Il y a deux semaines, au hasard de mon travail quotidien, je m’aperçois que parmi les matchs de la douzième journée de championnat national de football camerounais, figure un duel entre Canon de Yaoundé et Union de Douala.
Canon – Union ! Une affiche qui fleure bon les années 70-80, lorsque ces deux clubs dominaient à la fois le foot national et continental. En une grosse décennie (1976-1986), les deux clubs ont remporté trois Coupes d’Afrique des clubs champions (1978, 1980 pour Canon, 1979 pour Union), deux Coupes des vainqueurs de coupe (1979 pour Canon, 1981 pour l’Union), huit championnats (1977, 79, 80, 82, 85, 86 pour Canon, 1976, 78 pour l’Union). Le tout sans compter les quatre finales de la Coupe du Cameroun qui en ont rajouté à la légende de ce derby (1978,80, 83, 85). La dernière finale Canon-Union, télévisée, est entrée dans les annales de l’histoire du petit écran au Cameroun.
Canon – Union. Yaoundé contre Douala, l’Etat (les sociétaires du Canon étaient souvent recrutés dans les sociétés d’Etat) contre les commerçants de Douala. Même les plus acharnés de la segmentation ethnique du Cameroun y trouvaient leur compte avec une Union bami contre un Canon représentant Mvog-Ada ou le « reste du pays ». Les villes du Cameroun, les établissements scolaires se partageaient entre les deux clubs, que même ceux qui avaient une équipe préférée en dehors de ces deux, suivaient avec passion. Chacune des rencontres, relayées à souhait par les médias, donnait l’occasion aux clubs de supporters d’animer la ville et de mobiliser les troupes, pour des rencontres qui remplissaient les tribunes à la fois des stades Ahmadou Ahidjo(Yaoundé) et de la Réunification (Douala).
Canon – Union. Les moins de vingt ans ne peuvent pas forcément comprendre ce que cette rencontre représentait pour les Camerounais. Une affiche incontournable, mieux « un clasico » comme on dirait aujourd’hui. A l’image de Barcelone – Real Madrid, de Paris SG – Marseille (depuis les années 90), des derbys de Liverpool, Londres, Milan, Athènes ou Istanbul. Mais alors que ces autres se sont internationalisés et fédèrent chaque année d’avantage de fidèles, le clasico camerounais a perdu de sa superbe et se trouve programmé, en même temps qu’un match des Lions Indomptables qui jouaient ce jour en Ukraine. Pourquoi ?
Se poser la question, c’est quelque part, revisiter la longue descente aux enfers de notre football, qui n’a pas pu s’adapter aux évolutions du sport de haut niveau. Là où ces clubs ont produit quatre Ballons d’or africains, l’essentiel des équipes de la Coupe du monde 1982, et des CAN 1984 et 1986, aujourd’hui, ils peinent à retenir des joueurs auteurs de dix bons matchs. Là où ce match faisait 90-100 millions de recettes (en francs CFA non dévalués, et au coût de vie de l’époque), aujourd’hui on est dans la marge d’erreur. A qui la faute? Certainement à tous.
Aux clubs d’abord, qui n’ont pas su capitaliser leur aura en la transformant en un outil industriel de spectacle. Avec tous ces titres, aucun de ces clubs n’a serait-ce qu’un début, une fondation d’installations propres. Tout Canon qu’il est, le club aux 10 titres de champion, aux dix Coupes du Cameroun s’entraîne toujours au stade « Malien », sorte de terrain vague honteux pour un club de cette dimension. L’Union ne fait pas mieux. Pourtant, sans aller jusqu’aux installations des clubs européens ou des clubs du Maghreb (sans commune mesure), le Djoliba (Mali), l’ASEC d’Abidjan, le Jaaraf (Sénégal) ont des installations qui leur sont propres et qui permettent de faire du développement.
