Tout le monde sait tout ou presque sur l’histoire passionnante qui a lié pendant dix ans l’équipe nationale du Cameroun, les Lions Indomptables à celui qui a été désigné par la FIFA comme étant le 5e meilleur joueur africain de tous les temps, j’ai nommé Henri Patrick MBOMA DEM. Mais, ce qu’on sait beaucoup moins, c’est que ce fut une histoire tumultueuse, teintée de couacs, qui faillit même s’arrêter avant d’avoir commencé. C’est celle là que je vais vous raconter.
Elle commence en 1994, dans le cadre de la préparation de la Coupe du Monde aux Etats Unis. Nommé six mois avant, Henri MICHEL réunit les joueurs pour une tournée qui les mènera tour à tour en Corée, en Grèce, en Bolivie et aux Antilles. Cette tournée n’a fait qu’accroitre les dissensions qui existaient déjà dans le groupe. Certes les intrigues avaient toujours constitué le lot quotidien des Lions Indomptables, mais à Clairefontaine, la coupe a débordé.
Finalement, de la sélection des 23, Louis Paul MFEDE et Victor NDIP AKEM, renvoyés pour performances très approximatives seront rappelés, à la faveur d’une marche organisée à Yaoundé et très relayée par la CRTV. Roger FEUTMBA et Patrick MBOMA, retenus et très en forme, feront les frais de ce retour. Patrick MBOMA, jeune joueur, qui évolue alors au Paris Saint-Germain aux côtés de Georges WEAH refait ses bagages, complètement brisé. La suite de l’histoire, on la connait. Pour le Cameroun, quart de finale valeureux du mondial 90, l’expédition américaine sera un véritable naufrage. Au terme d’une aventure décevante, les Lions Indomptables, en panne d’imagination n’auront offert en trois matchs qu’une prestation terne et sans panache qui restera dans les anales de la coupe du monde comme un modèle d’improvisation et de gâchis.
En 1996, les observateurs non avertis du football camerounais crurent que la qualification obtenue in extremis allait sonner le glas de la navigation à vue. Programmé pour joueur le match d’ouverture le 13 janvier 1996 contre l’Afrique du Sud, la préparation (ou ce qui en tiendra lieu) ne commencera que quelques jours avant le début de la compétition. Les Lions devaient quitter Yaoundé, lundi le 8 janvier. Seulement un problème crucial s’est posé : Le gouvernement n’arrivait pas à débloquer les 800 millions nécessaires pour le voyage. Plusieurs fois reporté, le voyage est finalement programmé pour le jeudi 11. Pour la première fois, tout le monde fait preuve d’une ponctualité inhabituelle. Seule fausse note (mais laquelle !!!), les 22 joueurs et leurs encadreurs manquent à l’appel. Et pour cause, la veille, ils ont rugi au cours d’une réunion avec les responsables administratifs pour exiger le paiement de leurs droits (Assurance, Prime de participation, manque à gagner, frais de déplacement pour les joueurs professionnels) avant tout déplacement.
Dans ces conditions, Patrick MBOMA et Jacques SONGO’O, alors coéquipiers à Metz, qui avaient rallié Johannesburg directement quelques jours avant l’arrivée de la délégation, ont refait leurs valises pour rentrer en France, les nouvelles venant du pays n’étant pas rassurantes. Certains autres professionnels sollicités par les entraîneurs n’ont pas cru devoir faire le déplacement. C’est donc une sélection sans âme qui arrive à Johannesburg vendredi à 3h du matin; quelques heures avant le match crucial contre les Bafana Bafana. Sevrés depuis une semaine d’une véritable séance, les Lions, arrivés en Afrique du Sud après toutes les autres délégations ne vont fouler la pelouse du FNB Stadium qu’à l’heure même du match. Ils n’ont même pas eu droit à une véritable séance d’entraînement, priés de libérer le stade privé où ils s’entraînaient vendredi soir pour leur unique séance après seulement une heure de travail. C’est le deuxième grand rendez-vous manqué de Patrick MBOMA avec les Lions.
C’est finalement en 1997, à l’occasion d’un match qualificatif contre le Togo à Lomé, avec Henri DEPIREUX qu’il fera ses véritables grands débuts avec les Lions Indomptables. Malheureusement, victime des intrigues, le Belge sera remplacé à la veille de la CAN 1998 au Burkina par Jean MANGA ONGUENE. Sans âme, sans fond de jeu, les lions vont honteusement s’incliner en quart de finale devant un adversaire quelconque, qui plus est réduit à 10, la RD Congo. Dans le car qui ramène les joueurs à leur résidence, Jacques SONGO’O, à coups de poings réglait ses comptes avec Jean-Lambert NANG, monté dans le bus sans autorisation. Le lendemain de la débâcle, le retour est pénible. Il fallait que cette humiliation serve de puissant levain de réflexion collective pour toutes les parties intéressées afin d’assurer une représentation digne en Coupe du Monde. Ailleurs, la sanction est proportionnelle à la responsabilité et à l’étendue des pouvoirs. Au Cameroun, il en va autrement. Pour Patrick MBOMA qui a passé la majeure partie de la compétition sur le banc, c’est un nouveau couac.
