Pour la deuxième fois en trois ans, un comité de normalisation a été nommé à la Fédération camerounaise de football. On peut d’emblée observer que la Normalisation n’est qu’une phase transitoire dans la gouvernance du football camerounais. Toujours est-il que pour donner à ce football des fondements juridiques solides, les hommes en charge du comité à pied d’œuvre devront abattre en six mois un travail digne du héros de la mythologie.
Bien que reconnu comme un avocat aux états de service patents, le président du Comité de normalisation de la FECAFOOT continue d’être perçu par beaucoup comme un intrus, question football s’entend, dans un pays où l’univers du ballon rond et tout ce qui l’entoure est devenu si opaque au point d’être l’affaire de quelques « initiés » triés sur le volet. Déjà, certaines voix s’élèvent pour remettre en question la légitimité au nom d’un supposé déficit d’expertise ou d’expérience, en rappelant à l’envie que le football « doit revenir aux footballeurs ». Soit. Mais un footballeur de talent fait-il nécessairement un bon manager ? Un rassembleur ? Un meneur d’hommes ? C’est à voir et des tas d’exemples sont là pour le démontrer.
On mesure dès lors la taille des défis à relever par « l’équipe Happi » qui doit batailler à la fois contre les préjugés tenaces, les pesanteurs internes et les contraintes externes. Déjà, partir du fin fond du Septentrion pour occuper provisoirement le siège libéré par Tombi A Roko et Cie n’était pas un mince exploit pour ne nouveau patron. D’autres batailles attendent la nouvelle équipe qui a pour obligation de réussir là où ses prédécesseurs ont laissé une impression plus que mitigée.
Le chantier qui attend la nouvelle équipe est immense et n’autorise ni tergiversations, ni perte de temps. Au rang des priorités, figurent plusieurs dossiers dont l’urgence est signalée. On peut les regrouper en sept gros lots.
Affaires courantes
- La gestion des affaires courantes de la Fédération. C’est l’une des missions prioritaires assignées au Comité dès sa nomination par la FIFA Fa. Cela signifie que pour la durée de son mandat, le président du Comité agira au nom de la Fédération dans tous les domaines où sa compétence est requise. Qu’il s’agisse de la gestion du personnel, du management des équipes nationales, du suivi des chantiers, etc.
- La réécriture des textes pour doter la Fédération des nouveaux statuts mieux adaptés pour plus d’équité et de transparence lors des prochaines élections sur le double plan régional et national. Dans cet exercice qui a fait tant de mal dans le passé, il faudrait éviter des formules-pièges qui pourraient s’avérer nocives pour la suite.
- s’entourer d’un personnel dévoué et compétent trié sur le volet pour accomplir ses missions, tant il est vrai que l’équipe restreinte des 5 personnes ne peut pas faire tout seul un boulot colossal. Il pourra recruter au besoin du personnel supplémentaire mais uniquement si la nécessité de fait vraiment ressentir. Connaissant l’activisme de certains de nos compatriotes, on imagine le flot des laudateurs qui proposent déjà leurs services, plus préoccupés par leurs intérêts propres que par ceux du football. Sans doute prévenu, le président devrait s’appuyer en priorité sur ses proches collaborateurs sans fermer pour autant la porte à d’autres contributions pourvu qu’elles soient constructives et désintéressées, autant que possible.
- Suivi des sélections nationales. Elles sont engagées en compétition internationale sur plusieurs fronts et dans plusieurs catégories (-17 ans, -20 ans…). Une attention soutenue devra être accordée à l’équipe fanion récemment éliminée de la course pour la Coupe du monde Russie 2018 et qui sera bientôt confrontée aux rendez-vous dans le cadre des éliminatoires de la CAN 2019. Les prochains matchs seront sans enjeu mais peuvent servir pour reconfigurer l’effectif, asseoir la cohésion du groupe et peaufiner les schémas tactiques.
- L’avenir du sélectionneur Hugo Broos devrait également interpeller le comité de normalisation. Ici, deux thèses s’opposent. Pour certains, le technicien belge n’a plus de place puisqu’il a été nommé par un exécutif illégitime. Par ailleurs, le moment semble propice pour désigner un nouveau coach. Pour d’autres au contraire, Broos peut rester parce qu’il a fait du résultat (CAN 2017) mais il mérite d’être mieux discipliné et encadré pour éviter les dérapages verbaux et les démêlés avec certains joueurs.
