Le Cameroun est à l’honneur depuis ce lundi, avec la tenue de la deuxième conférence internationale du jeune footballeur africain. L’occasion pour le président de l’association Culture Foot Solidaire, Jean-Claude Mbvoumin, de revenir sur le combat de son association et de nous livrer ses pistes de travail pour les prochaines années
Culture Foot Solidaire organise du 26 au 28 octobre à Yaoundé la deuxième conférence internationale du jeune footballeur africain. Au vu de ce thème qui reste sensible, avez-vous eu des difficultés à monter cet évènement ?
Ce n’est jamais facile d’organiser un événement, plus encore une conférence de niveau. Il y a beaucoup de paramètres à prendre en compte et qu’on ne maîtrise pas : l’agenda des personnalités, le calendrier des compétitions internationales qui peuvent interférer, la mobilisation des publics concernés qui n’est pas évidente…Tous ceux qui organisent le savent : il faut souvent anticiper, s’attendre à ce que le cours de l’organisation ne soit pas toujours comme on l’espère et c’est là la réussite ou l’échec d’un événement. C’est là qu’il faut savoir prendre des décisions qui peuvent s’avérer décisives pour la manifestation. Ceci dit, l’aspect financier est très important dans la mesure où quand on a des liquidités, on peut parer à 60% des difficultés. Une association comme la nôtre n’a pas de gros moyens, nous avons recours à des partenaires privés et à l’appui du monde du football. Une association, même en France, n’est pas une banque, contrairement à ce qu’on pense souvent en Afrique. C’est justement à l’occasion d’événements qu’elle récolte les financements, ou du moins une partie des financements pour ses projets. Car si nous avions les gros budgets qu’on nous prête, nous ne serions pas obligés d’organiser une conférence, nous passerions directement à la réalisation de projets concrets pour les jeunes en Afrique. Parlant des difficultés à réunir les financements, oui, nous en avons eu, dans la mesure où vous n’êtes pas sans savoir que nous sommes dans une période de crise financière grave et que le problème des jeunes Africains n’est pas toujours a tasse de thé de beaucoup de gens que nous sollicitons, même en Afrique ! Et ceux qui nous ont aidés sur ce coup, ceux-là qui aiment vraiment l’Afrique et la jeunesse africaine au contraire de beaucoup qui profitent de l’Afrique et l’exploitent en prédateurs. Mais les difficultés, on en a eu, on s’y attendait, on s’y attend toujours mais l’avantage c’est qu’on sait qu’on en aura, donc on peut se préparer en conséquence.
Deux ans ont passé depuis la dernière conférence qui s’était tenue en France. En deux ans, quel est votre regard personnel sur les avancées et le respect des motions qui en étaient sorties ?
La cause du jeune footballeur a beaucoup avancé, grâce d’ailleurs à cette première conférence d’Enghien ! Le Parlement européen a officiellement reconnu en mars 2007 le trafic et l’exploitation des jeunes joueurs comme un vrai problème dans le football. Et quand un problème est reconnu, on peut y apporter des solutions. Depuis, tout le monde en parle de la question sans tabou. Avant certains, les Africains les premiers, avaient du mal à parler du problème, j’étais choqué. Aujourd’hui des associations se créent sur ce thème (ce qui est encourageant) et les instances du football sont en train de prendre le train. Aujourd’hui nous associons les Nations Unies dans notre démarche, car le monde du football seul peut pas tout régler, même les Etats africains comme européens doivent s’impliquer. Donc il reste beaucoup de travail. Et la coupe du monde en Afrique donne aux africains d’énormes responsabilités, et ce sera le moment où jamais de se mobiliser pour offrir à leurs jeunes joueurs les meilleures conditions en Afrique. En fait l’échéance symbolique du mondial 2010 doit être le point de départ d’une révolution dans le football africain!
Quels sont les thèmes de cette édition et que souhaitez-vous voir sortir de ces rencontres entre institutions ?
Il y a eu cette fameuse réunion à Zurich, le 6 juin 2008 au siège de la FIFA, en présence du Président Sepp Blatter, où étaient réunies les grandes instances du football, CAF comprise. Cette rencontre marque le début de quelque chose de grandiose pour les jeunes footballeurs en général, les jeunes Africains en particulier, avec des mesures fortes, positives, qui vont faire bouger le monde de la formation. C’est sur les bases de cette réunion que se tiendront les travaux de Yaoundé. Et Yaoundé va entrer dans l’histoire, dans la mesure où elles seront entérinées au Cameroun, avec à la clé une déclaration de principes sur la protection des mineurs associant les instances du football et les organisations comme l’UNICEF, le BIT et le PNUD… C’est aussi un grand honneur pour le Cameroun de voir toutes ces instances réunies sur son sol pour parler de football, d’éducation et de protection des enfants, surtout quand on sait l’engouement des enfants et des familles pour le football.
Hasard de l’actualité, l’évènement va se dérouler dans un pays qui a vu son championnat reporter sine die à la suite de divergences légales. Quel est votre avis sur la question ? Est-ce qu’on peut dire à ce moment que les grands perdants ce sont les joueurs, qui peuvent plus facilement devenir des candidats à l’exil ?