Dans le cadre de la préparation de la Coupe du Monde 1998, le milieu défensif Lensois Marc-Vivien FOE se blesse gravement. Pour le remplacer, Claude LEROY décide de rétrograder Patrick MBOMA en milieu défensif. Lors des 2 premiers matchs de sa première coupe du monde, il sera cantonné aux taches défensives. Contre le Chili au 3e match, c’est le quitte ou double. A la 56e minute, sur un centre d’OMAM BIYIK, MBOMA domine ses adversaires directs et place un coup de tête rageur qui va se loger dans les filets chiliens. Deux minutes plus tard, J-D JOB adresse une passe lobée en direction de Patrick MBOMA qui saute très haut et de la tête, rabat le ballon vers OMAM BIYIK. Sans contrôle, il reprend le ballon qui va heurter la base du poteau droit avant de terminer sa course au fond des filets. Le Cameroun pourtant réduit à 10 et mené avant la demi-heure tient sa qualification. Malheureusement ce but est refusé. On a beau regarder l’action sous tous les angles, on ne voit rien, pas une pichenette. L’arbitre divague. Pourquoi a t-il sifflé ? On ne le saura jamais. Sepp BLATTER essaya de diluer l’impact de cette injustice en invoquant un argument selon lequel « il ne s’agit que de quelques erreurs (avec l’élimination du Maroc) d’arbitrage qui, au vu du nombre de matchs joués sont plutôt minimes ». Sans doute n’avait-il jamais lu cette réflexion du Général Collin POWEL selon laquelle « l’armée dans toutes les guerres perd des milliers de soldats sans que ce nombre ne tempère la douleur individuelle de chaque famille ».
2000 sera l’année de la concrétisation de tous les rêves inachevés, de tous les espoirs brisés. Depuis longtemps dans l’ombre Roger MILLA, le Cameroun pose sa patte sur le football continental, et même au-delà. Après la CAN, accompagné du jeune Samuel ETO’O, Patrick MBOMA s’en va conquérir le monde, lors des Jeux olympiques à Sydney. Surprise en début de tournoi, la sélection va éliminer tour à tour le Brésil, le Chili et l’Espagne dans des scénarii dantesques. C’est une année en or pour Patrick MBOMA, qui décroche, par la même occasion, le Ballon d’or africain. Quatre jours après la finale des Jeux Olympiques, les Lions Indomptables, champions d’Afrique et champions olympiques, sans même être passés par le pays, sont invités à croiser au Stade de France les champions d’Europe et champions du monde. Du match, on retiendra le niveau de jeu du Cameroun qui a mis en difficulté les champions du monde sur leur terrain, le bonheur de toute la communauté noire présente au Stade de France et la bicyclette légendaire de Patrick MBOMA qui venait conclure une année folle.
Revenu en Europe, Patrick MBOMA s’éclate désormais avec Parme AC. Je me souviendrai toujours, quelques semaines après les JO, de la gifle infligée à l’AC Milan par deux buts de MBOMA avec Parme qui à l’époque est constituée des stars comme Antonio BEVARIVO, Gianluigi BUFFON, Fabio CANNAVARO, Lilian THURAM, Juan Sebastian VERON, Enrico CHIESA, et l’Argentin Hernan CRESPO. En 2002, après avoir brillamment remporté la CAN 2002 au Mali, les vieux démons reviennent. En faisant jeu égal à Genève (2-2) contre l’Argentine dans ce qui restera comme l’un des meilleurs matchs de son histoire, le Cameroun se positionnait comme un outsider sérieux pour le titre de champion du monde au Japon. Après une grève à Paris et un voyage de près de 60 heures qui mènera l’équipe à Addis-Abeba (avec 5h d’escale), Bombay (7h d’escale), le Cambodge (7h d’escale), les Philippines (5h d’escale) et le Vietnam (7h d’escale), les Lions sont piteusement éliminés au premier tour. C’est l’un des échecs les plus retentissants du football camerounais depuis le traumatisme de 1972.
De retour du Japon, les organes suprêmes du football camerounais se contentent d’une autocritique de complaisance, et des communiqués laconiques diffusés dans les médias. Pour parfaire le travail, le ministre BIDOUNG exclura de l’équipe tous ceux qui oseront pointer sa responsabilité. Exit Pierre WOME, Lauren ETAME MAYER, Alioum BOUKAR et Raymond KALLA. Patrick MBOMA, pour marquer sa désapprobation vis-à-vis de ces méthodes, décide de ne pas participer à la Coupe des Confédérations 2003 en France. Le tout-puissant ministre des sports profite aussi pour l’exclure de l’équipe nationale. Il ne dut sa participation à la CAN 2004 en Tunisie qu’aux hautes instructions du Chef de l’Etat. Le Cameroun se fera éliminer en quart de finale. Mais lui terminera meilleur buteur de la compétition. A la fin de sa carrière, il est pressenti pour devenir Team Manager des sélections nationales. Mais jusque là, il n’occupe toujours pas un poste officiel.
Malgré tout, il n’a jamais montré ses états d’âme. Pendant dix ans, il s’est investi avec un patriotisme et un professionnalisme sans bornes. A l’annonce de son jubilé Patrick MBOMA a déclaré «Je n’ai jamais été meilleur joueur du monde, je n’ai jamais gagné la Coupe du Monde… Mais je ne rêvais sans doute pas non plus d’une carrière aussi remplie. Je ne pensais pas que la chance me sourirait autant. Je suis fier des titres gagnés, mais aussi de tous les témoignages d’affection que j’ai reçus ». En 293 matchs joués dans la totalité de ta carrière et 142 buts marqués dont 33 avec les Lions Indomptables, 2 coupes d’Afrique des nations, une médaille d’or aux Jeux olympiques et un Ballon d’or africain, je puis t’assurer, cher Patrick, tu n’as pas fini de recevoir des témoignages d’affection.
Claude KANA, consultant