Donné favori, M. Blatter a obtenu 139 voix contre 56 à son adversaire, lors d’un vote à bulletins secrets organisé lors du congrès ordinaire de la FIFA, à deux jours du coup d’envoi du Mondial 2002.
Elu en 1998 président de la Fédération internationale de football (FIFA), le Suisse Joseph Blatter a été réélu à sa propre succession, mercredi 29 mai à Séoul (Corée du Sud). En parvenant à ses fins, l’homme qui est à la tête de la plus importante association socioculturelle au monde – en 2000, ses 204 fédérations nationales comptaient 242 millions de licenciés, dont près de 22 millions de femmes, et 127000 joueurs professionnels – devra affronter la plus grave crise qu’a connue la FIFA depuis sa création, en 1904. Une crise « organisationnelle, financière et politique », a lancé l’un des ses plus virulents adversaires, le vice-président coréen de la fédération internationale, Chung Mong-joon.
Cinq des sept vice-présidents, qui ont déposé plainte contre Joseph Blatter pour détournement de fonds, soutenaient la candidature de l’un d’eux, le Camerounais Issa Hayatou, dans l’espoir de faire tomber leur président. « Il est temps de se débarrasser d’un homme néfaste, qui ne veut se faire réélire que parce qu’il croit bénéficier d’une impunité face aux tribunaux », a lancé l’Italien Antonio Matarrese. L’ambiance à la FIFA est désormais délétère.
Adversaire de son compatriote Joseph Blatter, le secrétaire général, Michel Zen-Ruffinen, avait renoncé à se rendre à Miami (Etats-Unis) à une réunion de la Confédération de l’Amérique du Nord et centrale (Concacaf) parce qu’il s’y sentait « menacé ».
En retour, le président l’accuse d’avoir « enregistré des conversations » à son insu. Accusé par ses adversaires de maquiller les comptes des deux années écoulées et les budgets prévisionnels 2003-2006 pour masquer un trou de 536 millions de francs suisses, soit 230 millions d’euros (Le Monde du 27 mai), Joseph Blatter affiche pourtant une tranquille placidité. Et de fait, dans les couloirs du congrès, il bénéficiait, mardi, de la faveur des pronostics. Pour quelles raisons ? Joseph Blatter, avant d’être président, a été secrétaire général de la FIFA pendant près de vingt ans. Il a été le grand ordonnateur du « système » mis en place par l’omnipotent président brésilien Joao Havelange de 1974 à 1998. Un système opaque très lié à Adidas et son fondateur (décédé), l’Allemand Horst Dassler.
Longtemps, la FIFA n’a publié aucune donnée financière essentielle : pas de comptes à rendre aux membres, souvent des notables dans leurs pays respectifs qui se contentaient de (bien) vivre des facilités et des prébendes que leur accordait sa direction.
Ce système, Joseph Blatter en connaît tous les rouages. Le 24 mai, le journal munichois Süddeutsche Zeitung rapportait l’existence d’une fondation, intitulée Nunca, initiée par la famille Dassler et à laquelle avait accès la direction de la FIFA, pour gagner la bienveillance des décideurs du sport mondial. Ses adversaires n’hésitent pas à dire de Joseph Blatter qu’il « achète le consensus » (il est soupçonné, sans preuve formelle jusqu’ici, d’avoir payé certains votes en 1998).
Elu président, il n’a fait que poursuivre les méthodes mises en place par son prédécesseur. Sans doute a-t-il multiplié les « conseillers » grassement rémunérés, poussé plus loin encore l’allocation de subventions, les remises gracieuses de dettes à tel obligé ou encore les « dons » à sa discrétion. Les derniers ont été alloués, l’un, en mars, à Roger Milla (25 000 francs suisses, 10 750 €), célèbre footballeur camerounais qui a l’avantage d’être un opposant à Issa Hayatou. Le second chèque a été remis à un arbitre nigérien, Lucien Bouchardeau.
