L’ancien Lion Indomptable a suivi la Coupe du monde d’un bout à l’autre et tire ici les leçons de cette compétition.
Pour la toute première fois, la Coupe du monde s’est jouée en dehors des continents européen et américain. La Corée du Sud et le Japon qui accueillaient cette édition 2002 ont-ils tenu le pari de l’organisation ? Quelles leçons l’Afrique peut-elle en tirer si elle veut réussir l’édition 2010 dont l’organisation devrait lui revenir ?
Le Japon et la Corée ont largement tenu le pari de l’organisation en même temps que celui de la co-organisation. Ils ont été séparément et ensemble au-delà des attentes. Mais je ne crois pas qu’on doutait que ces deux pays soient à la hauteur du meilleur sur le plan des compétences en matière d’organisation de grands événements internationaux. Ils avaient déjà organisé les Jeux Olympiques… En revanche, ils ont surpris par leur capacité à dépasser les limites que leur imposait l’Histoire pour s’entendre, grâce au sport, et fonctionner ensemble. C’est surtout de cet aspect que des Africains peuvent s’inspirer pour franchir le pas des différends de voisinage et avoir l’audace de dépasser leurs préjugés et se donner la main pour écrire l’Histoire en termes positifs.
Après l’élimination précoce de la France et de l’Argentine donnés favoris de la compétition, on a dit de cette Coupe du monde qu’elle était celle des petits. Qu’est-ce qui a fait la faiblesse des grands à Corée/Japon 2002 ?
Le sport est une activité qui ne s’accommode absolument pas de l’orgueil. Certains ont cru qu’ils étaient grands de droit divin. Or en sport, la définition du grand c’est celui qui bat les petits! C’est-à-dire jouer mieux que les petits. Les traditionnels grands ont manqué d’humilité et commis la faute de la suffisance.
Avec la performance de la Turquie, de la Corée du Sud et du Sénégal, peut-on parler d’un nouvel ordre mondial du football ?
Plutôt que d’un nouvel ordre mondial, il me semble qu’une nouvelle ère est ouverte. Un football sans frontières engendrant une plus large cohabitation des footballeurs d’horizons de plus en plus divers et des échanges qui profitent aux clubs les plus riches mais également aux nations les moins nanties. Le football est définitivement un sport universel; on peut y exceller quelle que soit son origine ! La Turquie, la Corée du Sud, le Sénégal mais aussi les U.S.A., le Japon, le Costa Rica et, le Mexique ont montré de très belles choses sans oublier celui qui vient et qui ne s’en laissera pas compter à l’avenir, la Chine.
Cette coupe du monde notoirement défensive a-t-elle fait progresser le jeu ?
Je n’ai personnellement pas vu une Coupe du monde défensive, le nombre de buts ne peut être l’unique critère pour déterminer la tendance du jeu. Toutes les équipes citées plus haut ont toujours joué pour gagner et surtout, toutes celles qui ont essayé de défendre ou qui avaient la réputation de savoir le faire ont toujours perdu. On a vu très peu de matches fermés (pour ne pas dire aucun) et les 1-0 étaient plus dûs à la maladresse qu’à autre chose. Prenons à titre d’exemple les deux Brésil-Turquie…
Pour le président de la Fifa Joseph Blatter, l’arbitrage aura été le seul point noir de Corée-Japon 2002. Comment peut-on comprendre toutes les erreurs d’arbitrage qui se sont multipliés le long de la compétition ? Le recours à la vidéo apparaît-il aujourd’hui incontournable ?