- Préparation de la CAN 2019 que va accueillir le Cameroun. Même si le dossier crucial des infrastructures (stades, routes, télécommunications, hébergement….) incombent prioritairement à l’Etat et au secteur privé, la FECAFOOT demeure le deuxième maillon en importance de la chaine des responsabilités et doit avoir par conséquent un œil vigilant sur l’état d’avancement des différents chantiers. Il n’est pas exclu par ailleurs que la représentativité de la Fédération dans les divers comités locaux de préparation crées par le Ministère des Sports soit revue et corrigée à l’instigation de la nouvelle équipe. A moins qu’elle accepte de faire profil bas pour ne pas s’aliéner certains soutiens de poids. On peut aussi s’interroger sur les conditions de suivi des travaux de construction de l’immeuble-siège de la FECAFOOT actuellement à l’arrêt.
- Mettre progressivement en place les dispositifs en vue de favoriser la tenue le moment venu et dans des conditions d’équité et de transparence, des différentes assemblées électives, tant au niveau des départements qu’au niveau national. En veillant notamment à ce que le système de « un homme, une voix » soit respecté pour éviter toute surreprésentation préjudiciable aux uns et aux autres.
Comptables devant l’histoire
Visiblement, le programme est assez vaste dans un délai relativement court. Le nouveau président et son équipe seront-ils à la hauteur des défis qui les attendent ? Pour l’instant, rien ne permet de douter de leurs capacités d’action. On peut leur accorder le bénéfice du doute en se disant qu’ils ne se retrouvent pas là par hasard et que leurs états de service antérieurs plaident en leur faveur. L’anecdote suivante vaut mieux que tous les éloges : premier « sudiste » à ouvrir en 1985 un cabinet d’avocat dans la toute nouvelle province de l’Extrême-Nord d’alors, Me Dieudonné Happi est apparu aux yeux de certains comme un homme aimant les défis. Premier magistrat à présider le comité de normalisation de la FECAFOOT, il lui revient désormais de rejouer à fond son rôle de pionnier. Toutefois, il y a fort à craindre que malgré les bonnes intentions de départ, la Normalisation soit très vite confronté aux dures réalités du terrain et contraint par conséquent d’arbitrer entre le jeu d’intérêts contradictoires. Il faudra nécessairement prendre la mesure des défis qui interpellent le nouvel exécutif, ainsi que de l’étendue et des limites de ses prérogatives étant donné que les missions et obligations ne doivent pas heurter de front les « intérêts » de la tutelle administrative qui doit toutefois agir avec mesure et discrétion, au risque de s’attirer les foudres d’un garde-chiourme nommé FIFA qui veille au grain.
Pour mener à terme son action dans des bonnes conditions, le nouveau président devra garder à l’esprit que les conseils, avis ou instructions reçus ici et là ne constituent pas une fin en soi, qu’il est libre ou non d’en tenir compte, car en définitive, lui seul et son équipe seront comptables à l’heure du bilan.
Les nouveaux hommes forts de Tsinga ont affiché d’emblée leur détermination à travailler avec célérité pour rendre leur copie dans le délai imparti, c’est-à-dire d’ici le 28 février 2018. Par la bouche de son président, la nouvelle structure se refuse par conséquent toute prolongation de son mandat. Peut-on le croire sur parole quand on sait que le précédent comité de normalisation alors présidé par l’universitaire Joseph Owona, agrégé de droit, a bafouillé son sujet, prolongeant à plusieurs reprises le mandat initial avant de quitter un navire dans des eaux peu apaisées. Même sans lui signer un chèque en blanc, rien ne permet dans l’immédiat de douter de la sincérité de cette nouvelle équipe qui n’était pas attendue par beaucoup d’observateurs et qui a intérêt, par conséquent, à se surpasser pour mériter la confiance placée en elle.
Il reste à souhaiter que la grande famille du football et plus particulièrement les principaux partenaires que sont la Ligue, le MINSEP, les présidents de club, les représentants des corps de métier et diverses associations, se donnent la main pour faciliter la tâche aux « normalisateurs ». Pour un retour à plus de sérénité, il reste à souhaiter que des informations concernant des nouvelles poursuites initiées par le fameux camp des contestataires (Abdouraman, Nkou Mvondo et consorts) ainsi que la mauvaise humeur attribuée au président de la Ligue qui aurait été absent à la cérémonie d’installation de la nouvelle équipe, de même que les accointances supposées avec Samuel Eto’o, l’ancien goléador des Lions indomptables, ne sont que des rumeurs sans fondement.
Jusqu’à preuve du contraire, ce comité de normalisation a toujours le bénéfice du doute. Avec comme leitmotiv : travailler vite et bien.
Jean Marie NZEKOUE, Editorialiste