Ainsi donc, Albert Ebossé, footballeur camerounais jusque-là en service au club algérien de JS Kabylie est passé de vie à trépas samedi dernier, suite au traumatisme provoqué par un jet de projectiles. En d’autres circonstances, cet énième acte de violence dans un stade serait passé inaperçu, vite classé au rayon des faits divers. Au nom d’un certain fatalisme qui tend à banaliser les multiples dérives dans les arènes sportives.
Seulement voilà : il y a eu mort d’homme et par quelque bout que l’on prenne l’affaire, c’est suffisamment grave pour ne pas susciter à la fois colère, indignation et pitié.
On nous dira certes que le hooliganisme et d’autres actes de vandalisme sont devenus des phénomènes quasi universels dans l’univers sportif et notamment en football qui charrie les passions et les haines les plus tenaces.
Partout dans le monde, ils se comptent, en effet, par centaines les victimes d’actes barbares lors des compétitions sportives au niveau national et international. On se souvient encore des nombreux drames survenus au cours des dernières décennies, semant indistinctement la mort et la désolation parmi les joueurs et supporters.
Les 18 morts du 05 mai 1992 dans le stade Furiani en Corse et la catastrophe du stade du Heysel en Belgique qui fit 39 morts le 29 mai 1985 avant le début du match Liverpool-Juventus sont les plus connus, sans doute parce que plus médiatisés.
Mais en termes de pertes en vies humaines, il y a eu pire. Comme les 66 morts au cours du derby Rangers-Celtic du 2 janvier 1971 en Ecosse, les 74 morts de février 2012 suite aux violents heurts après un match de foot entre deux équipes égyptiennes dans la ville de Port Saïd, les 96 supporters de Liverpool morts en avril 1989 dans une bousculade ou encore les 126 morts du 10 mai 2001 d’Accra au Ghana à la fin du match entre Hearts of Oaks et umasi.
Sans vouloir faire une typologie macabre des circonstances desdits drames, on peut tout de même observer que la mort du Camerounais sort un peu du lot. La plupart des catastrophes majeures qui surviennent dans les stades sont dues aux facteurs exogènes liés généralement aux mouvements incontrôlés des foules, à la panique qui s’en suit ainsi qu’à l’étroitesse des issues de secours.
Aucun de ces cas de figure ne peut pourtant être évoqué dans le cas du regretté Albert Ebossé qui semble avoir été particulièrement visé pour sa perte. En attendant les résultats des enquêtes en cours pour déterminer les causes exactes du décès, les premières informations laissent entendre que les supporters de son propre club ont été ses bourreaux.
Ce n’est pas le moindre des paradoxes qu’un joueur ayant marqué l’unique but de la partie pour le compte de son équipe, qui plus est dans un match joué à domicile, devienne la cible privilégiée des supporters enragés qui, à défaut de l’encourager, lui ont plutôt ôté la vie.
On crierait presque à l’ingratitude si la cruauté du geste ne trahissait pas la bestialité des auteurs aux desseins plus sombres. Toujours est-il que ce drame pose une fois de plus le problème de la violence dans les stades algériens en particulier et africains en général.
Selon un récent rapport des services de sécurité cités par l’agence APS, 600 personnes dont 400 policiers ont été blessées dans les violences dans les stades algériens durant la saison sportive. Un tel niveau d’insécurité aurait des mobiles dépassant de loin le simple cadre sportif selon certains observateurs.
Beaucoup de thèses ont été avancées pour expliquer le geste ayant conduit au drame : frustration d’un public désabusé, colères incontrôlées, racisme, etc.
Toujours est-il que rien ne saurait justifier des comportements barbares. Une vie humaine vaut bien une autre, indépendamment de l’extraction sociale, de l’origine géographique ou de la couleur de la peau.
On comprend mieux l’indignation de l’ambassadeur du Cameroun en Algérie qui juge « inadmissibles les conditions du décès du joueur ». Au-delà de la condamnation unanime, le football africain porte un mort de trop sur sa conscience.
Un match de football doit rester un jeu, un divertissement pour renforcer la convivialité et la fraternité. Il n’est pas trop tôt pour les instances dirigeantes de prendre des mesures préventives ou conservatoires pour éviter à l’avenir que les stades se transforment en mouroirs. In Cameroon Tribune
Par Jean Marie NZEKOUE, Editorialiste