Les semaines qui se sont écoulées depuis la mort de son ami et cousin, le Docteur ABÉGA n’ont rien altéré sur sa tristesse et son amertume. Grégoire MBIDA Arantes reste inconsolable. Il a toujours du mal à comprendre comment son ami, à la fleur de l’âge, aussi robuste a pu partir sans crier gare.
Passé par le Canon de Yaoundé, SC Bastia, Angers SCO, USL Dunkerque, Thonon FC, CS Sedan, Canon de Yaoundé et Stade de Bandjoun, Grégoire MBIDA Arantes s’est installé à la fin de sa carrière à Dax en France où il vit toujours. Formidable technicien, un des génies de sa génération, il restera à jamais un des grands artisans de la victoire des Lions Indomptables lors de la CAN 1984.
Il garde toujours un œil attentif sur le football camerounais. Le premier buteur camerounais en coupe du monde contre les champions du monde Italiens et l’immense Dino ZOFF, a profité de son dernier séjour en Suisse et de l’invitation de Samuel ETO’O au match de l’Europa League Young Boys – Anzhi pour m’accorder une longue série d’entretiens.
On en a profité pour aborder son début de carrière, sa participation à la Coupe du monde 1982 en Espagne, la CAN 1984, sa fin de carrière, la place des anciens internationaux, l’état de déliquescence actuel du football camerounais, les conflits ethniques perpétuels qui empêchent la professionnalisation.
Ses débuts avec le Canon de Yaoundé
Comme beaucoup d’internationaux de sa génération, Grégoire Mbida Arantes a fait sa formation au Canon de Yaoundé, le meilleur club du Cameroun. Doté d’un excellent toucher de balle et d’une technique hors du commun, il était un élégant meneur de jeu, peut-être un des meilleurs artistes que le Cameroun ait produits. Né en 1955, il intègre l’équipe première du Canon à partir de 1975 et va enfiler les trophées comme des perles. Avec les Jean-Marie Tsébo, Akono Jean-Paul, Akoa Django, Thomas Nkono, Manga Onguéné, Doumbé Léa, Emana Marco, Mougam Dagobert, Nguéa Jacques, Manga Guy et Théophile Abéga, il assure le spectacle sur tous les stades camerounais et africains. En 1976, il intègre l’équipe nationale, et c’est justement grâce à elle qu’il va se faire un nom.
Le meilleur souvenir de sa carrière
En juin 1982 et les Lions Indomptables du Cameroun participent à leur première phase finale de Coupe du monde en Espagne. Ils héritent d’un groupe difficile, avec l’Italie, la Pologne et le Pérou. Novice à ce niveau, ils ne vont pas être ridicules, grâce à trois matchs nuls contre le Pérou, la Pologne et l’Italie. Lors de ce fameux match contre l’Italie, Mbida Arantes marquera le but le plus important de toute sa carrière de footballeur. A l’évocation du match, il revit le moment : « Depuis le début du tournoi, respectant les consignes de Jean Vincent, nous avions été très défensifs. Après le but italien, nous nous sommes tous regardés et on s’est dit on ne pouvait pas mourir avec notre potentiel. J’engage le ballon avec Roger Milla qui va tout de suite solliciter Abéga. Mais le ballon atterrit sur la tête d’Ibrahim Aoudou qui le prolonge. Alors que Dino Zoff attend le ballon sur sa ligne croyant que la trajectoire était sans danger. Et c’est là que j’anticipe au rebond pour le propulser dans le but italien. Et ce n’est que plus tard que j’ai réalisé l’impact de ce que nous avions réalisé ».