En février, le président, « très ému » par le destin de cet homme que la confédération africaine s’obstinait depuis des années à priver de son métier (et des 800 dollars – 864 € – alloués à chaque déplacement), a « dans un acte d’humanité qui n’a rien à voir avec une quelconque tentative de corruption » pour obtenir des informations sur ses adversaires en Afrique, écrivait Joseph Blatter dans une « mise au point », le 18 mai, offert 25 000 dollars (27 000 €) au malheureux arbitre. Le chèque est issu, précisait-il, de son « compte personnel ». Selon les adversaires de Joseph Blatter, ce compte, dont il détiendrait seul la signature, serait approvisionné sur des fonds secrets de la FIFA.
Les ennemis de Joseph Blatter crient au scandale. Mais, s’étonnent nombre de membres, à qui fera-t-on croire que des vice-présidents qui sont, comme Joseph Blatter, des « enfants d’Havelange », tous présents depuis longtemps dans les organes de direction de la FIFA, découvrent seulement aujourd’hui l' »horrible vérité ». Les « anti-Blatter » sont-ils plus fréquentables? demandent-ils. Beaucoup en doutent. Tels ces délégués africains qui dénoncent une « dictature » similaire d’Issa Hayatou, président de la Confédération africaine (CAF). Ses pratiques – soumission au pouvoir central, arbitres promus pour leur docilité, prébendes pour les fonctionnaires en cour – sont-elles différentes de celles dont est accusé Joseph Blatter? Le « système » est si ancien… Les accusations mutuelles de « magouilles », d’opacité ou d’arbitrage sélectif masquent cependant des enjeux autrement plus importants.
Tout d’abord, les droits télévisés ont fait exploser les recettes de la FIFA. Exemple : le groupe allemand Kirch s’était engagé à engranger un minimum de 1,3 milliard de francs suisses (560 millions d’euros) pour la Coupe du monde 2002, quand l’UER n’avait payé pour ses télévisions européennes adhérentes que 155 millions de francs (23,6 millions d’euros) en 1998. Globalement, les recettes radio-TV de la FIFA ont été multipliées par dix en huit ans, celles du marketing ont triplé. Ces sommes attisent les convoitises (et aussi, pour certains, la volonté d’instaurer une gestion financière moins opaque).
Au sein de la FIFA, les Européens sont frustrés. Leur confédération, l’UEFA, n’y a que peu de poids, alors qu’elle est beaucoup plus puissante financièrement que la Fédération internationale. A elles seules, les Coupes d’Europe des clubs génèrent plus de 1 milliard de francs suisses (430 millions d’euros) par an, quand la Coupe du monde, événement quadriennal, en engrange moins de la moitié. Evoquant ce problème, Joseph Blatter disait au Monde, dimanche : « Hayatou est le jouet de Gerhardt Aigner [secrétaire-général de l’UEFA]. Les Européens veulent prendre le pouvoir dans la FIFA. Mais je continuerai de défendre les petits pays où le football a un grand potentiel de développement. » Le « passage à la modernité, à la transparence », qu’invoquent les adversaires de Joseph Blatter, reste l’autre enjeu de taille. Leurs mains ne sont pas beaucoup plus propres que les siennes, mais eux semblent avoir compris qu’avec le rôle social international qui est le sien et des ressources décuplées, la FIFA n’a d’autre choix que de réformer son fonctionnement.
« Oui, le système en place date d’avant Blatter, admettait lundi le Coréen Chung, mais il ne tient plus. » Réponse de Jérôme Champagne, un diplomate français conseiller particulier du président : « D’abord, M. Blatter doit l’emporter. Ensuite, il faudra reconstruire l’image de la FIFA. » Commentaire d’un proche d’Issa Hayatou : « La seule vraie question est de savoir combien de membres de la FIFA ont intérêt à ce que le système dont ils bénéficient change. » Lui craignait qu’ils ne soient pas une majorité. La réponse a été donné mercredi matin : M. Blatter a obtenu 139 voix contre 56 à son adversaire lors d’un vote à bulletins secrets organisé lors du congrès ordinaire de la Fédération tenu à Séoul.
Sylvain Cypel