Quart de finaliste du Mondial 1990 avec les Lions Indomptables, Eugène Ekeke a suivi avec tristesse le parcours des hommes de Paul Le Guen, éliminés du Mondial sud-africain sans marquer le moindre point. En exclusivité pour Footafrica365, l’ancien joueur de Valenciennes livre son analyse sans concession de ce fiasco sans précédent.
Eugène, quelle est votre analyse technique après l’élimination des Lions au premier tour du Mondial sud-africain ?
D’une manière un peu plus large, quand je prends les équipes africaines, toutes en dehors du Ghana sont passées à coté de la compétition. Mais la copie camerounaise est la plus mauvaise, parce que tout au long du premier tour, on n’a senti aucune organisation de jeu, aucune préparation. Au contraire, quand on regarde l’équipe du Ghana, on sent que l’organisation est au point, que le jeu collectif a été soigneusement travaillé. Le Cameroun a été catastrophique de ce point de vue-là. Rappelez-vous le match contre le Japon, les ballons étaient balancés à l’emporte-pièce sans aucun style, c’était laid à voir, on ne reconnaissait pas les Lions ! On a pourtant eu le temps de se préparer, les moyens ont été mobilisés. Montrer un tel visage dans ces conditions, c’est grave. Contre le Danemark, les joueurs se sont battus mais c’était beaucoup plus de la volonté que de l’intelligence. Et pour finir, contre les Pays-Bas, quand on regarde la défense camerounaise, c’est encore une défense improvisée, notamment avec des absences de couvertures. On est sans cesse passé d’une défense en zone à une défense à plat sans respect du mode d’emploi de ces différentes animations. C’est dommage.
Comment expliquez-vous ces manquements ?
Nous avons eu suffisamment d’indicateurs, suffisamment d’alertes bien avant. Si nous avions tiré les leçons de la dernière CAN, si nous avions écouté les messages que nous avons eus lors des matches amicaux, on n’en serait pas là aujourd’hui. En Angola, on n’avait pas une bonne défense, aux matches amicaux on a pris 8 buts en 3 matches, soit une moyenne de plus deux buts par match, avec de telles statistiques et en plus une attaque qui ne marque pas, on ne peut prétendre bien voyager. Notre élimination me paraît donc logique.
Sur 23 Lions, un seul amateur, tous les autres étant des professionnels dont un certain Samuel Eto’o fils, qui est l’un des meilleurs attaquant du monde. Il y avait de quoi espérer, non ?
On ne peut pas espérer à partir des individualités ! Dans l’équipe du Cameroun, le collectif était absent et même sur le plan individuel, on a senti un gros déficit de percussion au niveau offensif. Ce qui est une manière d’interpeller les éducateurs par rapport au genre d’attaquant que nous devons former.
Est-ce que l’élimination prématurée du Cameroun n’est pas aussi la conséquence du rajeunissement de l’effectif avec des joueurs recrutés à moins de deux mois du mondial, ce qui aurait posé le problème de cohésion au sein du groupe par exemple ?
Je ne pense pas. Déjà, à la CAN, nous n’avions pas d’équipe type, avec à chaque match un nouveau onze entrant. Que l’entraineur se soit aperçu que sa sélection ne tenait pas la route, on peut le comprendre. Mais, de la CAN au Mondial, il y a eu au moins quatre mois ! Ne me dites pas que durant tout ce temps, l’encadrement technique n’a pas su trouver une équipe type. On a l’impression qu’il a passé son temps à tester les joueurs au lieu de les rôder. On ne vient pas à une Coupe du monde pour expérimenter les jeunes même si on leur reconnait certains talents. Bref, le staff technique a beaucoup tâtonné.
“« Il est temps de faire confiance aux techniciens camerounais »”
Quand on voit les moyens colossaux investis par l’Etat du Cameroun pour cette compétition, on se dit qu’il s’agit d’un véritable gâchis. A qui la faute : à l’entraîneur qui n’a pas su manager son équipe ou à ses employeurs qui lui ont donné carte blanche ?
La faute à nous tous. A Paul Le Guen principalement, parce que cette équipe relevait directement de sa responsabilité, il nous a rassurés quand on avait essayé d’afficher quelques inquiétudes. Il a toujours dit « j’assume » en donnant l’impression qu’il s’avait où il allait. Aux responsables de la communication de la Fécafoot ou du ministère des Sports, qui nous demandaient toujours de laisser le coach tranquille avant de voir. On l’a donc laissé tranquille et aujourd’hui on a vu. On lui a trop laissé carte blanche. Quand Le Guen dit j’assume, il assume quoi ? Il peut assumer les résultats mais la honte, elle est pour nous ! Nous sommes également responsables parce que on a n’a peut être pas assez tiré la sonnette d’alarme. Il y a un certain nombre de choses que nous n’aurions pas dû laisser passer malgré les assurances du coach. Par exemple, s’agissant de la CAN, on ne peut pas préparer une telle compétition en trois jours, alors que des joueurs sont libres et qu’on les a laissés se balader dans différentes villes du Cameroun.
Il est temps de penser à la succession de Le Guen. Avec l’éternelle polémique sur la capacité pour un entraineur de nationalité camerounaise à manger cette sélection. Selon vous, et tenant compte des préjugés, est-il temps de confier cette sélection à un entraineur local ou il faudra continuer à faire confiance aux Européens ?
J’estime qu’il est temps de faire confiance aux techniciens camerounais. Si on avait eu un entraineur de nationalité camerounaise, je ne pense pas qu’il aurait fait pire. Quand je vois ce que font toutes les nations présentes à ce Mondial, avec les entraîneurs issus de leurs pays, je me dis que nous devons cesse de faire des complexes. Cessons de dire qu’un technicien camerounais n’est pas capable de gagner une compétition majeure ! Jean-Paul Akono a gagné les Jeux Olympiques. Donnons-leur l’occasion de montrer ce qu’ils ont dans le ventre, faisons leur confiance.
Mais un local se verra-t-il accorder les mêmes conditions de travail ?
Il appartient aux entraîneurs camerounais d’exiger les mêmes moyens. Il ne faudrait pas, sous prétexte que l’équipe est coachée par un local, on ramène son standing très bas. Plus globalement, au-delà du simple problème du choix du coach, il faut que l’équipe nationale soit entourée d’anciens joueurs qui connaissent bien le football. Aussi bien au niveau de la Fédération qu’à celui du ministère des Sports et de l’Education physique. En cas de dysfonctionnement, l’alerte pourrait ainsi être donnée en temps opportun.
Propos recueillis au Cap par Paul Nana