Le Camerounais candidat à la présidence de la Fifa croit plus que jamais qu’il pourra l’emporter le 29 mai face à Joseph Sepp Blatter, le président sortant. Issa Hayatou vient de séjourner au Cameroun où il a été reçu au nom du président de la République, par le ministre d’Etat en charge de la Culture, Ferdinand-Léopold Oyono. Il ne doute pas un seul instant du soutien du gouvernement et assure même que le président de la République fait tout ce qu’il peut pour favoriser son élection.
En revanche, le président de la Caf a la dent particulièrement dure à l’encontre des vedettes du football africain qui ont pris position en faveur de son adversaire du 29 mai, et particulièrement ses compatriotes Roger Milla et Joseph-Antoine Bell. Dans un style cru qu’on ne lui connaissait pas, Issa Hayatou estime que Roger Milla veut se donner l’importance qu’il n’a pas et déclare qu’il n’a pas de leçons à recevoir de Joseph-Antoine Bell. Un entretien-vérité où Issa Hayatou parle également des prochaines élections municipales et législatives du 23 juin prochain.
Les profiteurs
Au bureau de la Confédération africaine de football à Yaoundé, les brefs séjours de Issa Hayatou en ces temps de campagne à la présidence de la FIFA donnent toujours lieu à des rencontres utiles. Inutile d’énumérer la longue liste des personnalités de tous les milieux socio – professionnels, en commençant par les footballeurs et les amoureux du ballon rond, qui y débarquent pour lui traduire leur soutien. En début de semaine prochaine, Issa Hayatou sera à Dakar, au Sénégal, où il participera à la réunion de l’Union des fédérations ouest africaines (UFOA). Au cours de celle-ci, le soutien de cette partie du continent lui sera réaffirmé. L’Union des fédérations d’Afrique centrale (UNIFAC) pourrait en faire de même dans les prochains jours, si on en croit des sources émanant de cette structure.
Autant de choses et bien d’autres, qui contribuent à doper le moral (du reste pas manifestement entamé) du patron de la CAF, face aux tentatives de déstabilisation de certains présidents de fédération et anciennes gloires. L’entretien qu’il nous a accordé mercredi 1er mai, jour de la 116e fête internationale du travail, nous a rassuré quant à sa sérénité. Une sérénité davantage entretenue par les assurances que lui a données le gouvernement à l’issue d’une rencontre avec le ministre d’Etat en charge de la Culture, au soir du 29 avril.
Dommage que dans ces moments intenses et parfois difficiles, certains profiteurs essayent de vouloir s’enrichir sur le dos du candidat Hayatou. Des informations troublantes en provenance de l’Hexagone révèlent qu’un journal panafricain basé à Paris a saisi « les Hommes du président » pour un cahier spécial sur l’événement. Les sommes demandées sont effrayantes : 70 340 euros (plus de 53 millions de FCFA) pour huit pages et 38 420 euros (plus de 29 millions FCFA) pour quatre pages. Dans la même mouvance, il y en a, ici même au Cameroun, qui n’ont pas hésité à lui demander une aide en vue du voyage nippo-coréen… A la CAF, bureau de Yaoundé, on refuse de dire le moindre mot sur ces informations, que l’on ne souhaite d’ailleurs ni infirmer ni confirmer.
Une chose est sûre : M. Hayatou, que ses proches disent intègre, n’est pas de ceux qui jouent à ce jeu. Tout ce qui le préoccupe actuellement, c’est de sortir vainqueur à l’issue du match qui aura lieu le 29 mai à Séoul, si M. Blatter maintient sa candidature. A l’instar de ses collaborateurs de la CAF, qui ne connaissent plus de jours fériés et qui travaillent parfois dans une ambiance tendue, M. Hayatou se dit optimiste quant à l’évolution de sa campagne. Du moins à l’état actuel des choses.
A quelques trois semaines de l’élection à la FIFA, êtes vous en droit de dire que tout se passe bien durant votre campagne ?
La campagne se déroule dans de très bonnes conditions. Après l’annonce de ma candidature le 16 mars dernier au Caire, nous avons mis sur pied une stratégie devant permettre d’expliquer le bien fondé de notre démarche aux différentes fédérations concernées par l’élection du 29 mai prochain à Séoul. C’est dans ces conditions que nous avons divisé le monde en plusieurs secteurs et que des volontaires convaincus par notre programme sillonnent le monde pour les besoins de la cause. Je m’occupe particulièrement de l’Afrique qui est ma base. L’objectif c’est d’y obtenir le maximum de voix. Les membres du comité exécutif de la CAF parcourent le continent, qui a été divisé en six zones, soit deux par zone. Il s’agit de sensibiliser les fédérations nationales et les ministres de la Jeunesse et des sports sur l’importance de ma candidature par rapport à l’avenir du football mondial en général et africain en particulier. Notre but, c’est d’avoir au moins 45 voix africaines sur les 50 qui sont appelées à voter. En Asie, le président de la fédération coréenne de football est en train de mobiliser les uns et les autres autour de notre idéal. L’UEFA en fait de même pour ce qui concerne l’Europe.
