Retrouvé mort à son domicile samedi dernier, Valéry Mézague a quitté un monde du football triste et endeuillé. Sept fois international, le milieu camerounais a vu son destin doré basculer à la suite d’un terrible accident, qui lui aura volé sa carrière et son talent, mais pas sa joie de vivre.
Ce 31 juillet 2003, Valéry a pris sa voiture dans les environs de Marseille. C’était un jeudi, il était presque minuit. Un peu fatigué, il a roulé à vive allure sur une route à quatre voies, au rythme cadencé des lumières qui défilent. Ses pensées se sont perdues, ses yeux ont vagabondé. Auparavant régulier, l’éclairage blafard des néons a commencé à s’espacer. Petit à petit, sa vue s’est brouillée pour ne plus former qu’un tableau impressionniste, où la lumière s’est soudain teintée de noir. La suite, c’est un monde de pénombre et d’obscurité, une sensation de vide et de flottement, un entre-deux incertain entre la vie et la mort. Après trois jours de coma, Valéry s’est finalement réveillé dans un lit de l’hôpital Nord, affaibli par un grave traumatisme crânien. Les médecins lui ont expliqué qu’il s’était assoupi au volant de sa berline et avait eu un terrible accident, dont il garderait des séquelles à jamais. À tout juste 19 ans, son destin si prometteur venait de basculer.
« J’étais sur un nuage »
À la vérité, présenter la vie du footballeur camerounais revient à raconter deux fables bien distinctes. « Il y a eu deux Valéry Mézague » confirme son ancien ami Omar Daf, qui l’a longtemps pris sous son aile au FC Sochaux : « Le joueur avant l’accident et le joueur après. » La première partie du conte rapporte l’histoire d’une ascension précoce et fulgurante. Né à Marseille en décembre 1983, Valéry découvre le football à tout juste six ans. « Mon père jouait à l’US camerounaise de Marseille et j’allais souvent le voir jouer. J’y ai finalement passé trois années. À l’époque, j’étais attaquant et je marquais beaucoup de buts », expliquait le principal intéressé, bientôt recruté par un autre club de la ville, le Burel FC, qui l’installe au poste de libéro. De par sa qualité technique supérieure et sa propension à dribbler dans la surface de réparation, il y acquiert le surnom flatteur de « Laurent Noir ». Très vite, son talent indéniable crève l’écran. En claquant un doublé lors d’une compétition de jeunes, Valéry impressionne Roger Milla, qui le recrute à Montpellier à tout juste quinze ans, en bon compatriote.
La suite, comme il le reconnaissait lui-même, est allée très vite. Le jeune espoir dispute son premier match professionnel à 17 ans, contre Sète en Coupe de France. Deux ans plus tard, pour sa première titularisation en Ligue 1, il marque un but contre l’OGC Nice qui confirme son immense potentiel. Lancé à toute vitesse vers les sommets, le joueur savoure sa mise en orbite. « Je ne réalisais pas ce qui m’arrivait. J’étais un peu sur un nuage, mes potes du centre me chambrent encore aujourd’hui en me disant que je me la pétais… Après, tout s’est bien enchaîné avec deux buts face à Strasbourg, la médiatisation, la sélection camerounaise, la Coupe des confédérations. C’était, pour moi, la récompense d’un long travail et de beaucoup de sacrifices. » À tout juste 19 ans, Valéry est un prodige, pour lequel France et Cameroun s’écharpent. En mars 2003, il est convoqué chez les Espoirs tricolores, mais opte finalement pour la sélection camerounaise. « Quand il a choisi le Cameroun, ça a fait un drame, c’était un très bon joueur que tout le monde voulait », se souvient Jean-Claude Plessis, son ancien président à Sochaux, qui a du mal à en « parler au passé ».
« Au fond de lui, il espérait autre chose »
Retenu pour la Coupe des confédérations, le milieu relayeur participe au magnifique tournoi des Lions indomptables, seulement battus par la France en finale. Ironie sordide de l’histoire, lors de la demi-finale face à la Colombie, c’est lui, Valéry Mézague, qui remplace le regretté Marc-Vivien Foé, qui vient de s’écrouler sans vie sur la pelouse de Gerland. Un peu comme si Mézague côtoyait pour la première fois la mort en direct. Un mois plus tard, celle-ci lui rend visite en personne. « Sa force physique et mentale lui a permis de surmonter cette épreuve, explique Rudy Riou, son ancien partenaire à Montpellier. J’étais allé le voir à l’hôpital, il m’a expliqué qu’il avait eu un coup de fatigue dans une ligne droite. Il n’avait pas bu d’alcool, il rentrait voir sa famille, l’accident bête. C’était difficile de revenir pour lui, mais il y est quand même arrivé. » Après six mois de convalescence, Valéry revient en effet sur les terrains, conscient de sa chance. Malgré ses efforts, il ne retrouvera pourtant jamais la totalité de ses capacités. « Il était diminué. Parfois, sur le terrain, il avait des absences, il déconnectait du match, comme s’il était ailleurs », témoigne Jean-Claude Plessis, bientôt rejoint par Frédéric Sammaritano, qui l’a côtoyé pendant une saison à Vannes : « Cela durait quelques secondes. Quand on jouait au poker dans le bus, on sentait des moments de flottement, comme s’il n’était plus tout à fait avec nous. »
