Abéga Théophile, l’ancien capitaine du Canon de Yaoundé, a repris le club de ses premières amours en devenant son président. L’ancien meneur de jeu génial qu’il était s’efforce à apporter son savoir-faire, afin que les « Rouges et Verts » renouent avec les vertus qui ont fait sa force. Puissance et humilité.
Africafoot.com : Aujourd’hui le Canon de Yaoundé (D1) est champion du Cameroun. On attendait cela depuis pas mal de temps. Quel est le sentiment de Théophile Abéga ?
Théophile Abéga : Cela fait effectivement seize ans que le Canon court après le titre de champion du Cameroun. Dieu merci, cette année a été la bonne, mais il nous a fallu beaucoup d’efforts pour y arriver. J’ai pris la direction de ce club il y a six ans avec l’ambition d’obtenir un titre de champion. C’est fait maintenant et j’en suis très heureux, pour moi, mais aussi pour les joueurs, l’encadrement et les supporters. Avec ce titre on va pouvoir maintenant se projeter en avant et peut-être mettre tout en œuvre pour que le Canon soit champion d’Afrique. Et également pour asseoir le développement du club qui en a bien besoin. Il était inimaginable pour moi de constater la décadence de mon club. Après de nombreux changements d’hommes à la tête du Canon de Yaoundé, changements qui se sont avérés vains, j’ai décidé de prendre la direction du club et de travailler afin de ramener le Canon de Yaoundé sur le devant de la scène. C’est aujourd’hui chose faite et j’en retire une satisfaction très particulière.
Africafoot.com : Vous avez bataillé dur pour obtenir ce titre de champion du Cameroun puisque jusqu’à la dernière journée, rien n’était fait. Vous êtes vraiment allé chercher le titre à Garoua. Bref, vous n’avez rien lâché.
Théophile Abéga : Cela a été très difficile et c’est d’ailleurs la première fois au Cameroun que le titre se joue sur la dernière journée entre le premier et le second du championnat. Le Canon a pu remporter la timbale, et je crois que sur l’ensemble de la saison c’est bien mérité, même si notre adversaire principal n’a pas démérité. Maintenant, nous comptons capitaliser ce titre en ligue des champions dès la saison prochaine. Le suspense était de taille et mes joueurs ont tenu psychologiquement et ils ont réveillé en moi des sensations que vous connaissez aussi, Jacques Roux, pour avoir participé avec moi à des campagnes africaines fructueuses… Et avec cette même équipe du Canon. Beaucoup de souvenirs ont rejailli de mon esprit et à un moment j’avais envie de rechausser les crampons. Bref, c’était bien et très valorisant pour les gamins de gagner le titre à l’extérieur. Ils ont démontré leurs valeurs et je crois que l’on peut encore en tirer davantage que ce qu’ils nous ont montré.
Africafoot.com : Votre réussite est d’autant plus louable que vous êtes tout seul à gérer cette équipe. Je crois que vous manqué de moyens financiers. Quels sont vos armes pour ramener de l’argent au club ?
Théophile Abéga : Vous savez le financement des clubs en Afrique est quelque chose de très difficile, c’est un vrai problème. En ce qui concerne le Canon de Yaoundé, nous avons un partenariat avec le Sotelo de Belgique, qui de temps en temps apporte sa contribution financière, mais en dehors de ça, rien. Je pense qu’il serait souhaitable que les supporters du Canon apportent aussi leur contribution à la marche du club. En tout, cas nous avons vraiment besoin d’aide, c’est indéniable. Toutes les forces vives du Canon doivent se rapprocher du club afin de conjuguer nos efforts pour la réussite de ce dernier, malgré tout ce qui a été fait et dit, il faut passer à une autre étape, et elle devra être dénuée de toute animosits. Voilà mon message à ceux qui appartiennent au KPA-KUM.
Africafoot.com : Vous êtes un ancien footballeur devenu président de club, et maintenant vous avez des fonctions au sein de la CAF. Vous participez à une cellule de réflexion sur le football africain. Que pouvez-vous faire pour que les choses évoluent ?
Théophile Abéga : J’ai été appointé à la commission de football de la Confédération Africaine de Football (CAF). Je ne suis pas là par hasard, je crois qu’on a pensé au sein de cette confédération que je pouvais apporter quelque chose, avec les autres anciens footballeurs qui font partie de cette commission, Japhet Ndoram, François Mpelé… Nous allons nous atteler à la tâche qu’on nous a confiée, et j’espère que nous ferons avancer les choses ensemble. Je peux dire que Issa Hayatou a voulu que nous fassions partie de la grande famille de la CAF, car il a probablement pensé que nous sommes à même de faire de bonnes choses ou d’apporter un plus. C’est à nous de mériter la confiance que l’on a placée en nous et d’apporter des propositions concrètes au développement du sport roi.