Avez-vous les garanties quant au soutien de l’UEFA ? On sait notamment que le mot d’ordre donné par la CAF en 1998 en faveur de Johansson a été violé par quelques présidents de fédérations…
C’est le président de l’UEFA en personne, M. Johansson qui bat campagne pour moi auprès des fédérations européennes. En tout cas, l’UEFA travaille afin que j’obtienne au moins la moitié des voix de l’Europe, c’est-à-dire entre 26 et 30 voix. Beaucoup m’ont manifesté leur soutien et leur sympathie à l’occasion de leur congrès auquel j’ai été invité il y a quelques jours à Stockholm, en Suède. Je prendrai également part au congrès de la Concacaf et à bien d’autres réunions auxquelles je suis invité dans le cadre de ma campagne et du développement du football. Pour conclure sur l’évolution de ma campagne, je dirai simplement que la sérénité règne dans nos rangs et que nous ferons le nécessaire pour être au point le jour J.
Vous parlez de sérénité alors qu’on relève des dissensions au niveau de quelques fédérations. Je pense par exemple à la Libye qui a récemment organisé une réunion pro-Blatter à Tripoli.
Cette réunion avait pour but de jeter le trouble dans les esprits. Les 17 fédérations (sur les 23 invitées) qui ont fait le déplacement de Tripoli ont fait des rapports individuels à la CAF pour signifier leur soutien à ma candidature et désapprouver la démarche de la fédération libyenne de football. Initialement invitées pour réfléchir sur le développement du football féminin et des jeunes, elles n’ont pas compris pourquoi l’ordre du jour a changé. Elles ont fait observer qu’elles n’étaient pas venues débattre de la candidature de M. Blatter. La réunion a donc capoté. C’était un fiasco. Il faut quand même porter une attention particulière à ce genre de manœuvre et de comportement. Nous pensons qu’il n’est pas tard de les rattraper.
Je signale pour terminer sur ce point que la fédération libyenne a promis à chaque fédération 50 000 dollars US par an pendant quatre ans pour le développement du football. Malheureusement, il m’est revenu que les responsables présents à Tripoli sont rentrés sans avoir la première tranche qui leur était promise.
Beaucoup estiment que la Libye a ainsi donné un mauvais exemple par rapport à son engagement dans la construction de l’Union africaine…
Ce qui étonne les observateurs c’est que les manœuvres de déstabilisation d’une candidature africaine viennent d’un pays qui se bat pour l’avènement de l’Union africaine. Mais j’estime qu’il faudrait faire la part des choses. Il faut chercher à savoir si le président Kadhafi était au courant de la démarche de son fils, qui est responsable de la fédération libyenne de football. Je pense qu’il n’en était pas informé. En tout état de cause, nous sommes en train de travailler pour connaître exactement les fondements et les mobiles qui ont sous-tendu cette réunion de Tripoli. Dans un avenir proche, nous le saurons.
J’en profite aussi pour dire que le sport en général et le football en particulier joue un rôle important dans l’intégration régionale dont nous rêvons. Il peut aussi amener les citoyens à s’unir, à parler d’une même voix, etc. Mais si on ne fait pas attention, il peut aussi desservir cette intégration qui nous est chère. Il nous revient donc d’en faire bon usage.
Dans cette perspective quels commentaires faites-vous des discours tenus contre votre candidature par certaines anciennes vedettes du football africains ?
J’étais un peu déçu, d’autant plus que je croyais que c’était mes amis, indépendamment du fait qu’ils sont des Africains comme moi. J’entretiens de bonnes relations avec ces anciens footballeurs que je connais individuellement et qui, pour ce qui concerne les Camerounais, ont évolué quand j’étais secrétaire général de la FECAFOOT. J’ai été donc déçu, mais je me suis ressaisi très vite. J’ai finalement perçu leur geste en bon démocrate. Ils sont libres de soutenir le candidat qui leur convient. Il s’agit d’ailleurs d’une élection du président d’une institution mondiale et non africaine ou nationale, une élection à laquelle ils ne prennent pas part. Et puis, quand on parle d’anciennes gloires, il y en a quatre ou cinq : Georges Weah, Abedi Pele, Basile Boli, Roger Milla et Bell Joseph Antoine…
Certes, ça fait bon genre de savoir qu’on est soutenu par Beckenbaueur ou Roger Milla par exemple. Mais ça s’arrête là. Ce qui est sûr c’est que la position des uns et des autres n’influencera pas le vote des représentants de leur pays ou celui de ceux qui ailleurs me soutiennent. J’aurais pu rendre publique la liste de tous les autres anciens footballeurs, pour ne citer que cette catégorie sociale, qui me soutiennent. Mais ce n’est pas mon style. Je ne cherche pas à comprendre les raisons qui ont poussé les autres à s’aligner derrière M. Blatter. Toujours est-il que j’ai été particulièrement surpris par le comportement de Roger Milla. Récemment, il m’a téléphoné pendant que j’étais à Paris, pour me dire qu’il n’a fait aucune déclaration, alors qu’il l’avait fait à Genève, en Suisse. Je lui ai dit que cela ne servait à rien de m’appeler, mais qu’il était plus important de faire un démenti. Il ne l’a jamais fait. Au contraire…
On a entendu dire que les joueurs n’ont pas été informés de votre candidature avant, que vous n’avez rien fait pour le football africain et même que cette candidature est précoce.
