« Pardon arrêtez le massacre !’ ». Ce cri de détresse d’une serveuse de bar à Yaoundé après le quatrième but brésilien en dit long sur le calvaire subi par les Camerounais pendant toutes les trois rencontres disputées par le Cameroun. Entre émotions fortes, grogrements et coups de colère, c’est la déception qui aura le plus prévalu. Il faut le dire tout de suite : Brésil 2014 aura été la pire coupe du monde disputée par Eto’o et ses coéquipiers.
A son arrivée au pays de Pelé, l’équipe du Cameroun pouvait pourtant se targuer d’avoir une avance historique sur les autres, riche d’un passé assez consistant inauguré en 1982. La déroute n’en a été que plus sévère et humiliante. Si le miracle existe au sport et particulièrement au football, il n’y en a pas eu pour les Lions camerounais qui ne méritent visiblement plus le qualificatif d’indomptables. Le 23 juin dernier, les Lions se sont inclinés pour la troisième fois face au Brésil lors de l’ultime rencontre qui aurait pu être celle du rachat. Une fois de plus, une fois de trop, les pseudos rois de la savane ont mordu la poussière, exposant de nouveau à la face du monde toutes les lacunes et dérives qui les ont accompagné de Yaoundé à Vitoria. Certes, le sort des poulains de Volker Finke était scellé depuis les deux premières sorties face au Mexique et la Croatie, mais certains s’attendaient à un baroud d’honneur pour terminer en beauté. Le sursaut d’orgueil n’a pas eu lieu et les fauves sans croc et sans griffe ont bu le calice jusqu’à la lie.
Le bilan calamiteux se passe de commentaire : trois matchs disputés, neuf buts encaissés, un seul marqué et aucun point enregistré. Fort curieusement, la moyenne des buts encaissés par le Cameroun (3) correspond à la moyenne des buts marqués lors du premier tour. Vu globalement, la virée au Brésil et les différents rebondissements ont servi à confectionner le pire bilan de toute l’histoire de la participation des Lions à la coupe du monde depuis 1982. Non content d’avoir produit la plus mauvaise prestation de toutes les équipes africaines présentent au Brésil (l’Algérie, la Côte d’Ivoire, le Nigeria et le Ghana ayant grappillé qui, un match nul, qui une victoire, en marquant en moyenne un à deux buts par rencontre, soit nettement mieux que le « doyen » camerounais dont la perméabilité défensive n’a eu d’égal que la stérilité offensive, compromettant définitivement toute chance de franchir le rubicon de la phase de poule.
Ainsi donc, le Cameroun n’a pas eu l’insigne honneur de figurer parmi les équipes qualifiées pour les huitièmes de finale de la Coupe du monde 2014. Un pari relevé par le Nigeria et l’Algerie qui ont su défendre crânement leurs chances. Tout le contraire des Lions qui ont baissé pavillon dès la première alerte face au Mexique avant de sombrer corps et biens par la suite, sans donner la moindre impression de tout donner pour éviter le naufrage individuel et collectif. En d’autres temps, on aurait pu mettre cette contre-performance au chapitre des impondérables du sport qui rendent aléatoire tout pronostic d’avant-match. Seulement voilà : la mauvaise copie rendue par les Lions n’est pas un fait isolé puisqu’elle vient à la suite de multiples autres déconvenues. Au Brésil, les observateurs avertis ont cru vivre une sorte de répétition des errements auxquels la Cameroun Team (joueurs et encadreurs) nous ont habitués d’une compétition à l’autre. Les interminables querelles au sujet des primes à la veille d’une compétition aussi importante, les multiples sorties intempestives sur papier ou par Internet, les éclats de voix entre dirigeants rapportés par les médias, tout comme les gestes d’agression gratuite trahissent à la fois l’indiscipline congénitale d’une sélection nombriliste, la crise de confiance entre joueurs et dirigeants, des sourdes luttes pour le contrôle du magot ainsi qu’un manque criard de convivialité et de solidarité dans la tanière. Ces problèmes, on les connaissait tous, ou presque, mais personne n’a fait semblant de s’alarmer. Tous, joueurs, staff technique et dirigeants se sont vautrés dans l’autosatisfaction, se refusant volontairement de dire si le verre était à moitié plein ou à moitié vide. Rien à faire, il suffisait que les Lions sortent leur crinière pour terrasser des adversaires pourtant plus redoutables et mieux classés qu’eux. Il n’y a qu’à rappeler que le Brésil est en quête de son sixième trophée, que la Croatie a disputé une demi-finale de la Coupe du monde pour sa première participation et que le Mexique est le champion olympique de football en titre. Toutes ces références ont été balayées d’un revers du…pied, au seul motif que « la balle est ronde pour tout le monde et que Neymar n’a pas quatre pieds » (dixit le président du comité de normalisation de la Fecafoot en conférence de presse au palais des sports de Yaoundé). N’avons-nous pas aussi notre « Samuel national », grand pointeur devant l’Eternel dans tous les clubs prestigieux du monde ? Sur le terrain et en dehors, le « capi » a plus joué à la starlette qu’au leader attendu, alors que la guerre des clans repartait de plus belle. Il était pourtant écrit dans le ciel : l’équipe du Cameroun renverserait tout sur son passage, même sans atouts visibles.
Cette myopie intellectuelle doublée d’un appât du gain féroce, d’une indiscipline atavique et d’un égocentrisme surdimensionné auront été fatales à une sélection surcotée, subitement tombée du haut des fausses certitudes.
Comme en 2010 en Afrique du Sud, les Lions ont quitté la compétition par la petite porte. Mais au-delà d’une l’élimination plus ou moins prévisible malgré quelques « prophéties » du dimanche, c’est la manière qui aura le plus choqué les supporters et les téléspectateurs du Cameroun, d’Afrique et du monde entier. Sur le terrain, les approximations des uns, le relâchement coupable des autres, la multiplication des gestes contre-productifs ont frisé un dilettantisme qu’on dirait prémédité. Les Lions ont été donc pitoyables au Brésil. Joueurs et dirigeants ont trainé leur pays dans la boue de la bêtise et du ridicule. Même si le ministre des Sports pourtant partie prenante s’est empressé de condamner les premier pour mieux dédouaner les autres, la déculottée brésilienne va ternir pour longtemps encore l’image déjà passablement floue du football camerounais. Et ce n’est pas la commission d’enquête instruite par le chef de l’Etat pour voir plus clair dans ce fiasco qui nous guérira de sitôt des vieilles habitudes qui ont la peau dure. En attendant que le Premier ministre sorte de lapin messianique de chapeau, les supporters et le grand public, ici et ailleurs, restent sonnés par l’ampleur de la bérézina sans précédent.
Jean Marie Nkeze