A la programmation ensuite. Le calendrier international est connu et les dates des rencontres internationales déterminées jusqu’en 2018, ce qui laisse de la marge pour créer deux rendez-vous. Des dates fixées longtemps à l’avance, qui permettraient aux supporters, aux médias, voire même au sponsor-titre de la compétition d’organise , d’accompagner les 90 minutes pour en faire une véritable fête. Le clasico avait été fixé avant Noël jusqu’à ce qu’un trop plein de Real – Barça en 2011 avec une finale de Coupe du Roi, deux demi-finales de Ligue des champions et le match de championnat ne modifient la donne. Paris SG – Marseille et Marseille – PSG sont cochés sur les agendas de tous les diffuseurs dès la détermination du calendrier. On pourrait donc le faire, mais encore faudrait-il que les clubs aient les structures pour accompagner cette organisation opérationnelle.
Au législateur certainement. Le sport camerounais est encadré juridiquement par la loi de 1996, modifiée légèrement en 2011. En d’autres termes, avant les lois Bosman, Malaja et autres Raouaroua qui ont en ont complètement modifié la composition et l’organisation. Le Cameroun a assisté sans un regard au départ de ses meilleurs éléments dans un premier temps, mais aussi ensuite à ceux qu’on nomme souvent ses « bons joueurs championnat ». Et c’est ça le plus grave, parce que si les meilleurs joueurs ont vocation à évoluer dans les meilleurs clubs, donc dans les championnats majeurs, des joueurs de bon niveau, sans avoir forcément le niveau international, donnent du liant à ces équipes. Autrement dit, le football camerounais gagnerait à chercher des solutions pérennes pour que des joueurs évoluent au Cameroun plutôt que dans des divisions inférieures d’Europe ou des destinations exotiques d’Asie, voire pire aux portes de Paris.
Tous ces points auraient dû être débattus ou au moins évoqués avec l’élection du bureau exécutif de la Fecafoot. Quid d’un bon championnat local? Quel statut et quelle retraite pour le joueur de haut niveau ? Comment rattraper le retard accumulé depuis des années ? Le football d’un pays ne se jauge pas seulement à l’aune des résultats de sa sélection nationale. L’Angleterre n’a rien gagné depuis 1966, et pourtant ça ne l’empêche pas de disposer de quatre divisions professionnelles, qui font le bonheur des supporters. Entre 1986 et 1998, l’équipe de France ne participe pas à la Coupe du monde, mais c’est à ce moment que ses clubs lui assurent une présence continue aux premières places européennes… Au Cameroun, les discussions se sont cantonnées aux articles 4, 17 des statuts de la fédération, aux compétences de nos juridictions nationales par rapport à l’international ou à des problèmes de personnes.
Le football, le monde ont changé et le Cameroun a besoin aujourd’hui d’un électro-choc, d’une nouvelle façon de penser. Mais qui ne peut pas venir de ceux qui n’ont rien proposé ou tout simplement échoué. Echoué à professionnaliser les structures, échoué à amener notre football vers le 21ème siècle. C’est un travail de longue haleine, beaucoup plus compliqué que de venir vociférer sur les plateaux télé, dont le pays a besoin. Canon et Union sont les clubs qui ont le plus profité de la réforme de 1972, consécutive à l’humiliation qu’a été la CAN au Cameroun. Mais, cette époque a vécu, emportée par la mondialisation de l’activité sportive. De nouveaux schémas, une nouvelle façon de pratiquer le foot doit être pensée, pour que des jeunes aux quatre coins du Cameroun puissent vivre de leur passion sans avoir à partir. Ils doivent pouvoir revenir en cas d’insuccès. Aujourd’hui considéré comme le meilleur défenseur du monde, Thiago Silva a échoué dans sa première tentative européenne entre 2006 et 2008. Il a pu se relancer au pays dans un championnat compétitif et revenir plus fort. Qu’aurait fait un Camerounais dans le même cas ? Un tour sur les terrains de foot aux portes de Paris suffit pour nous donner une réponse à cette question.