Les espoirs sont allés monnayer leurs talents en Europe. On les regarde jouer à la télé. Le public camerounais est-il encore concerné par le championnat du Cameroun? Les directeurs des stades brandissent les chiffres et tirent la sonnette d’alarme. La D1 se joue dans des stades vides aux 9/10e, comme à Douala lors d’un match Bamboutos-Tonnerre où à peine 2000 spectateurs étaient assis dans les gradins, alors que le billet d’entrée ne coûtait que 300 Fcfa.
Pour les trois premières journées de ce championnat à Douala, le stade de la Réunification n’a engrangé qu’une recette de 8 021 300 Fcfa. Une vraie misère. Et dire qu’aucun autre stade n’a fait mieux dans la république! Le pire venant sans doute de Bafoussam où des entrées de 862 500 Fcfa seulement avaient été réalisées après trois journées de championnat.
L’année dernière, la situation n’était guère meilleure. Les 15 matches de l’Union de Douala au stade de la Réunification n’ont attiré que 30 000 spectateurs à peine, pour des entrées de près de 32 millions de Francs cfa. Les sommets d’hier, Union – Canon, Union – Tonnerre ou Union – Racing ne font plus courir personne. Comme l’explique un cadre du ministère de la Jeunesse et des Sports en service au stade de la Réunification , “la plus grande affluence à Douala l’année dernière a été réalisée avec le match Union – Bamboutos qui a attiré prés de 15 000 spectateurs, les supporters de Bamboutos s’étant déplacés nombreux pour soutenir leur club en course pour le titre”. Preuve s’il en fallait encore que notre championnat de première division n’intéresse vraiment plus personne, le tournoi interpoules 2002 a rapporté 65 millions de francs dans ce même stade, soit plus du double des entrées du championnat!
“Normal, tente d’expliquer un entraîneur de première division, aux interpoules, il y a un enjeu, la concurrence entre les provinces, alors que le championnat de première division n’a pas un tel enjeu”. L’explication se trouverait donc dans l’absence d’un véritable enjeu, ce que corrobore Richard Mbaku, le directeur du stade de Bamenda: “Il y a des journées où le stade municipal de Bamenda qui a une capacité de 17 000 places, accueille de 5 000 à 7 000 spectateurs. Mais quand PWD de Bamenda est mal classé, à peine un millier de spectateurs assistent à ses rencontres”.
Pour Grébert Mandjeck, le directeur des stades de Douala, “le public boude les rencontres du championnat pour trois raisons: le manque de moyens financiers, le manque de temps pour aller au stade, ou le sentiment d’assister à un spectacle sans saveur”. De ces trois raisons, la plupart des jeunes interrogés par Le Messager valident la troisième. Au lieu d’aller suivre un match sans enjeu et sans saveur au stade, ils préfèrent de loin regarder les championnats européens sur Canal Horizons à la maison. “Notre championnat ne fait pas rêver, il est dépourvu de ces stars qui font fantasmer la jeunesse”, observe Cyrille Kenmegne, journaliste sportif à la Crtv. Dans les quartiers, les jeunes Camerounais qui apprennent à taper dans le ballon, se surnomment tous Ronaldo ou Zidane. Quand il leur arrive de prendre un nom camerounais, ils choisissent celui d’un lion indomptable. Les joueurs du championnat national, ils ne les connaissent pas. La division 1 camerounaise est devenue un regroupement de joueurs anonymes. Où sont passés les Abéga, Emana, Ekoulé, Bep, Kamga, … qui animaient ce championnat jadis?
Aucun des 16 clubs de D1 n’aligne un joueur de classe internationale. L’étranger a aspiré tous nos internationaux et la plupart de nos meilleurs espoirs. Les 22 Lions vainqueurs de la Coupe d’Afrique des nations en 2002 sont tous professionnels en Europe. Chaque année, les joueurs qui sortent du lot prennent aussitôt le chemin de l’exil. A la fin de la saison 2002, Mbarga Ndoe, le talentueux gardien de buts du Canon s’en est allé avec son coéquipier Mbida Messi, tout comme le jeune défenseur de Fovu, Kouam Jimmy et le meilleur buteur du championnat Ekounga Hans Eric qu’on avait du plaisir à voir jouer. Selon le secrétaire général de la Fécafoot, Jean-René Atangana Mballa, “au cours de l’année 2002, la fédération a reçu prés de 700 demandes de certificats de transferts formulées par des joueurs ou leurs dirigeants”. 50 certificats ont finalement été délivrés, ce qui est déjà énorme. Mais, qui empêchera les autres de partir? Ils sont déjà partis. “La fédération reçoit régulièrement des demandes émanant de joueurs qui se trouvent déjà à l’étranger”, reconnaît le secrétaire général de la Fécafoot.
Nombre de clubs se sont mis en partenariat avec des clubs européens qui leur donnent un peu d’argent, et reçoivent en échange leurs joueurs les plus prometteurs. Contre 250 millions de francs cfa, Canon de Yaoundé doit fournir trois joueurs chaque année au club belge de Lokeren. Caïman de Douala a passé un accord avec une flotte de “prospecteurs et placeurs de joueurs “ qui lui a envoyé un entraîneur turc, Mahmut Alpaslan et attend en retour les meilleurs joueurs du club qu’il va placer à l’étranger. Résultat, aujourd’hui, sur 636 joueurs africains officiellement enregistrés en championnats d’élite en Europe, le Cameroun avec 70 professionnels représente le deuxième plus gros contingent, juste derrière le Nigeria (99 joueurs). Pour Bonaventure Djonkep, “tant qu’on ne mettra pas fin à l’exode massif des talents, notre championnat continuera à perdre de sa valeur”. La Fecafoot qui assure vouloir mettre fin à ce phénomène encouragé par certains de ses membres a décidé au cours de son assemblée générale du 25 janvier dernier, de prendre langue avec les ambassades occidentales et la police des frontières pour veiller à ce que chaque footballeur qui souhaite sortir du pays présente une libération signée par le président de son club ou la Fécafoot. Mais est-ce vraiment là la solution?