Quand on veut noyer son chien, on l’accuse de rage. Je voudrais indiquer à M. Milla qu’il est un ancien joueur comme il y en a des millions d’autres. Dois-je les réunir tous pour leur dire que je vais me présenter à la présidence de la FIFA ? Il ne faut pas qu’on se donne de l’importance qu’on n’a pas. Je sais par ailleurs que M. Joseph Antoine Bell, avec qui j’ai été au lycée technique de Douala, a dit que c’était pas le moment pour moi de me jeter dans la course à la présidence de la FIFA. Je voudrais lui rappeler que quand M. Havelange s’est fait élire à la tête de la FIFA en 1974 où il est resté pendant 24 ans, il avait 57 ans. J’en ai 56 aujourd’hui…
M. Bell est allé jusqu’à dire que j’ai recruté un « Blanc » pour diriger ma campagne. Je voudrais aussi lui rappeler qu’il habite la France. Et qu’en plus, il a la nationalité française… En tout cas, je ne sais pas où est le problème si je choisis un Européen pour être mon directeur de campagne. Il aurait pu être un Asiatique, un Africain ou tout autre citoyen du monde. Le football n’a pas de frontières. Pour le reste, je n’ai pas besoin de revenir sur mon bilan à la CAF ou la vice-présidence de la FIFA. Ce n’est pas un secret. On peut tout raconter dans une ambiance de campagne, mais les faits sont là.
Bref, je n’ai pas de leçons à recevoir de X ou Y sur des questions qui ne font pas avancer la cause du football. Je fais ce que ma conscience me dicte, même si je peux tenir compte de contributions ou des critiques utiles. Cela dit, ce n’est pas parce que tel ou tel ne me soutient pas que je cesserai de le considérer comme mon frère. Nous sommes tous appelés à cheminer ensemble aussi longtemps que nous serons en vie. Je leur souhaite beaucoup de plaisir dans la voie qu’ils ont choisie.
Malgré tout, vous êtes donc prêt à accorder par exemple à Milla, l’aide qu’il a sollicitée en vue de l’organisation de ses 50 ans ?
M. Roger Milla a écrit à la CAF pour demander une aide financière pour ses 50 ans. Malheureusement, nous ne finançons pas ce genre d’opérations. La CAF a estimé que cela pourrait constituer un précédent dangereux et difficile à gérer par la suite. Si tout le monde célèbre son anniversaire et se tourne vers la CAF pour un tel soutien, on ne va pas s’en sortir. Par contre, la Confédération africaine de football peut assister un ancien joueur s’il est confronté à un problème sérieux, tel que la maladie. Toutefois, en tant qu’individu, si je suis au Cameroun, je participerais aux activités prévues dans le cadre de cet événement.
Revenons en à votre candidature à la présidence de la FIFA. Beaucoup n’ont pas compris le silence longtemps entretenu par le gouvernement et le fait que le Chef de l’Etat ne vous ait pas reçu…
Le silence ne traduit pas le manque d’actions. Comme il n’y a pas eu de publicité autour de ce que le gouvernement fait depuis l’annonce de ma candidature, chacun essaie de spéculer à sa manière. Le soutien de l’Etat du Cameroun est total. Le président de la République a donné les instructions afin que cette candidature soit accompagnée par toutes les forces vives de la nation. Il n’y a donc pas de problème. Je sais que beaucoup s’attendent à ce que le chef de l’Etat en personne me reçoive. Il le fera. C’est un problème de calendrier. Quand je suis là, il n’est pas là. Sans compter que je suis aussi régulièrement interpellé par mes occupations au-delà du triangle national, voire continental.