Sa carrière professionnelle
Sa belle prestation en Coupe du monde lui permet de se révéler aux yeux du monde entier et de décrocher un contrat professionnel à Bastia. Sur l’Île de Beauté il croisera des joueurs comme Charles Orlanducci, Pierrick Hiard, Zdravko Borovnica, Roger Milla, Alberto Tarantini, Daniel Solsona et Jacques Zimako. A la fin de la deuxième saison, il doit aller à la CAN qui se déroule en Côte d’Ivoire. Son club le retient et ne veut rien entendre. C’est finalement à la veille du premier match contre l’Egypte qu’il débarque à Abidjan, directement intégré par les entraineurs Rade OGNANOVIC et Jean-Michel NDJELEZECK. Le Cameroun va remporter la compétition face au Nigéria, après avoir sorti l’Algérie dans un match mémorable. A son retour, une lettre de licenciement est prête sur la table de son Président. Heureusement, un coup de fil d’Issa Hayatou, alors Président de la FECAFOOT remettra les choses dans l’ordre. La suite de sa carrière professionnelle sera plombée par des blessures à répétition jusqu’à la fin.
Sa plus grande frustration
Disparu de l’équipe nationale depuis la finale de la CAN 1986 en Egypte, Grégoire Mbida Arantes est rappelé par Valeri Nepomniachi dans le cadre des éliminatoires pour la Coupe du Monde 1990. Pour la préparation du dernier match contre la Tunisie 19 novembre 1989, les Lions doivent effectuer leur préparation à Bordeaux. Et comme d’habitude, c’est l’improvisation totale. Aucune disposition n’a été prise. Sur place, un homme d’affaire français, fan des Lions, époux d’une compatriote et connaissance de Mbida Arantes accorde des facilités à l’équipe pendant tout le séjour. A la fin du stage, ayant averti Manga Onguéné que la délégation ne pouvait pas partir sans dire merci au couple, il y alla avec Benjamin Massing. A leur retour, les deux compères sont exclus de la délégation, et personne ne pris leur défense, y compris ceux qui savaient où ils étaient. Mbida Arantes plaida pour Massing qui n’est qu’en début de carrière. Et c’est ainsi que qu’il ratera la Coupe du monde 1990 en Italie et ne remettra plus le maillot des Lions Indomptables.
La place des anciens internationaux dans le football camerounais
Mbida Arantes a toujours beaucoup de mal à comprendre comment on peut ne pas prendre au sérieux le football, qui a pourtant sorti le Cameroun de l’ombre et qui l’a révélé aux yeux du monde entier. En attendant de faire mieux dans d’autres secteurs, il devient urgent de travailler sur des ruines de ce qui en reste. Sur la place des anciens internationaux dans le football camerounais, il regrette que les dirigeants actuels ne fassent pas appel à l’expertise de ceux qui ont fait leurs preuves. Il prend l’exemple de l’Allemagne où la quasi totalité des anciens joueurs occupent des postes à la fédération et dans des clubs. En même temps, il n’est pas naïf pour penser qu’il suffit d’être ancien joueur pour réclamer des postes de responsabilité. Il faut avoir les compétences et parmi les anciens, beaucoup les ont. C’est pourquoi ses anciens compagnons et lui doivent être plus soudés, donner un peu plus de la voix et faire des propositions.
Compte tenu des spécificités du Cameroun, de ses composantes ethniques, sa mentalité, de la pratique de l’équilibre régional, la nomination d’un entraineur local suppose quelques préalables. Il faut s’appliquer sur les méthodes et les critères de désignation, faire un appel d’offre, créer une commission d’expert et des professionnels du football, traiter les candidatures en fonction du profil recherché, mais surtout mettre à la disposition de l’entraineur local les mêmes moyens qu’à un européen.
La formation au Cameroun
Il explique que le championnat national est l’avenir de notre équipe nationale et de notre football, car sans un championnat de bonne qualité, l’équipe nationale va vers une mort certaine, par défaut de relève solide. C’est pourquoi nous devons y réfléchir. Ce n’est pas parce qu’on a réuni des jeunes à Nkolndongo ou à Bonaoussadi qui jouent au ballon qu’on a un centre de formation. La formation des jeunes c’est des structures, des moyens, une éducation, un championnat bien organisé. Très peu remplissent les conditions nécessaires pour porter le nom d’académie, à quelques exceptions près. Tous les joueurs de notre époque ont eu pour tremplin le championnat national. Il a forgé l’esprit d’équipe. Nous avions un groupe formé de joueurs parfois venant du même club. Quand on regarde l’équipe de 1982, il y’avait sept joueurs du Canon de Yaoundé, cinq joueurs de l’Union de Douala, deux du Tonnerre de Yaoundé, deux de Dynamo et cinq professionnels dont Kaham, Aoudou qui étaient des anciens du Canon de Yaoundé plus Tokoto, Milla et Paul Bahoken. Aujourd’hui les équipes sont composées d’individualités sans passé commun et dans le jeu, ça saute aux yeux.