Africafoot.com : Vous avez le titre de champion du Cameroun, ce qui veut dire que vous allez participer à la Coupe d’Afrique des clubs champions. C’est autre chose que le championnat national. Avez-vous pensé à faire un recrutement pour mettre une équipe solide en place en vue de cette compétition ?
Théophile Abéga : On va le faire, mais ce n’est pas évident, parce qu’en Afrique, et notamment au Cameroun, les meilleurs joueurs ont tendance à s’exiler. Dans tous les cas, nous allons essayer de procéder à un recrutement judicieux pour défendre valablement nos chances dans cette ligue des champions. Et je crois que c’est la moindre des choses, car comme vous le savez, ce sont les champions des autres pays que nous allons rencontrer et ce ne sera pas du tout facile. Là où le bât blesse, c’est que nous ne pouvons pas avoir des cassettes des matches des autres prétendants, car l’information ne circule pas bien sur le continent. Il est difficile pour toute équipe d’avoir des informations réelles sur son adversaire, car les retransmissions des rencontres africaines ne sont pas accessibles. Il va falloir se déplacer pour superviser les adversaires, et là, ce sont les moyens financiers qui interviennent une fois de plus. Sans un budget solide, nous ne pourrons rien faire.
Africafoot.com : Allez-vous recruter des joueurs camerounais, ou bien allez-vous vous ouvrir votre recrutement à l’ensemble du continent ?
Théophile Abéga : En fait, je crois que nous pouvons aussi avoir un recrutement mondial. Il y a beaucoup de joueurs africains en Europe qui chôment, et qui sont en vadrouille. Pourtant certains sont de très bons joueurs qui pourraient apporter énormément aux clubs africains. Vous avez entendu tout à l’heure Monsieur Sepp Blatter qui disait que le mieux serait que les footballeurs africains s’épanouissent en Afrique. Je pense que ces footballeurs sans clubs en Europe feraient mieux de revenir en Afrique pour jouer. D’autant plus que des compétitions comme la ligue des champions apportent maintenant des revenus assez substantiels aux clubs africains. Pour en revenir à votre question, en dehors du recrutement que nous allons faire au Cameroun, nous allons effectivement recruter au niveau continental et pourquoi pas comme je l’ai dit, au niveau mondial. C’est la qualité des joueurs qui donnera une dimension aux rencontres, et si la qualité des matches est bonne, les médias seront intéressés, et ce sera une rentrée supplémentaire pour nous. Il faut que nous, présidents de clubs, pensions à cela car c’est ce qui fait vendre en Europe les rencontres de football. Tout le monde sait aujourd’hui qu’un match entre le Bayern de Munich et par exemple le Réal de Madrid, rapporte plus que tous les budgets de clubs africains réunis et je crois de fédérations nationales aussi. Alors, la balle est dans notre camp. Je ne dis pas que nous allons y arriver demain ou dans un proche avenir, mais il est important de bien analyser la situation et d’essayer de se rapprocher de la manière de procéder des pays européens. Le football africain a besoin de sérieux et de personnes compétentes pour le faire avancer.
Africafoot.com : En dehors de ce problème de recrutement, ne pensez-vous pas que le ministère des sports devrait laisser plus de marge de manœuvre à la fédération de football ? Apparemment on n’a pas encore coupé le cordon ombilical.
Théophile Abéga : Le cordon ombilical n’est pas coupé, mais il ne serait pas bon qu’il se coupe. C’est le ministère qui finance le football en Afrique, et si on met le ministère de côté, il n’y aura plus de financement pour les équipes nationales. Pour les clubs c’est totalement différent, car ils doivent se débrouiller seuls. C’est vrai que quand ils sont en compétition, le ministère s’implique, mais je le dis une fois de plus, un club devrait pouvoir se prendre en charge lui-même. Et ce n’est pas le cas aujourd’hui!
Africafoot.com : Il est temps que le football camerounais se réforme, et qu’on laisse les mains libres aux présidents de clubs pour pouvoir gérer leurs recettes et l’organisation de leurs matches. Qu’en pensez-vous ?
Théophile Abéga : Tout à fait. Ce qui est complètement aberrant, c’est de voir que les clubs ne peuvent même pas savoir combien de billets ont été vendus pendant un match. Les annonces de recettes ne reflètent pas ce que nous voyons dans les tribunes en nombre de spectateurs. Il faudrait revoir tout cela et proposer aux clubs d’organiser leurs rencontres et de gérer leurs recettes, cela apportera plus de transparence dans la redistribution de l’argent du football, et en plus nous pourrons assumer nos dépenses et ne plus se tourner vers d’éventuelles aides en tout genre. L’argent du football devrait être bien redistribué vers les clubs. C’est mon sentiment.