Vous participez d’ailleurs ce vendredi 3 mai à un congrès extraordinaire de la FIFA à Zurich, en Suisse. Quels sont les enjeux de ce congrès quand on sait qu’il intervient dans un contexte marqué par une sorte de crise de confiance entre le président sortant de la FIFA et son secrétaire général qui l’accuse de détournement…
Le secrétaire général de la FIFA a estimé qu’il était mis à l’écart par les services de M. Blatter et qu’il n’assumait pas pleinement ses fonctions qui sont pourtant définies par les textes organiques de la FIFA. Il a craqué et a dénoncé ce système en faisant des déclarations troublantes dans la presse nationale et internationale. Il a aussi indiqué qu’il rendra compte au comité exécutif qui l’a nommé. C’est le but de la réunion du 3 mai. Nous saurons au cours de cette réunion ce qu’il reproche exactement à M. Blatter. Mais je pense que M. Zen Ruffinen qui est un cadre compétent et avisé ne peut pas dire des choses dont il n’a pas la preuve.
Blatter estime que ceux qui ont perdu en 1998 veulent à tout prix créer un candidat contre lui, quelles qu’en soient les conséquences pour l’image de la FIFA.
Est-ce que le fait d’avoir plusieurs candidats ternit l’image de la FIFA ? C’est la démocratie. Il était candidat contre quelqu’un en 1998, pourquoi ne veut-il pas qu’il y en ait un contre lui cette année ? Ce qui ternit l’image de la FIFA, ce sont les tiraillements internes et autres rumeurs de corruption que nous avons voulu d’ailleurs assainir en demandant la création d’une commission d’audit. M. Blatter ne l’a pas laissée fonctionner. A notre grande surprise, il a mis fin à ses travaux. Il s’expliquera sur cette attitude devant le comité exécutif extraordinaire de ce vendredi et nous verrons dans quelle mesure cette commission pourrait être remise sur les rails.
Que risque Blatter au cas où il serait reconnu coupable des faits que lui reproche son secrétaire général ?
Comme dans toute structure, le Comité exécutif peut porter plainte contre lui ou lui adresser une demande d’explication…
Cette instance peut-elle obtenir sa démission ?
Quand on porte plainte, ça sous-tend beaucoup de choses…
Avant de terminer cet entretien, observons un arrêt sur votre programme. Notamment sur votre détermination à renforcer la démocratie et la transparence à la FIFA. Qu’est ce que cela veut dire concrètement ?
Je souhaite simplement que la FIFA soit une maison de verre. Que tout se fasse désormais dans la clarté. Je pense notamment à la déclaration des salaires et autres avantages. Les budgets alloués au projet goal doivent être connus. Il s’agit d’indiquer les modalités de définition de ces budgets et d’établir les critères objectifs pour que chacun sache comment et pourquoi tel ou tel montant est alloué à une fédération.
Vous donnez déjà l’exemple de cette transparence à la CAF ?
Bien sûr. Il n’y a aucun secret au niveau de la CAF. Nos comptes sont gérés dans la transparence. Il est connu que je gagne 4600 dollars US (environ 3 450 000 FCFA : Ndlr) comme président de cette institution continentale. Si je suis élu à la tête de la FIFA, je ferai en sorte que mon salaire soit voté par le comité exécutif comme c’est le cas à la CAF. Jusqu’ici, nous cherchons en vain à savoir combien gagne le président de la FIFA.
Puisque nous parlons de transparence : dites nous, combien coûte votre campagne actuelle et d’où viennent les fonds ?
C’est moi qui finance ma campagne. Mais conformément à la loi française, j’ai ouvert une souscription à Paris où est basé mon quartier général. Cela permet aux amis de me venir en aide. Pendant mon séjour au Cameroun, beaucoup de compatriotes qui me rendent visite pour m’apporter leur soutien me donnent spontanément une contribution pour faire face aux exigences de la campagne. Le coût est inestimable. Ce qui est réconfortant c’est de se sentir épauler. J’en profite pour remercier les uns et les autres pour la cause que nous défendons tous, à savoir servir le football.
Une dernière question au citoyen Hayatou. Allez-vous voter le 23 juin à l’occasion des Municipales et Législatives ?
Je suis citoyen camerounais. Je suis un électeur. Depuis de longues années où je suis à la tête de la CAF, je suis revenu dans mon pays pour voter chaque fois qu’il y a une élection et que je me retrouve hors du territoire national pour des raisons professionnelles. Une fois mon devoir civique accompli, je suis reparti. C’est dire que j’accorde une très grande importance à l’évolution socio-politique de mon pays. C’est tout à fait normal. Malheureusement, cette année, je serai à la Coupe du monde Corée/Japon 2002 et ne pourrais pas prendre part au scrutin du 23 juin. Si je devais être par exemple en France à cette date – là, j’aurais fait le nécessaire pour venir voter. Dommage, l’Asie c’est pas la porte à côté. 20 heures de vol nous séparent de la Corée.
Entrevue menée par Norbert N. OUENDJI