Le Cameroun ne disputera donc pas la coupe du monde pour la huitième fois. Au-delà de son côté pathétique, la prestation calamiteuse face au Nigeria relance le débat sur le niveau réel et la compétitivité des Lions dans un environnement qui peine à être « normalisé ».
Cinq buts encaissés pour un seul marqué en deux rencontres face à un adversaire auquel l’oppose une saine rivalité depuis des lustres. Voilà un tableau peu reluisant et qui en dit long sur le fossé qui se creuse chaque jour davantage entre la sélection nationale du Cameroun et d’autres cadors de l’échiquier continental. Sujet alléchant, l’élimination sans gloire du Cameroun de la course pour la Coupe du monde Russie 2018 continue d’alimenter la controverse dans les chaumières. Pour certains, la double confrontation avec le Nigeria s’apparente à un mal pour un bien, puisqu’il a servi de révélateur à une situation moins sereine qu’elle n’en donne l’air. Pour d’autres au contraire, c’est une véritable malédiction qui ouvre un nouveau cycle de descente aux enfers. Plus que l’élimination elle-même, ce sont les conditions dans lesquelles elle est survenue qui interrogent tout observateur sensible à certains signaux inquiétants. On ne fera pas injure à l’équipe du Nigeria en observant qu’elle n’est pas une foudre de guerre. Sortant d’une cuisante défaite face à l’Afrique du Sud à domicile (0-2), absents des deux dernières éditions de la CAN, les Super-Eagles ont largement profité des errances, de l’inconsistance et des cadeaux des Lions indomptables pour remporter sa plus impressionnante victoire depuis des lustres. L’histoire retiendra au final que c’est une équipe en état de convalescence qui a infligé au Cameroun le plus lourd score de toutes les confrontations entre deux équipes. Côté statistiques, quelques faits démontrent les insuffisances d’une sélection camerounaise décidément mal en point. A titre de rappel, les 5 buts encaissés en 48 heures par l’équipe du Cameroun contrastent nettement avec les 3 buts encaissés (hors penalties) lors des 6 rencontres de la CAN 2017 qu’elle avait du reste remportée en marquant 7 buts. En élargissant la comparaison, on se rendra compte que nos champions sont désormais abonnés aux défaites sur des scores larges, avec une moyenne de trois buts encaissés par match comme tout récemment face à la Colombie, au Chili ou à l’Allemagne, soit une vingtaine de buts encaissés en tout. Que s’est-il donc passé pour qu’une équipe jadis réputée pour la solidité de sa défense en soit aujourd’hui à boire la tasse sans broncher ? Voilà un questionnement qui devrait interpeller au plus haut point tous ceux en charge de la gestion de l’équipe nationale de football fanion qui a connu en un laps de temps relativement court une ascension spectaculaire suivie d’une chute retentissante.
Quel « esprit lion » ?
Pour revenir à la prestation des Lions face au Nigeria s’il existe un ou deux formules pour résumer la situation c’est : manque de réalisme et d’efficacité. Et le constat vaut pour tous les matchs disputés ces derniers temps par l’équipe nationale. Mais au-delà de l’élimination elle-même, c’est la trajectoire récente de l’équipe du Cameroun qui inquiète le plus. On avait pensé un peu trop vite que le 5è trophée de la CAN 2017 était la moisson inespérée d’un nouvel d’esprit, le signal d’un nouveau départ fondée sur plus d’altruisme, de solidarité, d’engagement et d’humilité. On croyait dès lors assister à une véritable renaissance à effets durables. Et puis patatras…
Que s’est-il donc passé pour qu’une équipe qui a réussi à se hisser au sommet de la hiérarchie continentale il y a sept mois à peine dégringole aussi vite de son piédestal ? Avant l’autopsie minutieuse du désastre, on peut déjà tirer quelques enseignements. D’abord au niveau de « l’esprit lion » qui a totalement disparu. La déculottée face au Nigeria apparaît comme un véritable révélateur des insuffisances qui minent encore la sélection nationale sur le double plan physique et mental, l’empêchant du coup de confirmer son nouveau statut.
On s’habitue peu à peu à l’image d’une équipe sous hypnose, réagissant par à-coups, avec des joueurs apparemment hors de forme, à court physiquement, au jeu d’une lenteur et d’une lourdeur problématique, laissant le plus souvent l’initiative du jeu à l’adversaire. Les Nigérians dotés d’un bagage technique et d’une vivacité supérieurs ont largement profité de ces graves lacunes pour offrir un récital qu’on n’oubliera pas de sitôt.
