Incroyable Joseph-Antoine Bell. Consultant à la CAN2012 avec RFI et Afrique24, l’international camerounais fait le tour de l’actualité africaine, et camerounaise. Affirmant sa liberté de ton, il précise que « la décolonisation a tué l’Afrique ». Interview.
Trois victoires, zéro but encaissé pour la Côte d’ivoire. Les Eléphants ont assuré lors de ce premier tour. Vous le Camerounais, comment jugez-vous cette sélection ivoirienne ?
Ce n’est pas toujours facile de gagner quand on est attendu. Mais il n’y pas que la Côte d’Ivoire, il y a aussi le Ghana. Mais pour moi, c’est l’année des Ivoiriens car ils ont montré une certaine régularité au plus haut niveau. Cela serait logique qu’ils gagnent. Maintenant pour gagner, il ne faut pas prendre les gens de haut…
Lors de cette CAN, Rolland Courbis a fait ses débuts en terre africaine. Voir Rolland ici, cela doit vous plaire ?
Ce n’est pas à moi que ça doit plaire. Ça doit d’abord plaire aux Nigériens… Simplement, il faut se demander si les contours de cette collaboration ont été correctement étudiés pour que tout se passe dans l’harmonie. Cela devient difficile quand les rôles ne sont pas bien définis. Cela cause des couacs. Et finalement, cela peut amener plus de mal que de bien.
Et à titre personnel, avez-vous envie de vous retrouver le milieu du football ?
Il faut arrêter avec ça… Je suis consultant pour RFI et Africa 24. Dans le monde du football, on me connaît bien.
Et du côté du Cameroun, avez-vous été contacté pour aider la sélection des Lions Indomptables ?
Le Cameroun n’attend pas après moi. D’ailleurs, ce serait une honte si c’était le cas.
C’est quand même décevant de la part des dirigeants des Lions Indomptables de ne pas vous avoir sondé ?
Oui, c’est grave et on voit où en est le football camerounais. Si vous ne connaissez pas vos enfants et si vous ne savez pas les utiliser, évidement vous vous retrouvez là (le Cameroun n’est pas qualifié pour la CAN, ndlr). Mais c’est le propre de l’Afrique qui attend après des agents français pour dire que leurs joueurs sont bons. C’est pareil pour les entraîneurs européens. Cela révèle bien le malaise du autour du football africain.
Êtes-vous amer ?
Non, ce n’est pas le cas. Au Cameroun, je suis chez moi. J’ai joué près de vingt ans en équipe nationale. Je les connais très bien. Mais si eux ne me connaissent pas, je ne vais pas me plaindre, je vais seulement le constater. Ils sont libres de consulter qui ils veulent.
Pensez-vous un jour revenir à Saint-Étienne en tant que dirigeant ?
Oui pourquoi pas… C’est du foot et la vie n’est pas figée. Donc je ne vois pas pourquoi aller à Saint-Étienne me serait interdit. Tout est possible mais je pourrais tout aussi bien voir ailleurs car à l’ASSE, il y a des gens qui n’ont pas joué à Saint-Étienne. Donc Joseph-Antoine Bell ne peut pas être destiné qu’à Saint-Étienne. Puis Joseph-Antoine Bell a gagné des matches dans toute la France (rires). Donc je serais bien partout.
Et pour en revenir au Cameroun, qu’est-ce qui n’a pas marché pour ces qualifications ?
Quand vous avez un bateau qui prend l’eau, au début, ça ne se voit pas, pourtant l’eau a déjà commencé à pénétrer. Jusqu’au jour où il est couché. Là on a juste l’impression que ça vient d’arriver. Mais tout ce que je dis maintenant, je le dis depuis longtemps. Ce n’est pas nouveau.
Concrètement, qu’est-ce que cela signifie ?
Chez moi, on ne prépare pas le lendemain. Il faut voir, le Cameroun a été le premier pays éliminé de la Coupe du monde. Donc c’est une suite logique de ne pas voir mon pays à la CAN. Mais le pire, c’est que personne ne veut assumer cet échec.
Lors de cette CAN, on déplore l’absence de grandes nations comme le Nigeria, l’Égypte, mais aussi le Cameroun et l’Algérie. Comment évaluez-vous le niveau du football africain ?
Je trouve qu’il baisse de manière exorable. Pendant la Coupe du monde, le Nigeria était pénible à regarder, l’Algérie pareil. D’ailleurs, il y a de quoi se demander comment l’Algérie a pu éliminer l’Égypte, mais après on le comprend parce que l’Égypte n’est pas qualifiée pour la compétition suivante. Donc c’était des faux-grands.
C’est-à-dire ?
L’Afrique aime bien les choses figées. Chez nous, les rois naissent rois et les grands naissent grands. On veut vous voir rester dans votre quartier, vous qui êtes né dans un quartier. En fait, ces supposées grandes équipes se sont drapées dans des vêtements de grands, mais ils ne font pas grand-chose pour rester grands.
De nombreux entraîneurs européens coachent en Afrique. Comment expliquez-vous ce phénomène qui dure depuis un certain temps ?