Très instable, la suite de sa carrière témoigne de ses difficultés à revenir au plus haut niveau. Jamais au même endroit pendant deux saisons d’affilée, le milieu de terrain connaît de nombreuses déceptions. Après un prêt à Portsmouth, où il ne dispute que 14 matchs dans la saison, Valéry prend la direction du FC Sochaux. « On arrive à se maintenir, mais l’entraîneur Dominique Bijotat est limogé, expliquait-il avec amertume en 2007 : Ensuite, Alain Perrin est arrivé et ça s’est mal passé, j’ai connu une saison noire. L’équipe marchait bien et avait des résultats sans moi. Comme on dit, on ne change pas une équipe qui gagne. » S’il participe à la fête de la Coupe de France, brillamment remportée par les Doubistes cette année-là, le cœur n’y est pas. Ce que Valéry veut, c’est du temps de jeu, pour chasser un passé qui le hante. « C’était quelqu’un qui me fascinait un peu. Il a eu la capacité mentale de revenir pour faire une belle petite carrière, mais au fond de lui, je pense qu’il espérait autre chose », estime Julien Cordonnier, son ancien capitaine à Châteauroux. « C’était quelqu’un qui avait besoin de faire voir son importance, il avait un besoin de reconnaissance assez fort. Il était très perfectionniste et donnait des conseils sans arrêt à l’entraînement. »
Parcours hors-norme et au destin accidenté
Après son échec à Sochaux, Valéry Mézague rebondit brillamment au Havre, où il termine champion de Ligue 2. Ses performances remarquées lui permettent de retrouver la sélection camerounaise, longtemps inespérée. Par bribes, on croit alors retrouver le joueur qu’il a été. « Il amenait de la puissance et de l’intelligence dans l’entrejeu », se souvient avec admiration Michael Isabey, quand Frédéric Sammaritano loue « un joueur doué balle au pied, avec un gros volume de jeu. Il était très généreux dans l’effort, il ne trichait jamais ». La parenthèse normande refermée, Valéry Mézague connaît ensuite des expériences mitigées à Châteauroux et Vannes, avant deux tentatives complètement ratées à l’étranger, au Panetolikos et au Bury FC. Après plus d’un an sans jouer, il s’engage finalement avec le Sporting Toulon en CFA2, pour retrouver le plaisir des terrains. Il n’en aura pas beaucoup l’occasion. Retrouvé sans vie à son domicile, où aucun signe de violence n’a été constaté, Valéry Mézague a finalement rendu l’âme sans retour possible. Les réactions n’ont pas tardé à affluer sur les réseaux sociaux, afin de rendre hommage à un joueur au parcours hors-norme et au destin accidenté.
Forcément, derrière le footballeur, se cache l’homme, encore plus apprécié. Tous ceux qui l’ont côtoyé encensent une personnalité attachante et pleine de charme, bien que discrète et introvertie. « C’était quelqu’un de très agréable qui véhiculait une vraie joie de vivre, se rappelle Omar Daf avec émotion. Je me souviendrai toujours de son sourire… Quelles que soient les circonstances, il n’a jamais changé. » Quand Julien Cordonnier évoque « un mec exemplaire, qui se donnait toujours à 100% pour le club », Frédéric Samaritanno garde, lui, l’image d’un homme « toujours positif malgré les déboires ». Avant d’étayer au téléphone le fond de sa pensée : « Un jour, on s’était bien engueulés tous les deux pour tirer un coup franc contre Strasbourg. Finalement, c’est moi qui le tire et j’envoie une frappe pourrie largement au-dessus. Derrière, sa première réaction a été de m’encourager. C’était à son image. » La voix triste et lancinante, le journaliste de L’Est Républicain Sébastien Daucourt poursuit l’éloge unanime : « Quand il jouait à Sochaux, il y avait une gamine de 12 ou 13 ans qui l’adorait, c’était son joueur préféré. Quand il est parti du club, ils sont restés en contact via ses parents. Il leur envoyait souvent des places pour aller voir ses matchs à Vannes ou à Châteauroux. C’était quelqu’un de très fidèle. »
« Je veux simplement profiter »
Au travers de différentes interviews dans le Doubs, le journaliste de L’Est Républicain a tissé avec le Camerounais une véritable relation d’amitié. « Il y a tellement à dire. On parlait souvent de la vie en général, de tout et de rien. Il évoquait rarement son accident, mais un jour je lui ai demandé s’il voyait la vie autrement depuis son crash. Sa réponse, je m’en souviens encore : « Cet accident, si personne ne m’en parlait, je l’aurais déjà effacé de ma mémoire. Je suis passé à autre chose. Je veux simplement profiter de la vie et de chaque instant. » » Fauché en pleine force de l’âge, à tout juste 30 ans, Valéry Mézague laisse derrière lui une famille endeuillée et un jeune frère nommé Teddy, lui aussi professionnel en Belgique. Bientôt rapatrié, son corps sera enterré au Cameroun, aux côtés de sa famille. Pas encore dévoilée, l’autopsie devrait quant à elle éclaircir les causes du décès. Elle ne dira cependant rien sur la force de caractère d’un homme qui aura cru jusqu’au bout à son destin, le sourire aux lèvres. « Parmi tous les footballeurs que j’ai côtoyés, son souvenir restera gravé », conclut Sébastien Daucourt, qui n’a pas pu écrire l’article sur la disparition de Valéry dans ses colonnes. « Sans tomber dans le pathos, j’ai pleuré comme si j’avais 12 ans. On dit communément que les meilleurs partent en premier. Cela me fait chier qu’il ait prouvé que ce soit vrai. »
Par Christophe Gleizes