Chargé de cours à la Faculté des Sciences juridiques et politiques de l’Université de Yaoundé II depuis plusieurs années, président de la Commission d’homologation et de discipline à la Ligue de football professionnel du Cameroun, le Secrétaire permanent du tout nouveau Centre d’études et de recherche en Droit, Economie et Politique du sport (Cerdeps) de l’Uy II, qui a animé une conférence sur la gouvernance sportive mercredi dernier.
Il analyse le contexte hautement stratégique dans lequel se trouve cette Fifa que vient d’hériter Gianni Infantino, le nouvel homme fort de la maison mère du football mondial. Camfoot a rencontré l’éminent universitaire au sortir de ces travaux. Edifiant !
Qu’est ce qui a guidé le choix du thème retenu pour les premières journées du Cerdeps à savoir « gouvernance mondiale du sport : jeux et enjeux » ?
Le Directeur du Cerdeps, Mme Thérèse Atangana Malongué et moi-même, le secrétaire permanent, avec toute l’équipe, avons pensé qu’il était important de réfléchir sur la gouvernance mondiale du sport. Je ne cache pas que le choix du sujet a été alimenté par l’actualité à la Fifa et l’Iaaf. Ces deux affaires ont montré que deux fédérations importantes à l’échelle planétaire étaient concernées par des sérieux problèmes de gouvernance. C’est pourquoi nous avons pensé qu’il était de bon ton dans le cadre des travaux et des réflexions du Cerdeps spécialistes, qu’il était important de convoquer des spécialistes du Droit du sport, de l’économie du sport et de la science politique du Sport pour nous entretenir sur ces questions.
Serait-il maladroit de tenter un rapprochement avec l’actualité pré et post-électorale qui secoue la Fédération camerounaise de football depuis plusieurs mois ?
Nous nous situons là à l’échelle planétaire mais les problèmes de gouvernance qui ont été évoquées peuvent s’apprécier autant au niveau continental qu’au niveau national. Vous savez, la question de la gouvernance sportive, on peut effectivement l’étudier au niveau national pour telle ou telle fédération. Cela dit, nous aurons l’occasion dans nos prochaines activités d’interroger toute la gestion des fédérations nationales quelle que soit les disciplines sportives.
Dans votre exposé, vous avez parlé de la dynamique de disqualification éthique et symbolique de la Fifa. A quoi cela peut-il renvoyer ?
La Fifa a perdu en qualité. Cette perte s’exprime comme un discrédit qui s’explique d’abord au plan éthique. On l’a vu très clairement avec un certain nombre de dénonciations depuis les années 2000 sur l’inconduite des grands oligarques de la Fifa, sur leurs mauvaises manières dans la gestion de cette maison. Des accusations de clientélisme qui ont touché notamment Blatter et certains membres de sa famille notamment sa fille. Les accusations de népotisme, de réseautage concernant les grands dirigeants du système actuel ou ancien. Je fais ici allusion à João Havelange, le prédécesseur de Blatter, Alberto Brondona qui a été longtemps président de la fédération argentine de football et même notre illustre compatriote Issa Hayatou qui a été à tort ou à raison évoqué dans ces fameuses polémiques objet d’une enquête menée par un célèbre journaliste anglais Andrew Jennings. Cette dimension éthique est d’ailleurs à l’origine du dernier scandale qui a ébranlé le monde du football avec les procédures judiciaires et l’intervention du Fbi. On a vu au centre de ce scandale deux grandes figures de la maison mère du football : l’Uruguayen Eugenio Figueredo et le trinidadien Jack Warner. Ce dernier qui a été l’un des grands barons de la Fifa pendant longtemps est présenté pour une raison que nous ignorons, comme le symbole de la pourriture de la Fifa. Est-ce en lien avec son caractère d’Africain-américain ? Nous n’en savons rien.
Est-ce que la guerre des intérêts n’a pas finalement pris le pas sur l’éthique ?
La disqualification symbolique est bien illustrée par ce qui se passe entre mai et juin 2015. En mai 2015, Blatter est réélu dans un climat de contestation générale à l’extérieur de la Fifa avec en toile de fond, une forte contribution largement intéressé de certains médias français. Vous le savez, en critiquant Blatter, il était question de positionner Michel Platini. Blatter est donc réélu mais quelques temps après il démissionne parce que en réalité malgré la procédure de relégitimation, il n’a pas pu maintenir un crédit suffisant pour continuer à gouverner le football mondial. Il y’a eu la pression des grands sponsors notamment des sponsors américains ; ce qui n’est pas un simple fait de hasard.
Faut-il comprendre que la chute de la Fifa vient de son fonctionnement et de ses procédures de gouvernance ?
Il s’agit de l’opacité, du manque de transparence. Si la Fifa perd en qualité, si elle est discréditée, délégitimé, c’est d’abord parce qu’elle est dérégulée. Autrement dit, son système fonctionnel au niveau bureaucratique et managérial n’avance pas avec la plus grande qualité. Ici, il y’a donc une dynamique de disqualification organique et stratégique de la Fifa. Les procédures qui règlent ses relations avec les grands sponsors ne sont pas claires. On ne comprend pas les mécanismes qui conduisent aux contrats d’exclusivité avec Adidas par ci, Mastercard par-là, Coca Cola…On remet en question comment sont gérés les programmes de développement du football à l’instar du projet Goal. Cette disqualification organique est aussi une disqualification stratégique car en réalité lorsque la procédure justicière est activée à la veille du Congrès de la Fifa, ce n’est pas au hasard. Il s’agit précisément pour un certain nombre d’opérateurs de la gouvernance du football mais qui sont à l’extérieur de la Fifa, d’attaquer de manière forte le système central pour le déstabiliser et de la faire tomber. Ce n’est pas donc pour rien qu’un certain nombre de hauts dignitaires issus de la Confédération de football d’Amérique du Sud (Conmebol) seront interpellés lors de ce Congrès. Il s’agit d’une lutte de pouvoir où ceux qui veulent réorienter pour une raison ou pour une autre la Fifa, s’en prennent aux acteurs de cette maison aux fins d’utiliser ceux-ci pour accélérer la chute de la maison Fifa.
Est-ce que suite à cette conjoncture de crises qui a poussé la Fifa à perdre pied, il est encore possible de retrouver son crédit ?
Il y’a une espèce de requalification éthique et symbolique. Vous savez, ce n’est pas pour rien qu’en analyses financières, vous avez un terme qui renvoie à la logique de confiance ; une logique symbolique. Je veux parler du terme « fiduciaire ». La Fifa essaye de reconstituer son crédit en mettant en place un Comité de réformes 2016 et en donnant une certaine capacité d’action au Comité d’audit et de conformité afin que ceux-ci mettent en place les cadres d’une restructuration fondamentale de la gouvernance de la Fifa avec des exigences de transparence, de réédition des comptes… C’est également une volonté de repositionner symboliquement la Fifa comme le centre, le nœud de la gouvernance mondiale du football dont on sait qu’elle se joue aussi dans les Etats, dans les grandes multinationales sportives, dans les grands sponsors.
Entretien avec Christou DOUBENA