Mais c’est inutile de regarder en direction du foot car ce sont des problèmes de société. Le football n’est pas un petit îlot. Non, les tares de la société rattrapent le sport. On a des dirigeants qui pensent que le fait d’avoir un blanc est une garantie. Autrefois, le gars qui avait un CAP en France, il arrive en Afrique et d’un coup, il devient patron de chantier. Cela signifie que quelque chose d’une moindre qualité peut suffire ici. Du coup, on ne mène pas notre propre réflexion. On retrouve cela dans l’économie africaine.
Vous dressez un constat particulièrement alarmant…
Oui. Moi, je considère que la décolonisation a complétement tué l’Afrique.
Pouvez-vous développer votre pensée ?
En Afrique, on essaye de contrôler les gens à l’esprit indépendant car ils sont dangereux pour le pouvoir. Donc on exclut et il y a toutes les chances que l’on exclut des gens valables. C’est dommage pour le continent.
Et vous à titre personnel, comment avez-vous géré cela ?
Moi j’ai été capitaine à Marseille et j’ai joué à Bordeaux ou Saint-Étienne. Personne n’a revendiqué le fait de me contrôler. Il n’y a jamais eu personne dans mon dos pour me dire ‘Jo’ ne dis pas ci, ne dis pas ça.
Vous concentrez surtout vos critiques sur les dirigeants. Mais les joueurs camerounais sont également responsables du marasme actuel, non ?
Moi, j’ai du mal à accuser les joueurs car le football est une affaire de jeunes. Ils sont déformés par le moule du football. Les gens comme moi, qui prennent la parole librement, sont exceptionnels et rares. Les joueurs, eux, sont formatés et évoluent dans un système où on peut les exclure très facilement. Puis ils sont plus jeunes que leurs dirigeants et généralement moins instruits que leur dirigeants. Mais c’est souvent à la fin de leur carrière qu’ils se rendent compte qu’ils ont été exploités. Mais c’est trop tard car ils n’ont plus la parole.
On se souvient que le 15 novembre dernier, la rencontre amicale Algérie – Cameroun a été annulée. Lassés de ne pas recevoir leur prime, les joueurs des Lions Indomptables ont boycotté le déplacement à Alger. Ce qui a provoqué l’ire des Algériens. Quel est votre avis sur cet énième couac ?
Cela s’explique par l’incompétence des dirigeants. Vous imaginez ce qui s’est passé. Le patron de la fédération n’a même pas réalisé sa connerie. Après il a essayé de livrer en pâture Samuel Eto’o (suspendu 15 puis 5 matchs pour avoir piloté la fronde des Camerounais, ndlr). Mais ce n’est pas lui le problème. D’ailleurs si c’est Samuel qui a géré la fédération, c’est bien la preuve que les dirigeants sont incompétents. La faillite vient d’eux. Il faut que quelqu’un parte car cette annulation c’est du jamais-vu !
Pourtant le rôle de Samuel Eto’o est souvent dépeint comme obscur. On l’accuse de vouloir tout gérer en sélection. Comment jugez-vous l’action de l’ancien attaquant du Barça ?
Samuel Eto’o est arrivé très jeune en sélection. Donc forcément ce que j’ai décrit avant lui est arrivé. Il a été formaté. On lui a indiqué les ennemis qu’il devait combattre en insistant sur le fait qu’il ne fallait parler avec telle ou telle personne ou tel ou tel journaliste. Donc je reproche rien à Eto’o car, pendant longtemps, il a vu les choses avec les yeux de ses dirigeants.
Ces histoires de primes promises finalement non payées, c’est vieux comme le monde dans le football africain.
Oui, ce n’est pas la première fois qu’on entend ce genre de problème. Moi en tant que joueur, je me souviens d’un match de Coupe du monde. On avait failli ne pas jouer contre le Brésil (1994, ndlr). Depuis longtemps, cette affaire pendait au nez des Camerounais.
Pour parler d’autre chose que du football africain, quel est votre ressenti sur la nouvelle dimension du PSG. Beaucoup de Français ne comprennent pas tout cet argent dépensé…
En France, on s’est toujours plaint de ne pas avoir les moyens. Je crois que l’on ne doit pas se plaindre si les moyens sont là. Il faut voir ce que font les Espagnols, les Italiens ou les Anglais. Quand on joue contre Chelsea, on sait qu’on va affronter une grande équipe et personne ne dit : « Elle n’est pas grande parce que c’est Abramovitch qui a amené l’argent. » Donc pourquoi cet argent nous plairait à Chelsea et nous rebuterait en France. Mais il serait aussi regrettable que les équipes soient totalement dénaturées et qu’il ne reste rien de français dans nos clubs.
Et concernant le marché des transferts lors de la CAN, est-il possible de réaliser de bonnes affaires pour les agents de joueurs ?
Je ne crois pas beaucoup à ce marché. Je pense que c’est plus une possibilité de se rapprocher des joueurs. Aujourd’hui, la CAN c’est un cliché. Elle n’a jamais vendu un seul joueur. Auparavant moi quand je la jouais, je n’ai pas vu un joueur qui a été pris suite à la Coupe d’Afrique. D’ailleurs, tous les joueurs qui viennent à la CAN sont connus à l’avance, donc on ne peut pas dire qu’on vient ici pour faire son marché.
Propos recueillis par Florian Fieschi à Libreville