Il est du pays des Eto’fils, Njitap, Djemba-Djemba, Mboma ou encore l’auguste Foé mais Edouard Balla n’a presque rien en commun avec ses compatriotes. Sa destinée est singulière. Aux antipodes du commun des footballeurs du pays de Milla. Pendant que les jeunes footeux camerounais prennent massivement les chemins des meilleurs championnats du monde, Balla arpente depuis l’année dernière les terrains caillouteux et cahoteux du championnat sénégalais.
Son statut de premier remplaçant de son équipe lors de la 3e journée, n’a pas attiré la curiosité. Derrière le panneau indiquant son dossard, rien n’indique que le n°9 de la Douane est un pro. Un Lion. Venant du Cameroun. Un indomptable.
Pas même le nom, qui pourtant sonne bien Sénégalais, figurant dans bien des pièces d’état-civil comme un prénom largement usité sous nos tropiques, ne le distingue des autres. On pense alors que Balla est un de ces innombrables joueurs qui découvrent le championnat après avoir tapé dans l’œil des observateurs durant les phases navétanes. Le bonhomme baigne dans un océan limpide et dépourvu de remous. Il est anonyme. Il faudra alors scruter la feuille de match, y découvrir son prénom pour se convaincre que c’est bien lui. Le «pro» tant annoncé. «L’étranger» du secteur offensif des Gabelous. Le venant d’ailleurs.
Edouard Onana Balla, il s’appelle. Le Camerounais de l’As Douanes est un parfait inconnu. Du Sénégal qu’il découvre depuis le milieu de la saison dernière, mais aussi des gazettes et autres tabloïds du football européen, qui retracent souvent les faits et gestes de ces compatriotes, «rois africains» du ballon. C’est que le bonhomme, un tantinet philosophe, n’a pas eu la «même chance» que les autres camerounais qui font le bonheur des clubs européens. Il n’est ni Eto’o fils ni Geremi Njitap ni Djemba-Djemba. Il se contente d’être lui-même. Balla, un tout juste bon joueur, qui vient du pays le plus titré en Afrique, et qui, cahin-caha, fait son bonhomme de chemin à la lumière de son talent et de sa chance.
De son destin surtout. Onana s’est contenté tout simplement d’un statut de professionnel dans des championnats aussi atypiques que son parcours. C’est lui-même qui retrace son pedigree. Sourire en coin, l’air un peu confus, il déballe : «J’ai été professionnel en Corée et au Liban avant de retourner au Cameroun.» Un circuit fermé de globe-trotter de la balle qui n’altère en rien son ouverture d’esprit. Cette escapade dans des pays moins footeux s’explique simplement par son désir de vivre de son art. De marquer des buts, de marquer l’histoire. Sa propre histoire.
Une histoire qui commence sur le terrain caillouteux du destin qui l’a vu naître un 20 août 1979, trois ans avant que son pays se découvre, lors d’un Mundial 82, au monde du foot. A peine debout sur ses jambes, les rues boueuses lui offrent ses premières écorchures et ses premières joies. Celles de marquer des buts du haut de ses béquilles tout juste à la limite de la musculature normale mais qui vont porter son étoile dans le championnat local, au Port-fc. Auréolé du titre de meilleur buteur de son club, Balla n’en est pas pour autant à la recherche de palmarès pour enrichir un Cv, aussi vide de titre que la première partie de sa carrière pro. La seule consolation qu’il se trouve est un statut de «finaliste malheureux de la coupe du Cameroun».
Une case à cocher à l’encre noire dans la rubrique des presque-trophées glanés ça et là par le bonhomme. Ce souvenir, fugace, ne s’efface que pour un déroulé dans le relief d’une carrière professionnelle en Asie. Un rapide tour en Corée, puis un détour au Liban, le tout sans franchir le palier qui lui permettrait de rejoindre les fastueux championnats d’Europe, et voilà ! La boucle semble bien bouclée pour les «hauteurs» de sa courbe d’existence footballistique. Que non pourtant. Le bonhomme, qui déclare ne pas «savoir où son étoile va briller», reprend son baluchon et retourne au pays répondant ainsi à un dicton bien africain: celui qui ne sait où il va retourne d’où il vient.
Voilà donc Balla qui revient sur la terre de ses ancêtres. Sur celle de ses débuts. Sur les terres des origines de bien des «extraterrestres» du ballon rond. Histoire de se relooker. De se faire redécouvrir. De tenter à nouveau sa chance. A la recherche désespérée de titres, il entend parler de son club actuel l’As Douanes lorsque les contacts pour l’enrôler dans la «brigade» des Gabelous lui parviennent au soir d’une saison où la gâchette a encore fait parler de lui. Jusqu’à se faire connaître dans le pays des autres Lions. Il débarque en cours de saison dernière, marque deux ou trois buts ça et là, remporte la Coupe du Sénégal. Mais tarde à devenir ce «véritable plus» que devrait être un expatrié. Le Sénégal ne lui a donc pas encore tressé des lauriers pour ne l’avoir pas encore vraiment découvert. Par contre, lui qui enchaîne les bouts de match comme remplaçant de luxe, a de son côté décortiqué son nouvel environnement. Sans appel, il tacle : «Football difficile, malgré la présence de bons joueurs, terrains défectueux… » et on passe. C’est que, habitué à jouer «sur du dur ou du gazon» le bonhomme semble perdu, ne trouvant pas encore ses repères qui feraient de lui le Lion des surfaces. La terreur des défenseurs, le roi de la forêt des buteurs.
Mais n’allez surtout pas croire que cela le rebute. Que c’est là un signe de découragement que de dire les difficultés du foot local. Son ambition n’en est que plus renforcée, surtout par son besoin de truster enfin un titre. Celui de champion du Sénégal. Le désormais pays de ces rêves de conquête. Ce nouveau venu dans le gotha mondial du foot qui lui offrira peut-être la clé d’ouverture de la porte de la reconnaissance. A l’instar de ces augustes compatriotes, il veut devenir «prophète du ballon» et cela passe par un premier objectif, une première prêche : «Finir parmi les meilleurs buteurs du championnat et offrir le titre à mon club.» Une mission à accomplir absolument pour renforcer la couleur de son tableau orné d’une crinière qui ne fait pas encore peur. Une crinière de Lion pas encore tout à fait indomptable.
Ahmadou Bamba Kassé