La principale faiblesse des Lions c’est leur inconstance en club comme en équipe nationale où l’exploit d’un jour suit la déception du lendemain. La plupart des joueurs titulaires en équipe nationale évoluent dans des clubs de seconde zone (deuxième division en majorité) ou des championnats peu huppés. Certains postes stratégiques comme celui du gardien de but ou les latéraux sont occupés par des éléments non titulaires en club. En dépit de la bonne volonté et des exploits sporadiques, un sportif a besoin d’un temps de jeu minimal pour se maintenir en forme et rester performant sur la durée.
On peut aussi s’interroger sur la gestion expérimentale d’un effectif bouleversé en permanence par un coach visiblement en manque de repères solides. Pour la Coupe des Confédérations, Mabouka est sorti d’un chapeau, a provoqué deux penalties avant de disparaître. Face à la redoutable Colombie en amical, le goal Onana a essuyé un désastre avant de claquer la porte. Lors du match décisif contre le Nigeria, Leuko, Banana, Olinga et Nsamé, convoqués pour la première fois depuis des lustres, ont été titularisés d’entrée, avec le résultat qu’on connaît.
Au-delà du résultat, très sévère au demeurant, la double confrontation avec le Nigeria relance opportunément le débat sur le niveau réel des Lions indomptables. Auréolés de leur nouveau statut, les quintuples champions d’Afrique semblaient désormais transfigurés, au-dessus du lot, transcendant du coup toutes les peurs, toutes les hésitations, toutes les approximations, débarrassés par conséquent de toutes les pesanteurs qui les avaient longtemps maintenus au bas de l’échelle. On les voyait désormais sûrs d’eux-mêmes, fiers, animés par l’inextinguible instinct de domination, conquérants, sans peur et sans reproche. Au final, tout cela n’était qu’illusion tant la réalité crue nous rattrape dans nos rêves éveillés.
Comment rebondir ?
Faut-il pour autant désespérer ? Que non. Ce serait donner du pain béni à tous ceux qui tapis dans l’ombre souhaitent un échec durable des Lions indomptables pour assouvir leurs terribles vengeances. Il faut au contraire se donner les moyens de rebondir. Un champion d’Afrique devrait savoir tenir son rang en toutes circonstances, sauf à nous démontrer qu’on peut gagner le trophée continental le plus prestigieux par le simple fait du hasard. Les lions ont l’obligation de s’extraire de la mauvaise passe actuelle, même si l’environnement immédiat ne prête pas à la sérénité avec cette « normalisation » qui reste encore une grande inconnue malgré la feuille de route de la FIFA. L’absence du Cameroun à la Coupe du monde 2018 peut offrir paradoxalement une belle opportunité pour dépoussiérer et remettre de l’ordre dans la maison Lions afin de repartir du bon pied. Pour ce faire, il ne faudrait pas nécessairement tout remettre à plat ni entamer une nouvelle « reconstruction », mais plutôt passer en revue les ingrédients de l’échec dans la perspective de construire patiemment les victoires futures. On se tromperait de route en voulant démanteler à tout prix l’effectif actuel comme le préconisent certains illuminés. Bien au contraire, il faut maintenir le noyau en le débarrassant certes de certains éléments qui ont fait preuve de leurs limites et en le renforçant au besoin de nouveaux talents qui viendraient suppléer des manquements graves constatés tant en défense, au milieu de terrain qu’en attaque. Ce remodelage passe aussi par un lifting du coaching (pas nécessairement du coach). Hugo Broos a eu le mérite d’oser dans certains choix, d’ouvrir l’équipe aux nouveaux visages, mais il doit procéder avec méthode et discernement pour éviter de s’aventurer dans une éternelle reconstruction.
Pour faire à nouveau vibrer leurs supporters, les lions doivent retrouver l’état d’esprit qui a fait leur force lors de la CAN gabonaise. En mettant au placard l’égo et la suffisance qui commencent à pointer du nez et retrouver au plus vite tout ce qui avait fait leur force à la CAN 2017 : l’humilité, la fraternité, la solidarité, la complémentarité, la générosité dans l’effort et surtout la rage de vaincre.
Jean Marie Nzekoue, Éditorialiste