« De Tokoto à Roger Milla, de Thomas Nkono à Joseph Antoine Bell, nous portions tous une empreinte du terroir, idem pour la génération 90, et aujourd’hui qu’est-ce qu’on voit ? Des managers qui envoient des enfants à la casse en Europe sans la formation nécessaire. Il ne suffit pas d’aller dans un centre de formation pour réussir comme pro et encore moins comme international. Ces jeunes une fois partis du pays, n’ont plus de suivi. Personne ne se soucie de leur devenir. Ils se retrouvent parfois dans des championnats de seconde zone, voir d’un niveau plus bas que le championnat du Cameroun. Nous devons avoir un passage obligatoire par nos championnats d’élite pour juger du niveau de la formation. Elle sera bénéfique pour l’émulation des jeunes dans leur milieu naturel et un environnement familial adéquat, malgré les difficultés économiques ».
Ses relations dans le milieu de football
De sa génération, Mbida Arantes dit avoir conservé des relations particulières avec l’Ambassadeur Roger Milla, Ibrahim Aoudou, Doumbé Léa, Joseph Antoine Bell dont on dit parfois proche de dans sa vision des choses, Théophile Abéga et Emana Marco dont les disparitions le marquent encore. Il parle aussi très affectueusement de Benjamin Massing et d’André Kana Biyik qu’il considère toujours comme ses « petits frères », de Geremi Njitap dont il affectionne beaucoup le tempérament réservé, et de Samuel Eto’o dont il est très proche.
Les conflits de générations au cœur des Lions Indomptables
Vous imaginez bien que je n’ai pas pu m’empêcher de lui poser la question sur les clans à son époque, et de cette légende qui voudrait que les joueurs du Canon aient juré d’avoir la peau d’Eugène Ekoulé au sein de l’équipe nationale. A l’évocation, Mbida Arantes s’est marré pendant longtemps, avant de m’expliquer qu’il s’agit juste d’une mythologie qui prend corps à force d’être répétée. Il explique que tous les joueurs de sa génération avaient fait leurs preuves. On savait qui était capable de quoi, et la hiérarchie ne se discutait pas. Lui par exemple, savait que lorsque Tokoto était présent, il devait attendre. Il n’est devenu titulaire incontestable qu’en 1981. Et Joseph Kamga qui jouait au même poste, malgré son talent, attendait sans faire de vagues.
En ce qui concerne Eugène Ekoulé, Mbida Arantes m’explique que malgré un talent que personne ne peut nier, il n’a tout simplement pas pu s’imposer à l’équipe nationale. La légende qui veut que ce soit à cause des milieux de terrain qui étaient tous du Canon est fausse. La preuve, Jean Manga Onguéné qui était pourtant du Canon n’a jamais été titulaire dans les Lions pour une grande compétition (et c’est là que je me suis replongé dans les archives pour voir que Manga n’a en fait jamais été titulaire avec les Lions). Or il y’avait aucune raison que les joueurs du Canon privilégient Roger Milla, qui était lui, au Tonnerre. « Les conflits de personne ne servent pas les intérêts du football. Pour ce qui est des lions indomptables du Cameroun, il faut ramener du calme et de la tolérance au sein de cette équipe. Nous les anciens, on doit être présents certes, mais sans faire ombre aux jeunes, car la génération en place ne doit pas se sentir étouffée par la présence des anciens. On gagnera à coopérer pour servir la nation », conclut-il.
Claude KANA, Consultant.