Quel est le mode de fonctionnement de cette démocratie au jour le jour? Très simple: “Les points d’intérêt collectif étaient soumis à la délibération puis au vote de tous”, affirme Socrates. Chaque décision –horaires d’entraînement, heures de départs au stade…– fait donc l’objet d’un mini-scrutin auquel prend part l’ensemble de l’encadrement de l’équipe première, joueurs, dirigeants, soigneurs, chauffeurs de bus, masseurs… Un homme, une voix. De l’autogestion pure et simple.
Lorsque Travaglini, le coach, s’en va en 1982, l’équipe accomplit un geste symbolique en optant pour la solution interne: Ze Maria, démocrate, conseiller municipal et ex-champion du monde de 1970, prend en charge la fonction d’entraîneur-joueur. La décision est provisoire, mais l’image forte: comme les destinées du pays devraient appartenir à ses habitants, les Corinthians de Sao Paulo appartiennent désormais à ses joueurs. De fait, la démocratie corinthiane n’est pas qu’une secte isolée. Au contraire, elle prend des décisions réellement politiques qui commencent à faire grand bruit dans le football brésilien. Première décision d’importance, la suppression des mises au vert. Un pied de nez au pouvoir. En brésilien, elles s’appellent concentraçao, un terme militaire qui signifie rassemblement des troupes. Un passage obligé dans les clubs pour empêcher les virées sexuelles la veille des matchs. Pas vraiment du goût de Socrates, qui prône la responsabilité des joueurs. Autre sujet majeur: l’argent. Opposés aux primes de matchs, un mode de rémunération à la performance encore en vogue un peu partout aujourd’hui et toujours aussi dégueulasse, les membres des Corinthians optent pour une redistribution des richesses plus juste: chacun touche un pourcentage sur les recettes aux guichets du stade et sur le sponsoring. Surtout, les joueurs des Corinthians enterrent totalement le mythe du footballeur soumis à la discipline, au régime, à la musculation etc. Les joueurs prennent ainsi l’habitude de se retrouver après les matchs pour des barbecues géants. Sur des photos, on les voit taquiner la guitare ensemble, percer quelques bières. Loin du fumeur coupable que pouvait symboliser le pauvre Barthez, toujours à planquer son clope du champ des caméras, Socrates prouve qu’on peut mener de front génie footballistique, performances et tabagisme. Ces hommes-là sont libres, tout simplement. Et ils gagnent: alors que le club est soumis à la portion congrue depuis des décennies, l’équipe remporte deux championnats paulistes de suite en 1982 et 1983. “Ces victoires ont été fondamentales pour le mouvement”, se remémore Socrates. Car tout cela commence à faire réfléchir les collègues. “Des tentatives de démocratie footballistique ont failli réussir dans la foulée des Corinthians”, pointe Ricardo Gozzi. “Palmeiras et le Sao Paulo FC, le grand rival des Corinthians, se sont presque retrouvés dans une situation similaire. Mais les dirigeants n’ont pas suivi leurs joueurs”. Quant à l’équipe nationale, inutile d’y penser. “Les joueurs en seleçao évitaient de parler politique à tout prix”, tranche Socrates. Même Zico et Falcao, les deux autres stars de l’époque? “Même eux”. Triste football.