Si les différentes fédérations agissaient comme M. Blatter, on serait en plein dans l’esprit du jeu. Je veux dire que si chacun faisait son autocritique pour savoir ce qu’il pourrait améliorer, le jeu ne s’en porterait que mieux. Le Président de la Fifa se garde de juger les équipes et s’occupe de regarder dans son “camp” ce qu’il est possible d’améliorer. Mais à la vérité, les critiques sur les arbitres ne sont pas récentes et ne disparaîtront pas demain. Tous ceux qui s’en sont pris aux arbitres avec souvent des sous entendus xénophobes, se plaignent des arbitres dans le cadre de leurs championnats nationaux à longueur de saisons sans que les directeurs de jeu ne leur soient imposés par d’autres. Il y a un problème philosophique à résoudre. Voulons-nous que la vidéo dirige nos matches ou pas ? La réponse de la Fifa étant non, notamment parce qu’on aura altéré le caractère universel du jeu (tout le monde n’aura pas la vidéo et ceux qui l’auront n’auront pas tous le même nombre de caméras et un réalisateur d’égale compétence) mais aussi parce qu’elle ne résoudra pas tous les cas (aucun ralenti n’a toujours pas pu dire si le but anglais lors de la finale de 1966 face à l’Allemagne était valable), il me semble équitable de ne juger les arbitres qu’à vitesse normale, ce à quoi, en tant que consultant, je m’astreins. Vous remarquerez que la plupart des soi-disant erreurs d’arbitrage sont constatées par des commentateurs ne s’étant pas forcément prononcé à vitesse normale mais après un ou plusieurs ralentis sous des angles différents.
Comme le hors-jeu constitue le plus gros des désaccords, il devrait retenir notre réflexion pour l’amélioration de l’arbitrage. Je ferai cependant remarquer qu’il n’y a eu, si mes souvenirs sont exacts, aucun hors-jeu lors de Brésil-Turquie en 1/2 finale et de Brésil- Allemagne en finale et, surprise (!) aucune contestation.
Pour ce qui est de l’Afrique, on attendait le Cameroun, on a découvert le Sénégal. Qu’est-ce qui a manqué aux Lions Indomptables qu’on voyait au moins en quarts de finale ?
Ceux qui attendaient le Cameroun sans accorder la même attention au Sénégal étaient injustes et ont commis la même erreur que les grands dont nous avons parlé. Le Cameroun avait remporté le trophée de la Can trois mois plus tôt sans avoir battu le Sénégal en 120 minutes. Il fallait, me semble-t-il, accorder la même valeur aux deux équipes. La première chose qui a manqué aux Lions est de ne pas s’être vus comme ils étaient vraiment, ensuite il faut laisser la parole à l’entraîneur des Lions qui a dit publiquement que les Lions Indomptables n’ont pas eu la préparation qu’ils auraient souhaitée. On regrettera simplement qu’il ne nous le dise qu’après coup. Du côté des joueurs, il est tout autant regrettable qu’ils n’aient pas utilisé le lien privilégié qu’ils ont avec le chef de l’Etat, premier supporter des Lions, pour bénéficier de conditions adéquates pour se faire et nous faire plaisir. La carrière de footballeur est courte et de bonnes occasions de performance, en Coupe du monde notamment, ne sont pas forcément nombreuses. Mais bof! Ils sont jeunes…
Y a-t-il un passage de témoin sur le continent entre le Cameroun et le Sénégal ?
Peut-être… Mais en ce qui me concerne, lors de la finale de la Can, j’avais annoncé l’arrivée d’autres Lions avec lesquels il faudra désormais compter. On ne peut tout simplement pas oublier ce qui s’est passé le 10 février dernier à Bamako. Les victoires ne sont cependant pas assurées aux Lions de la Terranga en Afrique, comme elles ne le sont pour personne en sport, mais tant que les plus forts se le rappellent, ils gagnent et il ne faut pas enterrer les Indomptables trop vite.
Au vu des performances du Sénégal, de l’Afrique du Sud, du Cameroun, du Nigeria et de la Tunisie à Corée/Japon 2002, peut-on espérer que l’Afrique fasse mieux qu’une place de quart de finaliste en Allemagne en 2006 ?
Il est difficile, quatre ans auparavant de prédire ce que des pays africains peuvent faire en matière de football. En 2000, je disais pour les Camerounais, que s’ils voulaient des résultats en Coupe du monde 2002, celle-ci devait débuter juste le soir de la victoire au Nigeria. Je ne peux que me répéter. Il faut décider aujourd’hui ce que nous (tous les Africains mais aussi particulièrement les Camerounais) voulons que la Coupe du monde 2006 soit pour nous. Ensuite nous chercherons comment y parvenir et avec qui.