Vous touchez là à une question de gouvernance, de politique du football au Cameroun, or Culture Foot Solidaire ne peut s’immiscer dans les affaires des pays, nous avons une vocation continentale, internationale, et l’avis que je vous donnerais resterait personnel…Pour ce qui est de l’exil des joueurs, il ne faut pas tout mélanger. Je reste convaincu que l’exil n’est pas une mauvaise chose en soit à partir du moment où le joueur part avec un contrat en poche, dans un vrai club professionnel, dans de bonnes conditions. Un sportif recherche toujours de meilleures conditions de travail et de vie, ce qui est légitime, aux championnats africains de les leur offrir sur place.
Vous êtes désormais partie prenante sur le terrain avec le tournoi Danone et la Western Union Solidarity Cup. La tâche est-elle facile avec les jeunes, notamment quand il y a des tournois à l’étranger que l’on sait être des moments où les jeunes fuguent ?
Ces tournois connaissent un vrai succès au Cameroun. Avec le soutien de la fédération et du Ministère des sports, on a réussi à mettre en place des choses biens depuis 2 ans. Cette année, la Danone Cup des 10-12 ans a été plus difficile à gérer, dans la mesure où les attentes individuelles ont semblé dépasser l’intérêt général. Il y a donc encore un travail d’éducation à faire. Pour ce qui est des fugues, qui pénalisent les équipes africaines lors des demandes de visas, elles ne sont pas une fatalité : on peut les prévenir, à condition que tout le monde joue le jeu et les consulats doivent s’impliquer dans cette démarche, mais ça reste un sujet complexe. Il faut donc travailler sur l’organisation de la sécurité des enfants, la communication, l’échange d’information, il y a beaucoup à faire. La Western Union Solidarity Cup des 15-16 ans permet de redistribuer plus de 10 millions de francs CFA en matériel et en espèces aux équipes participantes. Le vainqueur cette année a reçu plus de 800 000 Fcfa. C’est ça la solidarité et c’est grâce à la société Western Union Cameroun que cela est possible.
Si nous nous sommes impliqués dans ces projets, c’est que nous sommes avant tout une organisation de terrain. Nous ne voulions pas passer pour des « donneurs de leçon », de ceux qui passent leur temps à râler, à critiquer sans agir, c’est pourquoi nous avons pris le parti de l’action concrète. Si notre vocation première n’est pas l’organisation de tournois, note objectif est avant tout de sensibiliser, de créer une dynamique positive et d’occuper un espace qui sinon est occupé par des gens aux intentions douteuses. Evidemment, on risque de commettre des erreurs, d’être la cible de critiques. Mais l’action nous permet de rester en contact avec la réalité du terrain, de mieux connaître les différents acteurs et d’identifier les sources de dérives. On peut ainsi remonter l’information aux fédérations, aux Ministères et ainsi prévenir les menaces. Ce qui peut poser problème, ce n’est pas l’action en elle-même, mais sa finalité. Quand les objectifs sont clairs, quand on veut se mettre au service des enfants, il n’y a aucun problème.
On sait que le combat est d’offrir de meilleures conditions au niveau local si on ne veut plus de départs. Que pensez-vous de la politique d’immigration de l’Union Européenne qui vise désormais à favoriser le co-développement ?
Je ne parlerais pas d’immigration, qui est une vision politique et aujourd’hui très politisée des migrations. Je parlerais donc simplement de migrations qui sont une chose tout à fait normale. Je constate que partout dans le monde, il y a une tendance à sédentariser les gens, de gré ou de force, or dans les siècles passés l’homme voyageait partout sur la planète. Evidemment les époques et les problèmes sont différents, on doit faire avec notre temps. Concernant les migrations, souvent pour des raisons économiques, il faut simplement se poser la question du « pourquoi les gens quittent leurs pays». Les politiques de co-développement actuelles sont trop récentes pour permettre le recul nécessaire pour un bilan. Attendons de voir.
Et du côté des Etats africains, sentez-vous la même volonté de lutter contre ces trafics ?
Il y a une volonté, mais les moyens font défaut la plupart du temps et pas seulement les moyens financiers. Il faut donc qu’en plus ces moyens parviennent aux vrais bénéficiaires.
Pour finir et revenir à Culture Foot Solidaire, quels sont les défis qui vous attendent dans les prochaines années ? On imagine qu’il y a la Maison du Footballeur Africain, mais bien d’autres…
La Maison du jeune footballeur nous tient particulièrement à cœur. Elle doit pouvoir trouver des solutions aux enfants africains, qui ne seront pas tous des Samuel Eto o ! Elle doit pouvoir accompagner les premiers pas de tout enfant africain dans le football. Elle doit proposer autre chose aux jeunes footballeurs en terme de discours, de suivi, puisqu’on le constate : la façon de faire actuelle a montré ses limites : elle génère l’échec, fabrique des sans-papiers et ne profite à personne, ni aux enfants, ni aux clubs européens, ni aux clubs africains, ni aux familles, et encore moins au football africain. Lorsqu’un enfant sur 10000 réussit, on en parle dans la presse, ça bluffe tout le monde. Pour les 9999 autres, personne ne se demande où ils sont passés. La Maison du jeune footballeur se fera donc avec les instances du football, les Etats, les organisations gouvernementales et non gouvernementales locales, par ce qu’il y a un volet éducation et formation aux métiers important et par ce que du travail il y en a.
Propos recueillis par Joseph François Djomo