Africafoot.com : Et le public dans tout çà ?
Théophile Abéga : Il faudrait que le public revienne au stade pour que cela génère des recettes qui font partie de la bonne santé des clubs. Mais pour que la recette soit conséquente, il faut que le spectacle soit alléchant. Donc, on rentre dans un cercle vicieux. Il faudrait que tout le monde joue son rôle, ce qui n’est pas le cas. Et nous, les clubs, sommes les premiers à en souffrir. Avant, des rencontres de tous niveaux drainaient un public nombreux. Je me rappelle encore les déplacements du Canon en province, c’était de la folie, il y avait plus de monde à l’extérieur qu’à l’intérieur du stade. C’était le bon temps, il y avait le spectacle et le public, mais toujours pas assez d’argent. J’espère que les écoles de football vont nous donner satisfaction afin de renouveler les effectifs et surtout de les enrichir. Il ne faudrait plus que l’on assiste à ses départs sauvages qui se passent en ce moment chez nous. Nous formons en ce moment des gamins pour intégrer des centres de formations en Europe… C’est grave!
Africafoot.com : Si vous ramenez des footballeurs ghanéens, par exemple, compte tenu de la différence de niveau de vie entre ces deux pays cela ne devrait pas poser de problèmes ?
Théophile Abéga : Oui, c’est certain. Sachez toutefois qu’il y a déjà des footballeurs ghanéens qui jouent dans le championnat camerounais, et aussi des Libériens. Aujourd’hui le football camerounais a de quoi les payer, même si cela n’a pas de commune mesure avec l’Europe. C’est très raisonnable, compte tenu du niveau de vie. Mais, je vous le répète, il y a au Cameroun de très bons footballeurs, mais qui malheureusement pour notre pays ont tendance à aller trop vite en Europe. Il faudrait freiner cette évolution pour avoir au niveau continental de bons footballeurs susceptibles d’apporter le résultat, et de faire du spectacle.
Africafoot.com : Pour conclure cet entretien, nous tenons une nouvelle fois à vous féliciter pour ce titre de Champion du Cameroun.
Théophile Abéga : Merci beaucoup, mais pour ma part, je tiens à féliciter mes joueurs et mon encadrement qui ont permis que le Canon de Yaoundé revienne sur le devant de la scène. J’invite aussi les supporters du club, qu’ils se trouvent sur le territoire national ou à l’extérieur, à apporter leur contribution matérielle, et même humaine, pour que le Canon puisse atteindre ses objectifs futurs. La porte est ouverte à toute bonne action qui ne pourra que nous être bénéfique. J’espère que nous allons vite retrouver le haut niveau, et que le Canon retrouvera le chemin de la gloire d’antan. Le chemin sera certes difficile, mais ce n’est pas chose impossible au vu du nom qui est le nôtre et de notre histoire dans ce domaine. Les hommes passent et le Canon lui, sera toujours là. Nous devons penser à cela et tout faire pour mener à bien notre mission qui est celle de remettre le Canon sur les rails. Après, c’est le destin qui nous guidera.
Africafoot.com : Nous pouvons donc dire que vous venez de signer là, le retour du Canon sur la scène du football africain…
Théophile Abéga : I think that the Canon is back ! Mais n’oublions pas que le travail, rien que le travail, nous donnera la clef du succès.
Prénom : Théophile
Nom : Abéga Mbida
Date de Naissance : le 09/07/54
Lieu : Nkomo.
Nationalité : Camerounais
Statut : Président du Canon de Yaoundé
Passé : Ancien capitaine du Canon et des « Lions Indomptables »
Clubs successifs : Colombe de Sangmélima, Lion de Yaoundé
1974-84 : Canon de Yaoundé
1984-85 : Toulouse (France)
1985-87 : Vevey (Suisse)
1ère Sélection : 1976 (Congo amical)
Palmarès : Champion du Cameroun 1977,79,82
Vainqueur Coupe du Cameroun 1976
Vainqueur Coupe des Clubs Champions 1978,1980
Vainqueur Coupe des Coupes 1979.
Ballon d’Or Africain 1984.
Participation Coupe du Monde 1982 (3 matchs, O but)
Participation CAN 1982 (3 matchs/0b)
Vainqueur CAN 1984 : (5 matchs /3 buts)
Finaliste CAN 1986 : (1 match /0)