à 13 ans, quand ils rentrent dans nos structures. On ne peut pas savoir. Ils vont te dire qu’ils se sentent français.
Laurent Blanc: Tu peux les aider à s’identifier…
François Blaquart: Il faut identifier. Parce que bon, c’est pas la couleur qui fait… Il y a des gens qui sont, de toutes façons et fondamentalement, de souche française.
Laurent Blanc: Mais bien sûr. Aussi français que toi et moi.
François Blaquart: Et puis la deuxième chose, je rejoins ce que dit Laurent: sur l’état d’esprit, il faut effectivement gratter un peu…
Erick Mombaerts: Oui, enfin ça va pas être simple. Je crois qu’il vaut mieux s’auto-limiter. Il y a bien des clubs comme Lyon (l’Olympique lyonnais, NDLR) qui le font dans leur centre de formation. Ils le font systématiquement. J’étais à Marseille là. Et Henri Stambouli (le patron du centre de formation de l’OM, NDLR) le met en place sur Marseille. Pareil, ils vont limiter le nombre. Voilà. Les clubs, ça y est, ils sont en train de réfléchir. Et ils vont le mettre en place aussi. Ils le supportent plus.
Pape s’en mèle
Depuis, l’OM semble rester sur sa ligne de défense habituelle « no comment ». Plus inquiets par leur match nul contre Auxerre. En revanche, il y a un ancien président de l’OM, et non des moindres, qui a fait entendre une petite musique bien différente ce week-end sur RMC . Il s’agit bien sur de Pape Diouf, le seul président « black » de l’histoire à jamais avoir dirigé un club de Ligue 1, prédécesseur de Dassier, et qui comme d’habitude a laissé la langue de bois au vestiaire : « J’ai pris connaissance de ce débat qui est, à mon sens, un faux débat. La vérité est simple. Le football français est à l’image de la société, il est raciste et il exclut. Quand on voit que des joueurs noirs dotés dotés d’une grande capacité de suggestion prétendent un jour embrasser la carrière d’entraineur on n’en veut pas ».
Contacté par nos soins, le club reste sur sa ligne : « on a déjà fait un communiqué, il n’y a rien de plus à dire : chez nous cela n’existe pas et tous ceux qui en doutent peuvent venir s’en rendre compte lors d’un entraînement au centre de formation« . Lors de sa visite à Marseille, Erik Mombaerts, qui sur Europe 1 ne semblait pas voir où était le problème à limiter à 30% la part de bi-nationaux, a peut-être eu droit à un peu plus qu’un aperçu d’une séance d’échauffement…
Par Pierre BOUCAUD