L’ancien gardien de but des Lions Indomptables (58 ans), champion d’Afrique en 1984 et 1988, Joseph-Antoine Bell, critique le mode de gouvernance de la CAF, qu’il n’hésite pas à comparer à une dictature. L’élection à la présidence de cette institution du football africain doit avoir lieu dimanche 10 mars à Marrakech, avec un seul candidat en lice : le Camerounais Issa Hayatou, sûr de l’emporter…
Jeune Afrique : Le Tribunal Arbitral du Sport (TAS) a annoncé mardi 5 mars que l’Ivoirien Jacques Anouma ne pourrait pas être candidat. Est-ce une décision que vous regrettez ?
Joseph-Antoine Bell : Bien sûr. Le TAS a appliqué le droit, mais où est la morale ? Au-delà de la personne – je n’ai pas à dire si Jacques Anouma aurait fait ou non un bon candidat et éventuellement un bon président, la question n’est pas là – cela signifie qu’un homme qui a dirigé une fédération africaine (celle de Côte d’Ivoire, NDLR), qui est membre du Comité exécutif de la Fifa et qui a donc représenté son pays, ne peut pas se présenter à la présidence de la CAF avec un projet pour le football du continent. C’est tout de même très contestable, et même scandaleux. Les gens qui ont modifié les textes en septembre dernier aux Seychelles ont validé leur attachement à la dictature. Ils ont aussi admis qu’ils n’avaient les compétences pour diriger la CAF.
Êtes-vous surpris que les choses se déroulent ainsi ?
Pas du tout. À la CAF, il n’y a qu’un cerveau. On ne décide pas à 55 [le nombre de fédérations affiliées à la CAF, NDLR], mais on tripatouille ensemble les règles pour éviter qu’un autre candidat se présente. J’entends dire sans arrêt que le bilan d’Hayatou est bon, qu’il a beaucoup fait pour le football africain, etc… Mais alors, pourquoi tant craindre d’éventuels candidats ? Je ne comprends pas. Hayatou devrait les accepter, puisque son bilan est si bon… Je crois surtout que la modification des statuts de la CAF est un message très clair.
Lequel ?
Ceux qui sont au pouvoir ont peur d’être jugés ! La CAF fonctionne comme un parti unique. Il faut souligner que les votes se font à main levée. Une méthode qui permet de savoir qui s’oppose au pouvoir en place. Et qui peut bien sûr favoriser les méthodes de rétorsion. Mais faut-il s’en étonner ? Après tout, ceux qui siègent au Comité exécutif de la CAF et qui votent des modifications de statuts contestables sont souvent originaires de pays où le régime est autoritaire. Pour eux, les méthodes de la CAF sont normales.
Issa Hayatou est-il, selon vous, sous l’influence de certains membres qui ne veulent pas se mettre en avant ?
J’en doute très fortement. Il impose sa volonté. Un président peut tout faire. Il aurait pu dire qu’il n’avait pas besoin de cette modification des statuts pour être réélu. La CAF fonctionne sur le modèle de nombreux pays africains, où il y a un chef, à qui on ne demande quasiment jamais de rendre des comptes.
Les défenseurs d’Issa Hayatou mettent en avant certains points positifs, comme la présence de cinq sélections en phase finale de la Coupe du Monde, ou la meilleure exposition du football africain, y compris à l’étranger…
Qu’un président revendique qu’il y ait cinq sélections en Coupe du Monde, c’est scandaleux ! Que fait-on de ceux qui étaient sur le terrain, qui ont obtenu des résultats ? Le Cameroun, l’Algérie, le Maroc, le Nigeria y sont tout de même pour quelque chose, non ? Et dire que le football africain est mieux vendu… J’aimerais savoir où est passé l’argent. Qui en profite ? Quelles sont les vraies retombées ? Quels pays africains profitent vraiment de ce supposé essor ?
Vous réclamez plus de transparence ?
Oui, mais je n’ai pas beaucoup d’illusions. Pourquoi ne demande-t-on pas combien coûte et combien rapporte une phase finale de CAN, et où va l’argent ? Partout ailleurs, on le demande, mais pas en Afrique. Il y a une surprenante indulgence vis-à-vis de l’Afrique. Comme une forme de culpabilité, qui vient sans doute du passé. Il faut pourtant traiter l’Afrique comme les autres continents. Mais de la part de la CAF, je n’attends rien. Un système est en place, et il faudra sans doute attendre longtemps avant de voir les choses bouger.
Alexis Billebault