Pour la première fois, un Africain va à la conquête de la tour de Zurich. Le président de la Caf ne manque pas d’arguments. Mais Blatter est un vieux routier difficile à déloger. Duel.
«Je serai un jour candidat à la présidence. Mais je n’ai que 51 ans : je peux attendre… », déclarait Issa Hayatou à Jeune Afrique en juin 1998. Il n’y a désormais plus de suspense, le Camerounais qui préside aux destinées du football africain depuis 1988 se lance dans la course à la présidence de la fédération internationale de football association (Fifa). Il a annoncé sa candidature samedi dernier 16 mars au Caire, à l’issue d’une réunion du bureau exécutif de la Caf. Depuis, une seule question parcourt l’Afrique du football et au-delà : Hayatou peut-il être élu ?
Les premières qualités du nouveau candidat à la présidence de la Fifa sont d’abord morales. Héritier d’une éducation rigide nourrie aux préceptes de la religion islamique, ce fils de Lamido véhicule des valeurs de rigueur et d’honnêteté qu’il est bien avisé aujourd’hui de faire valoir : “La candidature de M. Issa Hayatou est la candidature de l’éthique sportive, observe Théophile Abega. L’éthique dans les relations humaines. Après tout ce qui s’est passé avec l’élection du Président Joseph Sepp Blatter et qui a été dénoncé par les instances compétentes, le monde du football se doit de sauvegarder ce sport avec ses valeurs cardinales de fair-play et d’éthique”.
Candidat de l’éthique
L’éthique, c’est d’abord sur ce front que Issa Hayatou compte attaquer Sepp Blatter. A ce sujet, les déclarations de Farah Ado, le président de la Fédération Somalienne de Football et vice – président de la CAF qui a ouvertement accusé Blatter de tentative de corruption sont loin d’être innocentes. Elles participent de la stratégie du camp Hayatou qui a attendu le bon moment pour porter l’estocade et fissurer l’édifice d’un Blatter qui traîne des casseroles. La faillite d’ISL, la société chargée de la gestion marketing des événements de la Fifa, a enfoncé le clou d’une gestion dont l’opacité est décriée au sein même du comité exécutif de la Fifa. Juste avant de déclarer officiellement sa candidature, Hayatou lui-même est monté au créneau dans les colonnes du journal français l’Equipe : “Blatter nous demande d’approuver les comptes alors même que nous demandons un audit interne. Nous n’avons pas approuvé le budget. En plus, monsieur Blatter veut écarter tout ce qui concerne la présidence alors que nous souhaitons connaître son salaire notamment”.
Fort de ce constat d’opacité et de tripatouillages, Hayatou annonce sa candidature pour “instaurer le changement, faire régner la transparence dans la gestion… L’ambiance actuelle n’est pas bonne et donne une mauvaise image du football”. Plus qu’il n’y paraît, le président de la Caf semble avoir bien ficelé son affaire. Hayatou peut compter sur le soutien total de l’Union européenne de football (UEFA) dont le président Lennart Johansson était présent à l’annonce de sa candidature samedi dernier au Caire. “Il a laissé une réunion de l’UEFA à Lyon pour venir avec monsieur Materesse me soutenir. Ce geste me va droit au cœur”, se réjouit le candidat. La Confédération africaine de football (CAF) a aussi donné son onction à son président même si on redoute des défections comme cela a été le cas en 1998 lorsque les consignes de vote de la CAF et de son président en faveur de Johansson avaient été superbement ignorées par des présidents de fédérations.
Si Hayatou parvient à fédérer l’Europe et l’Afrique, il aura déjà engrangé 100 voix. Il va par la suite essayer de grappiller quelques voix dans une Asie totalement acquise à Blatter à une exception. Le Dr Chung Mong, le président de la fédération coréenne de football a dépêché son vice-président Oh Wankon samedi dernier au Caire. L’allié d’Issa Hayatou va essayer de convaincre ses pairs de l’Asie en s’appuyant sur le bilan plus qu’élogieux de son candidat à la CAF. Avec Hayatou, l’Afrique est passée de 2 à 5 représentants au tournoi final de la Coupe du monde. Les compétitions africaines ont été structurées et la ligue des champions du continent est aujourd’hui une véritable manne financière pour les clubs qui y participent. Cet effort de modernisation s’est aussi concrétisé dans un accord de partenariat fructueux avec l’UEFA à travers le programme méridien qui permet aux fédérations africaines de bénéficier de l’appui de leurs homologues européennes. “J’ai pu moderniser la CAF, je vais mettre ma longue expérience au service de la FIFA”, clame Hayatou.
Blatter : l’horloge arrêtée ?
Pour ce scrutin prévu le 29 mai à Séoul en Corée du Sud, les candidats ont jusqu’au 28 mars pour se déclarer. Mais il est presque évident qu’Hayatou n’aura en face de lui que le président sortant Sepp Blatter. Cet ancien horloger de 66 ans connaît tous les arcanes du football mondial. Ancien secrétaire général de la FIFA, Blatter s’est vu éclaboussé par de multiples scandales qui remettent en cause sa gestion. Mais le Suisse ne démord pas. Toujours épaulé par l’emblématique Michel Platini, il dit pouvoir compter sur le soutien de 112 fédérations totalement acquises à sa cause. Blatter connaît sa maison et à la différence d’Hayatou, il est rentré en campagne dès son élection en 1998.
Dans ce duel de mastodontes, Hayatou n’est pas donné favori. Mais comme le dit si bien Abel Mbengue, l’enfant de Garoua a déjà remporté une victoire. Celle de l’audace et de l’ambition. Et encore en 1988, quand il a étalé le Togolais Foly Ekue, Hayatou n’avait pas non plus les faveurs des pronostics. Il a été élu président de la CAF. Rendez-vous est donc pris pour le 29 mai prochain.